Chaque semaine, la rédaction Europe de RFI, fait le portrait d’un Européen qui est au cœur de l’actualité. Un portrait qui permet de découvrir les acteurs du monde dans lequel nous vivons et d’éclairer les évènements que nous commentons et dont nous témoignons dans les journaux de RFI.
Présidentielle en Finlande: deux candidats et une même ligne face à la Russie
Nous sommes à sept jours du second tour de la présidentielle en Finlande qui opposera un conservateur à un écologiste : Alexander Stubb face à Pekka Haavisto. Alexander Stubb est arrivé en tête au premier tour. Le candidat de l’actuel coalition de droite au pouvoir a 55 ans et une longue expérience politique derrière lui : député européen, ministre des Affaires étrangères, ministre des Finances et Premier ministre de 2014 à 2015. Depuis 2017, Alexander Stubb travaille à la direction de la Banque européenne d'investissement.Père de deux enfants, il parle pas moins de cinq langues. Interrogé par des étudiantes de l’université des sciences appliquées de Häme, il explique comment, selon lui, on peut rendre le monde meilleur : « Il y a bien sûr les petites choses, comme aider quelqu’un en difficulté. Je crois beaucoup dans la philosophie d’Adam Grant : donner et recevoir. Donner apporte un sens à la vie et la rend meilleure alors que prendre ne le fait pas nécessairement. »Deux candidats expérimentésPekka Haavisto a été ministre de l’Environnement, puis des Affaires étrangères du précédent gouvernement socialiste. Homosexuel, âgé de 65 ans, c’est la troisième fois qu’il tente sa chance à la présidentielle. Les étudiantes de Häme lui ont aussi demandé comment rendre le monde meilleur : « J’ai déjà beaucoup fait de médiation pour la paix et j’ai été engagé dans plusieurs initiatives de paix. Je pense que sans paix, il n’y a pas de développement. C’est pour ça que la paix est ma première priorité. La deuxième, c’est bien sûr la protection de l’environnement. »La campagne a été très suivie par les Finlandais. La guerre en Ukraine et les menaces du voisin russe ont évidemment pesé, car le futur président finlandais aura un rôle important à jouer dans cette crise. Même si rien ne différencie vraiment les candidats, leur ligne est la même : la fermeté face à la Russie, comme l’explique Hanna Ojanen, directrice de recherche en politique à l'université de Tampere, dans l’ouest de la Finlande : « Je n’ai pas vu de grandes différences... Tous les candidats à la présidentielle avaient la même position : continuer à soutenir l’Ukraine et le besoin de se préparer à toutes les formes de menaces hybrides venues de Russie. »Les « menaces hybrides », c’est par exemple le passage de migrants illégaux orchestré par le Kremlin, selon Helsinki. La frontière entre les deux pays est toujours fermée.Quelles différences ? Alexander Stubb est plus atlantiste que son adversaire... Quand Pekka Haavisto, lui, se montre plus intéressé par les pays en développement. C’est surtout sur le plan personnel que les deux hommes s’éloignent. « Alexander Stubb donne une vision assez claire dans sa vie familiale, c’est quelqu’un qui représente bien la droite libérale avec aussi son aspect conservateur, observe Louis Clerc, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Turku en Finlande. Alors que Pekka Haavisto a un profil personnel plus exceptionnel dans la politique finlandaise. Il vit en couple avec un homme. Ce n'est pas quelque chose qu’il a mis en avant dans sa campagne, au contraire, ses aspects personnels ont été très peu utilisés dans sa campagne. »Les électeurs d’extrême droite seraient plus enclins à voter pour le candidat conservateur. Alexander Stubb leur a fait quelques clins d’œil, comme l’a noté le chercheur Louis Clerc. « Alexander Stubb en général est assez libéral, mais il a aussi donné des signaux à ces électeurs d’extrême-droite en disant par exemple qu’il faudrait travailler sur une interdiction de la double nationalité pour les citoyens russes. Une grande partie d’entre eux va voter pour lui parce que c’est le candidat de droite qui peut se donner un air plus conservateur que son adversaire. »Les derniers sondages donnent une avance confortable à Alexander Stubb sur Pekka Haavisto, mais il reste encore un débat télévisé et des meetings cette semaine pour mobiliser les électeurs.À lire aussiFinlande: Alexander Stubb et Pekka Haavisto s'affronteront au 2e tour de la présidentielle
2/3/2024 • 3 minutes, 36 seconds
Autriche: Martin Sellner, un représentant de la droite identitaire très propre sur lui
Les Allemands se mobilisent contre l’extrême droite, après la révélation de la tenue d’une réunion d’extrémistes à Potsdam, à laquelle ont participé des membres de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Parmi les hôtes : l’Autrichien Martin Sellner venu présenter son « concept de remigration », un projet d'expulsion massive de personnes étrangères. Cofondateur du Mouvement identitaire autrichien, il est devenu une figure influente des droites radicales germanophones. Martin Sellner a les airs de hipster : coupe de cheveux stylisée, mèche tombant à droite, souvent souriant et toujours impeccable, qu’il soit rasé de près ou arborant une barbe de trois jours. Fils d’un médecin homéopathe et d’une professeur d’anglais, qui a grandi dans la banlieue de Vienne, le jeune homme de 35 ans est titulaire d’une licence de philosophie et n’a pas achevé ses études de droit, selon le Spiegel. « Il représente cette nouvelle génération de militants d'extrême droite qui présente bien. On est très loin de l'image classique du militant d'extrême droite, au crâne rasé, arborant des tatouages, un bomber en cuir et la croix gammée, tatouée sur le bras », note Gilles Ivaldi, chargé de recherche CNRS au CEVIPOF, spécialistes des partis de droite radicale.Martin Sellner donne l'image d’un jeune Européen, polyglotte, très classique. Il est marié à Brittanny Pettibone, une blogueuse californienne, égérie de la droite alternative américaine, qui compte 175 000 abonnés sur sa chaîne YouTube. Avec sa jeune épouse, toujours bien maquillée et parfaitement coiffée, il est le visage plutôt avenant du mouvement identitaire. Dans sa façon d’être, « il participe de la stratégie de l’extrême droite qui avance de plus en plus masquée, qui tente de cacher au maximum tous les marqueurs et les symboles de l’extrême droite traditionnelle », estime Gilles Ivaldi. Génération identitaireEn 2016, dans un entretien à CNN, en très bon anglais, Martin Sellner se présentait en 2016 comme « patriote et pas néo-nazi ». « En tant que militant patriotique, auteur et journaliste, je défends la vérité et la résistance, la théorie et l'action », annonce-t-il sur son site internet.Il a pourtant frayé avec ce mouvement dès son plus jeune âge, rappelle Jérôme Segal essayiste et historien franco-autrichien : « il est assez rapidement attiré par le milieu néonazi. Il est proche d'un célèbre néonazi autrichien Gottfried Küssel. Déjà à l'âge de 17 ans, il va coller des croix gammées sur une synagogue. Il est condamné à 100 heures de travaux d’intérêt général », énumère le maître de conférences à Sorbonne Université et spécialiste de l’extrême droite à Vienne.S’inspirant de la branche française de Génération identitaire, dissoute en 2021, accusée par le gouvernement de provocations à la haine et à la discrimination, il cofonde la branche autrichienne du mouvement. Invité à l’université d’été des jeunes identitaires français, il confiait dans un entretien filmé y avoir trouvé « une grande inspiration ». Liens avec le tueur de ChristchurchLuttant contre l'immigration, l'islamisation et la mondialisation, Martin Sellner s’inquiète du « grand remplacement » causé par les musulmans en Europe. Ce concept, développé en France par l’écrivain et philosophe Renaud Camus, avait été repris par le tueur de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019. Avant d’assassiner 51 personnes dans deux mosquées, Brenton Tarrant avait entretenu une correspondance avec Martin Sellner et lui avait fait un don de 1 500 euros, ce qui lui avait valu d’être inquiété par la justice autrichienne pour « participation à une organisation terroriste ». L’enquête avait été classée sans suite en 2021. Aujourd’hui, le militant extrémiste autrichien est frappé d’interdiction de séjourner au Royaume-Uni et aux États-Unis pour des raisons de sécurité publique. L’Allemagne réfléchit à en faire de même depuis la réunion de Potsdam. Le mouvement identitaire autrichien ne compte aujourd’hui qu’une poignée de membres, « leur nombre est estimé entre 500 et 600 », précise Jérôme Segal. Mais Martin Sellner jouit d’une audience sur les réseaux sociaux, même s’il a été banni des principales plateformes telles que YouTube, Facebook, X ou Spotify. Sur Telegram, il compte actuellement 58 000 abonnés sur sa chaîne en allemand et 2 000 sur la chaîne en anglais. Il cultive surtout des liens avec le parti d’extrême droite autrichienne FPÖ et avec l’AfD allemande. « Cette petite galaxie d'extrême droite sur Internet est influente dans le sens où elle infuse et donne des idées, des thématiques à des partis qui, eux, sont influents et qui se trouvent sur le devant de la scène », souligne Gilles Ivaldi. Selon une étude du think tank ECFR (Conseil européen pour les relations extérieures), « les partis de la droite populiste anti-européenne arriveront en tête dans au moins neuf États membres de l'UE » lors des élections européennes de juin, dont la France, l'Autriche, la Belgique, l'Italie et les Pays-Bas. Pour les législatives de septembre 2024, le FPÖ autrichien est crédité de 30 % des intentions de vote.
1/27/2024 • 4 minutes, 3 seconds
Joachim Rukwied, porte-voix d’une agriculture allemande délaissée
Depuis deux semaines, des mobilisations sans précédent des agriculteurs allemands sont organisées dans tout le pays. Des agriculteurs en colère suite à l’annonce de la suppression de certaines subventions. Des décisions qui pourraient provoquer de nombreuses faillites d’exploitations agricoles, selon Joachim Rukwied, le président de la Fédération allemande des agriculteurs, à la tête d'un mouvement qui fait trembler le gouvernement d’Olaf Scholz, selon de nombreux médias. C’est un mouvement de protestation qui a pris de court les autorités allemandes. Pourtant, le président de la Fédération allemande des agriculteurs adressait depuis des semaines des avertissements au gouvernement d’Olaf Scholz. Et c’est bien lui, Joachim Rukwied, ancien agriculteur, éternel représentant de sa branche, âgé aujourd’hui de soixante-deux ans qui a su mobiliser un secteur délaissé depuis de trop nombreuses années, comme l’explique Nils Schmid, député allemand et membre du SPD, le Parti social-démocrate allemand, l’une des trois formations qui forment la coalition au pouvoir.« C'est un malaise social qui s'est installé et Joachim Rukwied joue un rôle déterminant en mobilisant les agriculteurs pour la première fois depuis des décennies. Parce qu'il est très très expérimenté, en tant que leader syndical, il connaît très bien les dossiers. Il est intégré dans les réseaux politiques en tant que membre de la CDU (l’Union chrétienne-démocrate d'Allemagne), donc de la principale force d'opposition en Allemagne, et il joue un peu sur la corde de la conscience morale des Allemands envers les agriculteurs qui ont passé des temps difficiles parce que, notamment, les exploitations familiales sont de moins en moins nombreuses et sont en difficultés. »À lire aussi«On ne se laisse plus faire»: les agriculteurs allemands vent debout face aux mesures d'économies du gouvernementUn secteur abandonné par la classe politiqueSi ce mouvement a pris de l’ampleur ces dernières semaines, Nils Schmid ne craint pas pour autant qu’il ne soit instrumentalisé par les extrémistes, contrairement à ce que pensent différents médias. Pour ce député du Bundestag, cette colère exprimée par les agriculteurs fait suite à des décennies d’abandons de ce secteur par la classe politique.« Les agriculteurs allemands ont réussi à mettre l'agriculture sur le devant de la scène politique en Allemagne. Pendant de longues années, on a beaucoup parlé de la transformation de nos industries, notamment de l'industrie automobile, et maintenant les parlementaires, les partis politiques en Allemagne ont bien compris que l'agriculture, elle aussi, est en train de se transformer, et cela, depuis longtemps. Tous les partis s'occupent beaucoup plus des problèmes structurels de l'agriculture et ces problèmes-là ne tiennent pas vraiment à la question de l'impôt sur le diesel agraire. Ce sont des problèmes plus profonds liés à la politique de subvention et à la nécessité d'introduire des méthodes plus durables dans l'exploitation de nos fermes. »À lire aussiRécession et colère sociale en AllemagneJoachim Rukwied, une voix qui compte, mais pas la seuleJoachim Rukwied est-il l’homme de la situation pour remettre l’agriculture allemande sur les rails ? Si c’est bien lui qui est sur le devant de la scène ces derniers jours, il n’est pas pour autant le seul représentant de ce secteur, bien que sa voix compte, comme l’explique Nils Schmid.« Monsieur Rukwied représente le syndicat d'agriculteurs le plus puissant d'Allemagne, mais il y en a huit autres qui ont été accueillis par les présidents des groupes parlementaires de la coalition gouvernementale à Berlin. Il y a des intérêts divergents au sein de l'agriculture allemande, mais je pense que, comme c'est très souvent le cas en Allemagne, il y aura un débat politique sur l'avenir de l'agriculture allemande et donc sa fédération et lui-même font intégralement partie de ces débats, tout comme d'autres fédérations plus petites qui représentent aussi l’agriculture allemande. »À lire aussiNils Schmid: «Les Allemands estiment que l’action gouvernementale est éloignée des problèmes du quotidien»Pas de crainte de récupération par l’extrême-droiteIl va donc falloir patienter pour savoir si Joachim Rukwied est en mesure de convaincre ses pairs et le gouvernement en place. Et même si la mobilisation se poursuit, pour Nils Schmid, il n’y a aucune crainte à avoir sur une éventuelle récupération de ce mouvement par l’extrême-droite.« Il ne fait pas peur parce qu'il faut bien regarder les proportions en ce qui concerne les mobilisations sociales en ce moment en Allemagne. Ces derniers jours, on a vu des mobilisations phénoménales contre la montée de l'extrême droite, avec des dizaines de milliers de citoyens qui sont descendus dans la rue, c’est-à-dire beaucoup plus de personnes que les agriculteurs ont pu mobiliser. »Reste que les agriculteurs allemands sont toujours en colère, à l’image de Joachim Rukwied et qu’ils attendent des décisions alors qu’ils sont négligés par les autorités depuis des années
1/20/2024 • 4 minutes, 21 seconds
Le prêtre russe Alexis Ouminsky, défroqué pour avoir refusé de réciter la prière «pour la Sainte Russie»
Comme le fait le pouvoir russe avec les opposants à la guerre, l’Église orthodoxe russe s’en prend aux dernières voix dissidentes. À la veille de Noël, le père Alexis Ouminsky, qui ne cachait pas son hostilité à l’opération militaire que mène l’armée russe en Ukraine, a été démis de ses fonctions de recteur de l'église de la « Sainte Trinité vivifiante » en plein centre de Moscou. Un tribunal ecclésiastique a pris la décision, ce samedi 13 janvier, de le défroquer. Figure connue et respectée du monde orthodoxe, le père Alexis Ouminsky paye pour sa liberté de ton. « On ne peut pas éprouver de la joie, du bonheur ou applaudir à une histoire où il est question d’opérations militaires. Cela cause du chagrin à tellement de gens », disait-il en novembre 2023, au micro d’Alexeï Venediktov, l’ex-directeur de la rédaction de la radio indépendante Écho de Moscou, fermée par les autorités. Cet entretien, de l’avis de certains observateurs, aurait pu être la « goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Depuis le début de l'offensive du 24 février 2022, rares ont été les prêtres de l’Église orthodoxe russe à se prononcer ouvertement contre la guerre. Formellement, ce que reproche le patriarcat au père Alexis Ouminsky, c’est de n’avoir pas récité, au cours de la liturgie célébrée dans son église, la prière « pour la Sainte Russie », un texte aux accents bellicistes, qui demande à Dieu d’accorder la victoire à la Russie. La lecture de cette prière est devenue « un test de loyauté » vis-à-vis des autorités ecclésiales, note Ksenia Luchenko, journaliste, experte des questions religieuses, qui connait bien le prêtre déchu.« Chez la majorité des prêtres qui ont une position différente de celle du patriarche Cyrille sur les questions de guerre, de géopolitique et autre, cette prière soulève de grandes questions. Lorsqu'une personne prie Dieu sincèrement pendant l’office divin, elle ne peut pas prononcer de fausses paroles dénuées de sens », souligne la chercheuse invitée dans le cadre du programme « Wider Europe » au sein du Conseil européen des relations internationales (ECFR) à Berlin. Or, pour le père Alexis Ouminsky, « il est très important d'agir de manière à ne pas éprouver de honte devant Dieu, et non devant les gens. C’est un homme très libre intérieurement, et il a toujours vécu en homme libre. C'est aussi un homme très gentil, qui sait toujours trouver des mots de soutien ou de consolation », note-t-elle. Prière à la Sainte Russie Ça n’est pas la première fois que le patriarcat de Moscou s’en prend aux prêtres qui n’adhèrent pas à cette prière. En mai 2023 dernier, le tribunal ecclésiastique de Moscou a limogé et retiré son rang de prêtre au père Ioann Koval, 45 ans, pour avoir remplacé le mot « victoire » par « paix ». Il a aujourd’hui trouvé refuge en Turquie, où le patriarcat de Constantinople a restauré son statut de prêtre, estimant que ses actions avaient été motivées par une profonde conviction en faveur de la paix. Cheveux blancs coupés au carré, barbe bien taillée, Alexis Ouminsky, 63 ans, est issu d’une famille de l’intelligentsia soviétique non-croyante. Il a été hippie dans le Moscou des années 1980, s’est fait baptiser lorsqu’il était étudiant en langues romanes et a enseigné le français. Ordonné prêtre au début des années 1990, il est resté très connecté à la vie sociale et artistique du pays. L'église de la « Sainte Trinité vivifiante », en plein cœur de Moscou, dont il était recteur depuis trois décennies, accueillait de nombreuses personnalités du monde de la culture, des journalistes, des avocats et des hommes politiques qui sont devenus ses amis. En septembre 2022, il a célébré les funérailles de Mikhaïl Gorbatchev. Pas de politique Parallèlement à son activité pastorale, le père Alexis Ouminsky est une figure médiatique. Il a pendant de nombreuses années présenté des émissions de télévision, publié de nombreux ouvrages et est très investi dans les œuvres caritatives, s’occupant d’enfants incurables, de SDF, rendant visite à des détenus, des anonymes ou des personnalités, comme l’ancien patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhail Khodorkovksy, lorsqu’il était emprisonné, ou l’opposant Vladimir Kara-Mourza, qui purge une peine de 25 ans de réclusion. Il est intervenu comme témoin dans le procès qui a abouti à la dissolution de Mémorial, la plus connue des associations de défense des droits de l’homme russes.Pour autant, estime Ksenia Luchenko, « il n'a jamais mené d'activité politique. On lui demandait d’aller visiter des prisonniers, et il y allait, quel que soit le profil de la personne, prisonnier politique ou véritable criminel. Il vivait simplement selon l’Évangile ». « Sa vie et son service de l’église suivent les préceptes du Christ », renchérit Zoya Svetova, journaliste connue pour son engagement en faveur des droits de l’homme, qui l’a interviewé à plusieurs reprises. « Il ne refusait jamais de répondre aux questions, lorsque cela touchait aux sujets qui le concernaient. Il le faisait dans le but d’aider les gens à s’y retrouver dans notre monde touché par les tragédies et les drames », explique-t-elle. En 2021, dans une vidéo, Alexis Ouminsky avait aussi appelé les autorités à « faire preuve de miséricorde chrétienne et à autoriser un médecin » à examiner l’opposant et prisonnier le plus connu de Russie, Alexeï Navalny. Cette déclaration lui avait valu le surnom de « criminel en soutane » sur la chaîne de télévision de l’Église orthodoxe russe SPAS, qui fait l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne. « L'Église orthodoxe russe a établi une règle non écrite selon laquelle tous les prêtres doivent obéir à la parole du patriarche », souligne Zoya Svetova. « Il me semble que le patriarche imagine que tous les prêtres et les clercs sont ses soldats et qu'ils doivent lui obéir comme à un général. Tous les prêtres qui subissent des pressions, qui sont interdits de service, renvoyés de leurs paroisses, voire défroqués, ce sont ceux qui n'acceptent pas d'être des soldats du patriarche Cyrille ». Le père Alexis Ouminsky a été remplacé dans son église par un prêtre plus en phase avec la ligne du patriarcat de Moscou. André Tkatchev, originaire de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, transfuge de l’Église ukrainienne qui a fui en Russie en 2014 après la révolution pro-européenne de Maidan, qui affirme que « les soldats russes sont en Ukraine pour se battre contre Satan ». Sous le choc, un groupe de fidèles a adressé une lettre ouverte au patriarche Cyrille, lui demandant de revenir sur sa décision. « Depuis 1990, le père Alexis Ouminsky est un prêtre qui a amené un grand nombre de personnes à la foi. Il a créé une communauté importante, vivante et active (…), qui effectue notamment un important travail social, aidant les personnes gravement malades dans les hospices pour adultes et pour enfants, les sans-abris et les prisonniers », peut-on lire dans la déclaration, qui avait recueilli samedi près de 12 000 signatures.À écouter aussiGuerre en Ukraine: l’Église orthodoxe divisée
1/13/2024 • 4 minutes, 12 seconds
Marinika Tepic, fer de lance de l'opposition en Serbie
Elle est en soins intensifs après une grève de la faim. En Serbie, Marinika Tepic est devenue l’égérie de la contestation des élections législatives du 17 décembre. La cheffe de l’opposition au président Vucic est l’Européenne de la semaine sur RFI. Marinika Tepic a choisi un moyen radical pour se faire entendre. Marinika Tepic a cessé de s’alimenter pendant près de deux semaines. On l’a vue très affaiblie, monter sur l’estrade du grand meeting organisé samedi dernier dans le centre de Belgrade. Ovationnée par les milliers de personnes descendues dans la rue pour demander la tenue de nouvelles élections.Notre envoyée spéciale Jelena Tomic a pu la rencontrer à la veille de cette manifestation dans son bureau. Elle lui a demandé ce qui l’a poussée à mettre sa santé en danger : « Ce n’est pas un acte de désespoir ou d’impuissance, ni de rage ou de déception. C’est un combat, le seul qui me donne le sentiment d’être vivante et de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que les gens de bonnes intentions nous aident. Nous appelons les pays membres de l’UE à nous aider à former une commission au niveau du Parlement ou de la Commission européenne afin d’effectuer un audit complet du processus électoral qui nous permettra d’organiser d’ici cinq ou six mois de nouvelles élections dans de bonnes conditions. »Les élections du 17 décembre ont été entachées de fraudes, constatées aussi par les observateurs internationaux. Des bourrages d’urnes, des listes électorales trafiquées ou encore des achats de voix. Certains habitants racontent ne pas avoir pu voter à distance, car quelqu’un l’avait déjà fait à leur place. Mais le président Vucic, au pouvoir depuis 2014, reste inflexible.Un visage bien connu des SerbesAvant de devenir la tête de liste de l’opposition, Marinika Tepic a eu une autre vie. Elle a été journaliste. Après un rapide passage comme enseignante, elle a travaillé douze ans pour la radio et pour plusieurs journaux. La communication, elle connaît. À 49 ans, cette mère de deux enfants est un visage et une voix connue des Serbes. Pour Nikola Burazer, directeur du think tank Centre for Contemporary Politics basé à Belgrade, elle a réussi à devenir le symbole du ras-le-bol d’une partie des Serbes : « Elle est évidemment une des figures de l’opposition depuis plusieurs années. Elle a dirigé le mouvement de colère contre les violences aux dernières élections. Et le sacrifice qu’elle a fait avec sa grève de la faim a vraiment ému beaucoup de monde dans le pays. Ça lui a donné une image de moralité et une place clé dans l’opposition. On peut s’attendre à ce qu’elle joue encore un grand rôle cette année. »Surtout, Marinika Tepic a su profiter de la vague d’émotion et de colère qui a suivi les deux tueries de masse dans des écoles serbes : 17 morts au total. Un tournant pour le pays selon Nikola Burazer : « C’est un moment clé pour briser l’apathie de la population. Parce que les Serbes sont longtemps restés passifs face à l’État. Les fusillades ont mobilisé les gens pour dénoncer un statu quo inacceptable. Ces drames ont donné naissance à une coalition d’opposition qui est de loin la plus forte depuis l’arrivée au pouvoir du président Vucic. Et cette coalition a réalisé le meilleur score pour une opposition. »Quel débouché politique ?Cela fait dix ans qu’Aleksandar Vucic dirige le pays. Et il ne veut rien lâcher. Et l’opposition a encore beaucoup de chemin à faire avant d'espérer changer la donne. Un conseiller politique de la région ne voit aucun débouché politique à cette contestation, l'opposition est encore trop faible. Mais pour le chercheur Nikola Burazer, le véritable test pour l'opposition pourrait être les prochaines élections locales : « Qu’importe ce qu’il se passe après ces législatives. Des élections locales dans la plupart du pays doivent avoir lieu au printemps prochain. On va rapidement rentrer à nouveau dans une nouvelle campagne et ce sera l’occasion de se relancer pour l’opposition. »D'ici là, l'opposition va continuer à tenter d'alerter les Européens, bien silencieux depuis le début de la contestation. Et puis aussi continuer à occuper la rue. L'opposition appelle à une manifestation le 13 janvier. Marinika Tepic pourrait y faire son retour après son hospitalisation.
1/6/2024 • 3 minutes, 37 seconds
Russie: Alexeï Navalny, le «masque de fer» de Vladimir Poutine
Ses avocats et ses proches étaient sans nouvelle depuis près de trois semaines : le prisonnier politique le plus connu de Russie est réapparu le 25 décembre, à 3 000 km au nord-est de Moscou. Alexeï Navalny, qui purge une peine de 19 ans de prison pour extrémisme, se trouve dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique russe, dans une région particulièrement reculée aux conditions de vie difficiles. À en croire ses premières déclarations, l’opposant numéro un au Kremlin reste combatif. (Version remaniée de l’Européen de la semaine du 29 janvier 2023) « Je suis votre nouveau Père Noël » : c’est par ces mots que débute le message d’Alexeï Navalny, posté en début de semaine sur ses réseaux sociaux. L’opposant y raconte, avec son style empreint d’humour et de sarcasme, son transfert dans sa nouvelle colonie pénitentiaire au-delà du cercle polaire, où lorsqu’il regarde par la fenêtre, il dit ne voir que « la nuit, et puis le soir, et de nouveau la nuit ».Il n’a, semble-t-il, rien perdu de son mordant et de la détermination qu’il affichait le 17 janvier 2021 à son arrivée à l’aéroport de Moscou : « Je n’ai peur de rien et je vous demande aussi de ne pas avoir peur. Merci beaucoup, allons maintenant au contrôle des passeports ». À peine le contrôle des passeports franchi, de retour de sa convalescence en Allemagne, cinq mois après son emprisonnement, Alexeï Navalny était arrêté par des policiers et immédiatement placé en détention.Le défenseur des droits de l’homme russe, Lev Ponomarev, de l’institut Sakharov à Paris : « Il a fait un acte héroïque en décidant de rentrer en Russie, parce qu’il est, bien sûr, l’opposant personnel de Vladimir Poutine. Pourvu qu’il survive ».Le prisonnier personnel de Vladimir PoutineSi les violences carcérales ne sont pas un fait rare en Russie, Alexeï Navalny, celui dont Vladimir Poutine refuse de prononcer le nom, semble avoir droit à un traitement particulier, selon le politologue Fedor Krasheninnikov : « C’est le prisonnier personnel de Vladimir Poutine, c’est son "masque de fer". Le président russe considère Navalny comme un membre de l’élite occidentale. Angela Merkel est venue le voir quand il était à l’hôpital. Et comme dans son imaginaire, il est vu comme faisant partie du clan occidental, il le harcèle, un peu comme avec une poupée vaudoue ».Dans sa prison à « régime sévère » dans la région de Vladimir, à 250 km de la capitale, Alexeï Navalny était régulièrement envoyé en cellule disciplinaire ou d’isolement pour des infractions mineures au règlement, comme avoir fait sa toilette matinale 36 minutes avant l’heure réglementaire. Amaigri, visiblement éprouvé par ces journées passées au mitard, Alexeï Navalny continuait de se battre pour faire reconnaître ses droits les plus élémentaires, en intentant des procès à l’administration pénitentiaire. Il profite de ces audiences pour lancer des messages politiques, comme ici contre la guerre en Ukraine : « Vous ne me ferez pas taire avec votre cellule d’isolement. Poutine associe des centaines de milliers de personnes aux crimes qu’il commet. Il est comme la mafia, qui lie à elle par le sang des centaines de milliers de personnes ».L’opposant le plus sérieux à Vladimir Poutine continue à exister politiquement, même du fin fond de sa prison, estime un autre détracteur du président russe, qui a préféré fuir la Russie pour éviter le sort d’Alexeï Navalny, l’ancien député Dmitri Goudkov : « En continuant à rester actif en dépit de tous les obstacles, il montre à ses partisans qu’il continue à résister envers et contre tous, et cela donne de l’espoir à beaucoup de personnes ».L'optimisme comme moyen de continuer le combatNe pas se faire oublier, continuer à exister désormais au-delà du cercle polaire : une gageure pour Alexeï Navalny, qui parvenait jusque-là à donner régulièrement des nouvelles de sa vie derrière les barreaux, dans des messages transmis par ses avocats.Pour ses militants les plus actifs, qui ont dû choisir entre la prison et l’exil, le comportement de l’opposant reste une source d’inspiration. C’est le cas pour Fedor Krasheninkov : « Il a les qualités d'un meneur politique et même dans la situation qu’il vit aujourd’hui, il essaye de résister, parce qu’il comprend que s’il se mettait à écrire qu’il ne va pas bien, qu’il est déprimé, il n’améliorerait pas son sort et il anéantirait la foi de ses partisans. Même en étant en prison, il s’efforce d’afficher l’optimisme pour montrer aux gens qu’il faut continuer le combat ».Alexeï Navalny s’apprête à passer son troisième 31 décembre derrière les barreaux. « Des gens payent pour passer un Nouvel An original, pour moi, c'était gratuit », avait-il écrit l’an dernier après une nuit passée à l’isolement.À lire aussiL'opposant russe Navalny se trouve dans une colonie pénitentiaire en Arctique
12/30/2023 • 3 minutes, 29 seconds
Pedro Sánchez, l’équilibriste de la politique espagnole
L’année 2023 en Europe a été marqué notamment par la capacité de Pedro Sánchez, le chef du gouvernement espagnol, à résister à tous les vents contraires. Lui qui avait convoqué des élections anticipées, alors que les sondages plaçaient les conservateurs du Parti populaire en tête, a réussi à retourner la situation en sa faveur. Certes, son parti, le PSOE, n’est arrivé qu’en deuxième position lors de ces élections, mais c’est bien lui qui a été en mesure de rassembler suffisamment de soutiens pour rester au pouvoir avec un gouvernement de coalition. Un gouvernement fortement critiqué puisque parmi les faveurs accordées pour bénéficier du soutien des indépendantistes catalans, Pedro Sánchez, s’est notamment engagé à mettre en place une loi d’amnistie. Il n’a que cinquante et un ans, un âge encore jeune en politique, et il vient d’être investi pour la troisième fois comme président du gouvernement espagnol. Le socialiste Pedro Sánchez pourrait donc bien laisser sa trace dans les livres d’histoire comme étant soit le président qui a sauvegardé, voire amplifié les politiques sociales, ou soit un homme politique prêt à tout pour conserver le pouvoir. Un trait de caractère qu’il assume, détaille Maria Elisa Alonso, politologue, enseignante et chercheuse à l’Université de Lorraine.« Il vient de sortir un livre il y a une semaine, mais même dans le livre qu'il avait publié il y a un an, il se vante justement qu'il survit en fait. Donc, peut-être l'histoire se rappellera de lui comme quelqu'un qui est prêt à tout pour rester au pouvoir. D'ailleurs, c'est un reproche de l'opposition qui le prennent à négocier avec les Catalans et même les Basques pour rester au pouvoir. »Un fin connaisseur des rouages politiquesIl faut rappeler que Pedro Sánchez était donné perdant avant les élections du 23 juillet et après une débâcle électorale historique pour le Parti socialiste lors des élections régionales et municipales. D’ailleurs, les conservateurs du Parti populaire pensaient la victoire acquise. Mais Pedro Sánchez, comme le rappelle Maria Elisa Alonso, est un animal politique :« Il connaît très bien les ficelles de la vie politique, des enjeux et des équilibres, dans son propre parti d'ailleurs, et même entre les parties qui forment le Parlement espagnol. Il utilise tout. Il maîtrise parfaitement les temps de négociation. »À lire aussiEspagne: le Premier ministre rencontre le chef de l’opposition dans un climat de rare tensionSi Pedro Sánchez maîtrise si bien les arcanes de la politique espagnole, c’est tout simplement parce qu’il n’a pas eu d’autre choix, détaille Benoît Pellistrandi, historien et grand spécialiste de l’Espagne, auteur notamment du livre Les fractures de l’Espagne.« Pedro Sánchez est un leader politique assez exceptionnel parce qu'il ne faut pas oublier qu’en 2016, le Parti socialiste le destitue, qu'il reprend son bâton de militant et qu'il va gagner les primaires contre l'appareil du parti. C'est quand même un mort-vivant. Enfin, il est ressuscité, ce qui lui a d'ailleurs donné le sentiment d'une baraka exceptionnelle. C'est lui qui, en juin 2018, a compris que la motion de censure contre le gouvernement de Mariano Rajoy pouvait fonctionner. C'est la seule fois dans l'histoire de la démocratie espagnole qu'on a eu cette motion de censure. Et Pedro Sánchez, qui avait été choisi par les hiérarques du parti en 2014, était vu dans un premier temps comme quelqu'un qui serait facilement manipulable. Or, il a révélé des capacités extraordinaires et c'est lui qui a pris le contrôle du Parti socialiste. »Un mandat qui s’annonce compliquéPedro Sánchez a finalement réussi à conserver le pouvoir grâce au jeu des alliances, mais est-ce que ce gouvernement très hétéroclite est à même de tenir ? C’est toute la question, car les indépendantistes catalans vont chercher à profiter de leur position de faiseur de roi pour tenter d’obtenir plus de concessions, tout comme les Basques. C’est une mandature très compliquée qui s’annonce, mais qui, selon Benoît Pellistrandi, devrait aller à son terme.« Pedro Sánchez, en réalité, a devant lui trois ans de présidence. Le mandat est de quatre ans. Pourquoi je dis trois ans ? Parce que, imaginons qu'il n'arrive pas à faire passer le budget parce que les indépendantistes, tout d'un coup, montent leurs exigences. Il peut toujours prolonger pendant deux années consécutives le budget de l'année précédente et je crois que l'une des raisons de la crispation de l'opposition du Parti populaire, c'est qu'elle a bien compris que même si les alliances que Pedro Sánchez sont baroques, contradictoires, largement contraires à tout ce qui avait été dit pendant la campagne électorale, ça permet à Pedro Sánchez de tenir le gouvernement central. »À lire aussiPedro Sanchez reconduit à la tête d'une Espagne divisée Adulé ou détesté, Pedro Sánchez ne laisse en tout cas personne indifférent en Espagne. Un président du gouvernement qui sait parfaitement comment mener sa barque et qui pourrait bien rester dans les mémoires plutôt comme étant « le socialiste qui retombe toujours sur ses pieds », comme le titrait il y a quelques mois le grand Financial Times.
12/23/2023 • 4 minutes, 26 seconds
Radoslaw Sikorski de retour aux Affaires étrangères polonaises
La Pologne a tourné cette semaine la page de huit années de pouvoir des nationalistes du parti Droit et Justice. Le pro-européen Donald Tusk a prêté serment comme nouveau Premier ministre. L’ancien président du Conseil européen aura à cœur d’améliorer les relations avec Bruxelles et Kiev. Une tâche qu’il partagera avec son ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, atlantiste et européen convaincu. « Je n’ai pas besoin de présenter M. Radoslaw Sikorski. Je ne vous referai pas son CV », a plaisanté Donald Tusk lors de son discours de politique générale devant le Parlement, provoquant les sourires de la salle et quelques applaudissements. Les deux hommes se connaissent bien. Radosław Sikorski, 60 ans, avait déjà servi au même ministère sous le gouvernement de Donald Tusk entre 2007 et 2014. « Il amène d'abord une expérience, mais aussi des contacts des réseaux internationaux parce qu’il est très bien intégré à un establishment international, avec des contacts très étroits avec les États-Unis où il a vécu et travaillé », rappelle Valentin Behr, chargé de recherche au CNRS, rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique, qui souligne que Radoslaw Sikroski a épousé en 1992 la journaliste et écrivaine américaine Anne Appelbaum. « C’est le membre le plus expérimenté de la nouvelle équipe », note Lukas Macek, chef du centre Grande Europe consacré à l’élargissement à l’Institut Jacques Delors, « incontestablement, un poids lourd de la politique polonaise et non pas un nouvel arrivant qui devrait se présenter et espérer qu'on lui ouvre la porte ».Formé à l'université d'Oxford au Royaume-Uni dans les années 1980, où il avait obtenu le statut de réfugié politique alors que la Pologne vivait sous la loi martiale et plusieurs de ses amis avaient été emprisonnés, il rentre au pays en 1989, après la victoire de Solidarność aux élections et la chute du communisme. Il était, à cette époque, correspondant de guerre pour des médias britanniques en Afghanistan et en Angola.Proche des néo-conservateursAtlantiste, Radoslaw Sikorski est très proche des néoconservateurs américains. « Il a été associé à l'American Enterprise Institute, leur think tank, à Washington et au Parlement européen, où il a été élu député en 2019. Il présidait la délégation européenne qui organise le dialogue transatlantique avec le Congrès américain », rappelle Valentin Behr. Parallèlement à ses activités politiques, il a aussi été maître de conférences au Centre d’études européennes de l’université de Harvard et expert au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington.« C’est un peu un intermittent de la vie politique polonaise, qui a longtemps vécu à l'étranger, qui y retourne, qui voyage beaucoup », note Valentin Behr. Un homme de l’establishment avec ses failles. En juin 2014, un hebdomadaire avait rendu publiques plusieurs conversations dans des salons privés de restaurants de Varsovie. On y entendait notamment le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Radoslaw Sikorski, critiquer les États-Unis dans un langage très direct voire vulgaire. « L'alliance avec les États-Unis ne vaut rien. C'est des foutaises complètes ! Elle est même nuisible car elle crée un faux sentiment de sécurité », affirme-t-il, ajoutant : « Nous pourrions entrer en guerre avec l'Allemagne et la Russie et prétendre que tout baigne au motif que nous avons fait une pipe aux Américains ! ». À l’époque, cette affaire douche tous les espoirs de Radoslaw Sikorski de prendre la relève d'Anders Fogh Rasmussen à l'Otan ou de Catherine Ashton à la diplomatie européenne.Les membres du parti Droit et Justice, désormais dans l’opposition, pourraient aussi être tentés de raviver cette affaire vieille de près d’une décennie. « Il y a une dimension personnelle, ces gens-là se côtoient depuis longtemps et ont beaucoup de choses à se reprocher », affirme Lukas Macek. Ministre de la Défense du gouvernement de Jaroslaw Kaczynski, Radosław Sikorski en avait claqué la porte en 2007. Depuis, les relations entre les deux hommes sont exécrables.Front de l’EstAvec le chef de la diplomatie suédoise Carl Bildt, Radoslaw Sikorski avait été l'un des principaux initiateurs du Partenariat oriental, lancé par l’Union européenne vis-à-vis des anciennes Républiques socialistes soviétiques telles que l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie. Soutien des autorités arrivées au pouvoir à Kiev après le renversement du président Viktor Ianoukovitch en 2014, il avait participé en tant que ministre des Affaires étrangères, aux côtés de ses homologues français et allemand, aux négociations entre le pouvoir et l’opposition lors de la révolution du Maidan.Engagé dans l’aide à l’Ukraine en guerre, il s’est déplacé près du front de l’Est pour emmener des véhicules aux unités de l'armée ukrainienne. « Radoslaw Sikorski est un homme qui comprend très bien la politique orientale. Je pense que l'Ukraine bénéficiera d'un nouvel élan grâce au soutien polonais », affirme l’ancien diplomate Pavel Latouchka, figure de l’opposition biélorusse en exil à Varsovie, qui l’a rencontré pour la première fois en 2007 lorsqu’il était ambassadeur de Biélorussie en Pologne. « Il comprend aussi parfaitement ce qu'il se passe en Biélorussie. Il parraine le prisonnier politique Sergei Tikhanovsky, époux de Svetlana Tikhanovskaya. C’est un homme qui n'a pas peur d'exprimer son point de vue, et qui le formule de façon très claire. C'est un homme qui est prêt à prendre des risques », poursuit le chef du groupe d’opposition biélorusse National Anti-Crisis Management.Excellent anglophone, doté d’une ambition européenne, Radoslaw Sikorski pourrait, après son mandat de ministre être tenté par d’autres horizons. « Il pourrait sans doute encore aspirer à une position internationale de premier plan, estime Valentin Behr, qu'elle soit européenne ou à l'Otan. »À lire aussiPologne: Donald Tusk présente son discours de politique générale devant le Parlement
12/17/2023 • 4 minutes, 14 seconds
Serbie: Aleksandar Vucic, maître du tempo politique
Dans une semaine exactement les électeurs serbes sont appelés à voter. Normalement, cette année il n’était question que d’élections municipales, mais après la dissolution du Parlement le 1er novembre 2023, et une année marquée par un important mouvement de protestation, les Serbes sont également appelés à voter dans le cadre d'élections législatives. Une décision prise par le président Aleksandar Vucic, moins de deux ans après les dernières élections. En agissant ainsi, le président serbe, en place depuis 2017, démontre encore une fois qu’il est le maître du tempo politique. Son parti devrait en toute logique s’imposer. Il faut dire qu’Aleksandar Vucic, qui est notre Européen de la semaine, a mis en place un système qui ne laisse aucune chance aux autres formations politiques.Il n’a que 53 ans, et pourtant Aleksandar Vucic est certainement la figure politique la plus ancrée et la plus importante en Serbie. Membre du parti radical serbe qu’il rejoint en 1993, nationaliste et conservateur, il entre au gouvernement dès 1998, en tant que ministre de l’Information. Il prend ensuite la tête de sa formation politique, devient député jusqu’en 2008. Exclu de son parti, il rejoint le SNS, le parti progressiste serbe, en 2008. En 2012, il est nommé ministre de la Défense et vice-président du gouvernement, avant d’en prendre la présidence en 2014 jusqu’à son élection en tant que président de la République serbe en 2017. Alliances politiques et clientélismeUn parcours qui a permis à ce juriste de formation de mettre en place un système qui aujourd’hui fait encore ses preuves. « Il y a plusieurs éléments, mais c'est vrai qu’un des éléments, c'est que les médias étant contrôlés (40% du temps de diffusion est consacré à monsieur Vucic, 80% des informations sont positives), l'espace médiatique pour les oppositions et pour les messages d'opposition est extrêmement réduit, explique Florent Marciacq, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales et codirecteur de l'Observatoire des Balkans. C'est le premier élément. Le second élément, c'est que monsieur Vucic, au cours de ses différents mandats, a consolidé des alliances politiques, également clientélistes, avec certains partis et certaines personnalités pour régner justement sur la Serbie. Ce qui est plus compliqué pour les forces d'opposition qui sont souvent issues de mouvements de protestation qui ne disposent pas de ces partis traditionnels comme alliés, de ces alliances que monsieur Vucic a pu bâtir au fil des ans. »Aleksandar Vucic a mis en place un système redoutable, avec près de 700 000 adhérents à son parti. Selon Florian Bieber, politologue et historien, spécialiste des conflits ethniques et du nationalisme dans les Balkans, il est sûr de se maintenir au pouvoir :« Pour obtenir un travail en Serbie, il faut être membre du parti. Aleksandar Vucic utilise tous les mécanismes possibles. Les membres de sa formation doivent voter pour le parti, les gens employés par l'État doivent aussi prouver que les membres de leur famille, par exemple, votent pour le parti au pouvoir. Il y a tout un répertoire des moyens pour assurer ou pour aider aux victoires électorales. »Aleksandar Vucic utilise aussi les moyens de l’État pour mieux contrôler les électeurs. Il faut dire que c’est la quatrième fois depuis qu’il est président, donc depuis 2017, qu’il dissout l’Assemblée, ce qui fait que les Serbes vivent pour ainsi dire une campagne électorale permanente. Une campagne où il est omniprésent. « Dans un clip du parti au pouvoir, il y a une scène où il sort du frigo. Ça se passe dans un appartement en Serbie. La famille parle de politique, quelqu’un ouvre le frigo et voilà Vucic qui sort du frigo pour leur expliquer ce qu'il a fait de bien pour les Serbes. C'est une image qui prouve qu’il est omniprésent », indique Florian Bieber.Un système bien rôdéAleksandar Vucic, après le mouvement de protestation du mois de mai dernier qui dénonçait entre autres la violence dans la société serbe, des manifestations qui ont remis quelque peu en question sa gestion des affaires, veut retrouver toute son autorité, d’où ces élections. « Sa popularité a un petit peu diminué ces dernières années, surtout depuis les dernières élections, ce qui l'a amené à avancer des nouvelles élections anticipées de façon, comme il le fait à son habitude, à décider du tempo de l'agenda politique, à imposer des délais courts aux campagnes et bénéficier un petit peu de cet élan en remobilisant un petit peu ses troupes », explique Florent Marciacq.Le système Vucic est donc bien rodé. Un système qui remet en cause les principes démocratiques en Serbie. Mais peu importe puisque cette année, comme lors des élections législatives précédentes, le Parti progressiste serbe devrait s’imposer avec un Aleksandar Vucic qui ressemble de plus en plus à un autocrate.
12/10/2023 • 4 minutes, 15 seconds
Sadiq Khan, le maire de Londres fragilisé par sa politique anti-pollution
Il co-préside le C40, la coalition des villes qui veut profiter de la COP28 à Dubaï pour faire avancer la cause environnementale : le maire travailliste de Londres Sadiq Khan s’est imposé comme l’un des plus fervents avocats de la lutte contre la pollution automobile. Mais sa politique environnementale a un prix très lourd : des militants pro-voitures le menacent, à tel point que sa sécurité personnelle a dû être renforcée. Sa réélection l’année prochaine pourrait en être remise en cause. C’est en 2019 que la Zone de basse émission entre en vigueur dans le centre de Londres, objectif affiché par le maire de la capitale britannique : réduire le nombre de véhicules polluants en circulation et lutter ainsi contre la pollution de l’air. Le principe en est simple : tout véhicule considéré comme non conforme et trop polluant devra payer une taxe de 12 livres sterling par jour, environ 14 euros.Pour encourager les automobilistes à changer de voiture, une subvention de 2 000 livres (un peu plus de 2 300 euros) est prévue par la mairie. La première ULEZ (Ultra Low Emission Zone) concernait le centre de la capitale britannique, mais l’été dernier, Sadiq Khan décide de l’étendre à la grande banlieue et donc à des zones où l’accès aux transports en commun n’est pas évident. La réaction est très violente : l’extension de la zone provoque une tempête politique majeure au Royaume-Uni et un déferlement de haine à l’encontre du maire de Londres. « En tant que premier maire musulman de Londres, et en tant que fils d’immigrants, Sadiq Khan a toujours été pris à partie très violemment, notamment sur les réseaux sociaux, mais cela a certainement empiré avec sa politique anti-pollution », relève le journaliste Karl Mathieusen, qui a publié sur le site Politico une longue enquête consacrée au maire de Londres et à sa politique environnementale. « Les opposants à la Zone basse émission ont manifesté devant son domicile, en le menaçant alors que ses enfants étaient là. Il s’est fait harceler dans la rue, il a reçu des menaces de mort à tel point qu’il a été obligé de renforcer sa sécurité. Aujourd’hui, il est aussi protégé que le Premier ministre ! »Un double bouleversementSadiq Khan est aujourd’hui reconnu comme l’un des maires les plus en pointe sur la lutte contre la pollution, et pourtant sa prise de conscience environnementale est venue tardivement. Avocat de formation, il s’intéresse d’abord, durant sa carrière, aux questions sociales et aux droits des minorités – mais assez peu à l’écologie, à tel point qu’il acquiert un véhicule tout-terrain pour se déplacer dans les rues de Londres.Tout change au mitan des années 2010, à la faveur de deux évènements qui vont bouleverser sa vie, et changer son regard sur les questions environnementales. « Il s’est mis à souffrir d’asthme après s’être entraîné pour le marathon de Londres, et il s’est rendu compte de l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé, raconte Karl Mathiesen. Ensuite, il a rencontré Rosamund Adoo-Kissi-Debrah, dont la fille est morte à l’âge de 9 ans à la suite d’une crise d’asthme aigüe provoquée par la pollution automobile. Il m’a confié que cette histoire l’avait d’autant plus touché que la petite Ella avait à peu près le même âge que sa propre fille. »À écouter aussiL'Europe face au réchauffement climatiqueÉlu maire de Londres en 2016, Sadiq Khan va tout faire pour que la mort de la petite Ella soit reconnue officiellement comme ayant été provoquée par la pollution de l’air, une première au Royaume-Uni. Et il va faire de la lutte contre la pollution automobile l’une de ses grandes priorités. Une politique si contestée qu’à l’été dernier, elle provoque la défaite du candidat travailliste lors d’une élection partielle dans la banlieue de Londres – et ce alors que le parti conservateur est en pleine déconfiture.« À l’origine de cette défaite, il y a l'inflation et le fait qu'effectivement, la politique environnementale de Sadiq Khan a un certain coût, relève l’universitaire Aurélien Antoine, directeur de l’Observatoire du Brexit. Et cette politique a été perçue comme visant des citoyens lambda qui souffrent déjà de la crise économique. C’est un peu la goutte d'eau qui fait déborder le vase, en particulier à Londres, où les augmentations de loyers sont absolument invraisemblables… »Tourmente politiqueLa défaite du candidat travailliste dans la circonscription d’Uxbridge, imputée au rejet de la Zone de basse émission, va avoir un impact national immense, avec un recul très net de la cause environnementale. Les travaillistes eux-mêmes reprochent à Sadiq Khan d’avoir maintenu l’extension de la zone, et les conservateurs au pouvoir s’en sont emparés comme d’un épouvantail absolu. « Depuis cette élection partielle, le Premier ministre Rishi Sunak a remis en cause toute une série de politiques environnementales : sur les véhicules électriques, sur les chaudières à gaz, note le journaliste Karl Mathiesen. Et il a accusé les travaillistes de vouloir faire la guerre aux automobilistes. Une grande partie du discours politique est devenu beaucoup plus clivant et, malheureusement pour Sadiq Khan, c’est en partie à cause de sa politique anti-pollution et de la réaction qui a suivi. »Pris dans une tourmente politique majeure, Sadiq Khan voit sa cote de popularité plonger, mais il assume sa politique, affirmant qu’elle ne remettra pas en cause sa réélection à la mairie de Londres l’année prochaine. Le maire de Londres a beau ne jamais avoir perdu d’élection durant sa carrière politique, le scrutin sera observé avec beaucoup d’attention dans toutes les grandes villes européennes où la lutte contre la pollution automobile est devenu également un enjeu électoral.À lire aussiRoyaume-Uni: la ville de Nottingham entre dans la liste des cités en faillite
12/2/2023 • 4 minutes, 3 seconds
Geert Wilders, le tribun d’extrême droite au seuil du pouvoir aux Pays-Bas
C’est une très nette victoire de l’extrême-droite dans les urnes. Le PVV, le parti de Geert Wilders, est arrivé en tête des élections législatives mercredi 22 novembre en remportant 37 sièges sur les 150 de la chambre basse du Parlement néerlandais. Une victoire qui pourrait permettre au dirigeant populiste, aujourd’hui âgé de 60 ans, d’arriver au pouvoir, à condition bien sûr de parvenir à former une coalition. Geert Wilders et son Parti de la liberté (PVV) devenu la première force politique néerlandaise : c’est une première dans ce pays et c’est un évènement que personne n’avait anticipé. À commencer par les instituts de sondages qui avaient noté dans tous les derniers jours de campagne une dynamique en faveur de l’extrême droite, mais qui n’avaient pas vu venir cette victoire très large. Au lendemain du vote, c'est donc en effet une énorme surprise pour les observateurs de la scène politique néerlandaise. « C’est un choc énorme, un tremblement de terre », souffle le journaliste néerlandais Ariejan Korteweg, ancien correspondant à Paris du journal De Volkskrant. « Cela signifie que le centre ne tient plus, que le centre politique est en panne, comme ailleurs en Europe. Ce sont les extrêmes qui gagnent des voix et cela bénéficie surtout aux extrêmes droites ». C’est surtout lors du scrutin de 2017, finalement remporté par le VVD de Mark Rutte, que l’attention s’était portée sur Geert Wilders, alors comparé à Donald Trump – tant pour ses prises de positions radicales et son positionnement populiste que pour sa coiffure excentrique et peroxydée. Mais c’est bien en 2023 que le tribun d’extrême droite emporte la mise. Qu’est-ce qui aura changé dans l’intervalle ? Le fait que tous les partis du centre et de droite ont choisi de « durcir » leur discours et leur positionnement sur le grand cheval de bataille de l’extrême droite, à savoir l’immigration. Mais aussi une stratégie de dédiabolisation « à la néerlandaise » qui semble avoir pleinement fonctionné, et qui a permis à son parti de convaincre au-delà de sa base. « Il a donné un visage beaucoup plus modéré que pendant les 15 dernières années, et c’était une grande surprise, explique Ariejan Korteweg. La plupart des gens ne veulent pas de ces propositions extrémistes, mais ils voulaient un Wilders modéré et c’est ce qu’il leur a donné. » À écouter aussiVictoire de l’extrême droite aux Pays-Bas : «L’immigration a poussé beaucoup d’électeurs à voter Wilders»Un ton plus modéréGeert Wilders a donc adopté un discours plus modéré – au point que certains l’ont affublé durant la campagne du sobriquet de Mild Wilders (« Wilders léger » en anglais) ! Un changement notable pour ce polémiste qui avait habité les Néerlandais à des prises de position radicales, notamment à l’encontre de l’islam. Ses discours contre les musulmans, contre les migrants et les ressortissants d’origines étrangères lui ont valu à plusieurs reprises d’être poursuivi en justice, et de recevoir plusieurs menaces de mort, ce qui lui vaut de vivre sous escorte depuis des années.Mais, si son discours se fait plus modéré, son programme, lui, n’a pas changé. « C’est le ton qui a changé, le programme reste toujours fondé sur une rhétorique très anti-islam », pointe Christophe de Voogd, historien et président du Conseil scientifique de la Fondapol. « Par exemple, il veut tout simplement arrêter l’accueil des demandeurs d’asile. Il veut interdire les écoles musulmanes et le port du voile dans les services publics, y compris pour les usagers, et il veut inscrire le caractère judéo-chrétien de la culture hollandaise dans la Constitution. » À lire aussiPays-Bas : début des délicates négociations en vue d’une coalition gouvernementaleTractations délicatesCe programme anti-islam est bien connu des Néerlandais, mais cette fois, durant cette campagne électorale, Geert Wilders a plutôt insisté sur l’économie, sur le pouvoir d’achat, sur les difficultés du quotidien. « Les Pays-Bas sont confrontés à une très grave crise du logement », souligne Christophe de Voogd, « et l’astuce de Geert Wilders a été de faire le lien avec le droit d’asile en disant qu’il était absurde de donner la priorité aux réfugiés alors qu’il n’y a pas assez de logements pour les Néerlandais. Son thème général, son thème transversal, c’est qu’il faut arrêter de gaspiller l’argent pour les autres et le garder pour les Néerlandais. Et cela vaut pour l’aide aux demandeurs d’asile comme pour l’aide au développement, qu’il veut supprimer. »Mais sera-t-il en mesure de mettre en œuvre ce programme radical ? Rien n’est moins sûr, car pour parvenir au pouvoir, Geert Wilders va devoir faire des concessions importantes. Avec 37 sièges, il est loin de la majorité nécessaire au Parlement, et il va devoir nouer des alliances. Ce devrait être aisé avec le Mouvement agriculteur-citoyens (7 sièges), mais plus ardu avec le Nouveau contrat social de Pieter Omtzigt (20 sièges) et le VVD, le parti de centre droit au pouvoir depuis 13 ans (24 sièges). Les tractations qui vont s’engager vont durer sans doute des semaines et elles seront suivies avec beaucoup d’attention en Europe. Car, si Geert Wilders parvient à former un gouvernement, cela aura également des répercussions au niveau européen : l’homme est en effet un farouche opposant à la construction européenne, et a même promis d’organiser un référendum sur le maintien de son pays au sein de l’UE. Même s’il reste aux portes du pouvoir, et même s’il échoue à enclencher le « Nexit », Geert Wilders avec cette victoire électorale aura en tout cas renforcé de façon éclatante le camp de l’extrême droite, à moins de sept mois des élections européennes.
11/26/2023 • 4 minutes, 39 seconds
Carles Puigdemont, l’indépendantiste exilé devenu faiseur de roi en Espagne
Carles Puidgemont va pouvoir rentrer en Espagne en homme libre après six ans d’exil. Le dirigeant politique catalan va faire son retour dans son pays grâce à un accord signé avec le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez. L’ancien président de la région de Catalogne va bénéficier d’une amnistie. Un retour fracassant qui a agité la vie politique espagnole ces derniers jours. Et c’est depuis Bruxelles, sa ville d’exil, que Carles Puidgemont a pu savourer cet instant devant la presse : enfin un billet retour pour l’Espagne.« Nous entrons dans une nouvelle étape inédite. Une étape dont le parcours et l'ambition dépendront en grande partie de nous... Nous n'avons fixé d'autre limite que la volonté du peuple catalan ». Carles Puidgemont était prêt à tout pour rentrer au pays.Maria Elisa Alonso est maître de conférence à l’université de Lorraine, spécialiste des partis politiques en Espagne. Elle n’est pas surprise par ce coup de poker. « Je m’y attendais depuis très longtemps, puisque ce n’est pas seulement parce que Carles Puidgemont avait besoin de Pedro Sanchez. C’est qu’en plus, Pedro Sanchez avait besoin de lui. Du coup, il a saisi l’occasion qui lui est tombée entre les mains. »Bruxelles, base arrière de sa résistanceDepuis six ans, Carles Puidgemont vit à Waterloo, au sud de Bruxelles. Il en fait le camp de base de sa résistance. Sa femme et ses deux filles font toujours l’aller-retour entre la Belgique et Gérone, en Catalogne, dont il a été le maire.Oriol de Balanzo est journaliste pour RAC1, la radio la plus écoutée de Catalogne. Il avait rencontré le leader indépendantiste 15 jours après sa fuite d’Espagne : « C’est un homme super direct, affable, facile à traiter. Un homme qui donne le sentiment de vous écouter et qui a toujours une réponse facile que tout le monde peut comprendre. »Quel accueil dans son pays ?Pour l’instant, difficile d’imaginer un retour triomphal. L’indépendantisme est en perte de vitesse en Catalogne. Et signer un accord pour assurer la survie du pouvoir en place ne lui donne pas vraiment des points auprès des indépendantistes les plus radicaux, qui le traitent déjà de « traître ».Pour l’universitaire Maria Elisa Alonso, Carles Puidgemont prend énormément de risques avec ce compromis. « On ne sait pas si cette chance qu’il a eue de survivre va continuer, ou s’il va être perçu par les indépendantistes comme un traître. Donc peut-être, il est en train de marquer la fin de l’indépendantisme ou la fin de sa vie politique, parce qu’il a toujours critiqué l’Espagne, il a toujours cherché l’ingouvernabilité, le blocage de l’Espagne qu’il considérait comme un État envahisseur. Là, il va donner cette gouvernabilité à Pedro Sanchez, c’est une contradiction par rapport à ce qu’il disait avant. »On ne sait pas encore ce que va faire Carles Puidgemont une fois rentré en Espagne. L’eurodéputé pourrait se représenter aux élections européennes de juin 2024. À presque 61 ans, il n’a renoncé à rien et son objectif ultime serait bien de reprendre la tête de la Catalogne.Maria Elisa Alonzo en est persuadée. « À mon avis, son but, c'est de revenir en Catalogne pour se représenter aux élections. Reste à voir si son parti va le lui permettre… »Un retour au pays qui prendra du tempsL’autre question, c’est de savoir quand Carles Puidgemont pourra remettre les pieds en Espagne. Il faut d’abord que la loi d’amnistie passe au parlement et que tous les recours judiciaires soient éteints. Et ça pourrait prendre beaucoup de temps, prédit le journaliste catalan Oriol de Balanzo.« Je ne crois pas qu’on verra Carles Puidgemont rentrer à Barcelone dans les prochains mois. Ça va durer, ça va être assez long. Ça serait vraiment une surprise si on voit Carles Puidgemont rentrer en Catalogne dans les prochains mois. »La fin de l’exil n’est pas pour tout de suite. Un prochain référendum d’indépendance en Catalogne, non plus.Le sujet est renvoyé à de vagues discussions futures. Pour avoir une chance de revenir sur sa terre natale, Carles Puidgemont est prêt – au moins pour un temps – à mettre entre parenthèses le combat de sa vie.À lire aussiEspagne: rassemblement à Madrid contre l'amnistie en faveur des indépendantistes catalans
11/19/2023 • 4 minutes, 40 seconds
Özgür Özel, homme providentiel ou simple intérimaire à la tête de l’opposition turque?
Dimanche 5 novembre, les partisans du CHP (le parti républicain du peuple), principale formation de l’opposition en Turquie, ont décidé de changer de cap en choisissant Özgür Özel comme nouveau président de leur parti. Ce député de 49 ans, inconnu sur la scène internationale et à peine plus sur la scène politique turque, a désormais la tâche de redonner un nouvel élan à ce parti formé il y a cent ans par le père de la République turque, Mustafa Kemal Atatürk, mais aussi de retisser des liens avec les autres formations de l’opposition. L’évocation de son nom ne réveille pas de sentiment particulier. Özgür Özel, inconnu pour nombre d’experts de la politique turque, n’est pas un animal politique à proprement parler. Député et membre du CHP, le Parti républicain du peuple depuis 2011, et vice-président du groupe parlementaire du CHP à la Grande Assemblée nationale entre 2015 et juin 2023, ce pharmacien de profession, âgé de 49 ans, a pourtant été élu pour diriger la principale formation de l’opposition turque.Une élection facilitée par le jeu des alliances, explique Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient : « Certes, il est député depuis déjà plusieurs mandats, mais pour autant, ça n'est jamais apparu comme un ténor politique qui se soit fait remarquer par des prises de position ou par un combat particulier. La victoire qui l'a emporté lors du dernier Congrès est nette et sans appel. Et il faut souligner que Özgür Özel a remporté cette victoire grâce à un soutien et donc une alliance avec les partisans du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, qui, lui, jouit d'un véritable prestige au sein des militants et plus largement d'une partie de l'électorat turc. »Un changement nécessairePlus à gauche que son prédécesseur Kemal Kılıçdaroğlu, Özgür Özel doit redonner une orientation politique à sa formation et rétablir la confiance avec les autres formations de l’opposition. Une confiance brisée lors de la campagne pour le second tour de l’élection présidentielle, détaille Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul, la faute au discours anti-immigration adopté par Kemal Kılıçdaroğlu : « Kemal Kılıçdaroğlu avait suscité beaucoup d'espoir parce qu'il était parvenu à rassembler une coalition de partis assez hétéroclite. Et donc, il avait donné l'impression de pouvoir rassembler une majorité avec des chances de l'emporter. Les sondages lui donnaient d'ailleurs un certain nombre d'espoirs à ce sujet. Ils étaient souvent très positifs. Mais finalement, il s'est avéré que ses stratégies au deuxième tour ont été contestées. »Après 13 années à la tête du CHP, des années marquées par les défaites électorales face à l’AKP de Recep Tayyip Erdogan, Kemal Kılıçdaroğlu n’était donc plus l’homme de la situation. Une opportunité qu’a su saisir Özgür Özel qui va désormais devoir s’attacher à convaincre les autres formations de l’opposition pour former à nouveau une coalition avant les élections municipales de 2024.Une mission qui s’annonce compliquée, estime Didier Billion : « Tout est à reconstruire. Les relations entre les différents partis d'opposition sont très mauvaises actuellement. Nous savons d'ores et déjà qu'Özgür Özel a pris des contacts avec ses homologues. Ça va faire partie de ses tâches dans les jours et les semaines à venir que de revoir, de rencontrer les autres partis d'opposition et si possible reconstituer une plateforme d'opposition. Mais la tâche va être rude. Aujourd'hui, il y a plutôt un sentiment d'animosité et de concurrence entre les différentes composantes de l'opposition que de volonté de coopérer, de se projeter dans l'avenir en commun. »Chef d’orchestre ou futur candidat ?Özgür Özel est donc en quelque sorte celui qui a pour mission de fixer un nouveau cap à sa formation politique et de ressouder l’opposition autour de sa formation. Mais a-t-il la carrure d’un futur présidentiable ? Pour Jean Marcou, seules les prochaines échéances permettront de le savoir : « Est-ce que Özgür Özel va être l'homme d'appareil, celui qui va refonder le parti pour le mettre au service d'un candidat qui aurait plus de charisme ? Tout le monde pense à Ekrem Imamoglu. Ou au contraire, est-ce qu'il va vraiment entrer dans la course pour le leadership ? Je crois que c'est une question qui va se poser dans les prochains mois et qui va être tranchée probablement d'ici les prochaines élections municipales. »D’ici là, Özgür Özel va pouvoir utiliser sa nouvelle fonction pour se faire connaître et développer un certain charisme. Et si d’aventure l’actuel maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, n’est pas prolongé pour un nouveau mandat lors des élections municipales, il pourrait bien alors devenir le principal adversaire de l’indéboulonnable Recep Tayyip Erdogan.
11/12/2023 • 4 minutes, 5 seconds
Alexeï Kouzmitchev, un discret mais puissant magnat russe
L’oligarque russe Alexeï Kouzmitchev a été mis en examen en France pour blanchiment de fraude fiscale. Il a été interpelé lundi 30 octobre dans le Var, ses propriétés à Paris et Saint-Tropez ont été perquisitionnées. La justice française cherche aussi à savoir s’il ne s’est pas soustrait aux sanctions européennes qui le visent. Le magnat a été placé sous contrôle judiciaire. Il a dû verser une caution de 8 millions d’euros et a pour interdiction de quitter le territoire français. L'Union européenne le considère comme « l'une des personnes les plus influentes de Russie », qui entretiendrait des liens étroits avec le président russe Vladimir Poutine. Pour autant, contrairement à d’autres magnats russes, il reste une personnalité peu connue du public. Un homme très discret, qui donne peu d’interviews : le milliardaire au crâne chauve, âgé de 61 ans, protège sa vie personnelle. Tout juste sait-on que ce père de trois enfants est un amateur d’art contemporain. Co-fondateur en 1989 d’Alpha Group, l’un des plus grands conglomérats financiers et d’investissement privés de Russie, puis, en 2013, du fonds d’investissement Lettre One, dont le siège est au Luxembourg, Alexeï Kouzmitchev est beaucoup moins dans la lumière que ses partenaires commerciaux Mikhail Fridman, German Khan et Piotr Aven.« C’est un personnage plutôt secret », note l’économiste Serguei Aleksashenko, ancien vice-ministre de l’Économie et gouverneur adjoint de la Banque centrale de la Fédération de Russie dans les années 1990, aujourd’hui exilé aux États-Unis, qui connaît les trois autres coactionnaires du groupe Alpha. « Autant que je me souvienne, il n’a jamais été chargé de la gestion opérationnelle des entreprises, au sein du groupe. Ce n’était pas un personnage public », complète l’ancien haut fonctionnaire russe.« Il ne s’est jamais occupé des relations avec l’État. Il a pu assister à certaines réunions, mais ça n’était pas sa tâche essentielle. Lui se concentrait plutôt sur les relations commerciales à l’international », raconte l’opposant en exil Vladimir Milov, qui a été vice-ministre de l’Énergie au tout début des années 2000 et dit l’avoir brièvement croisé il y a une vingtaine d’années. Quant à ses supposés liens « bien établis » avec le président russe - tel que cela figure dans le Journal officiel de l’UE — ils ne sont, en tout cas, pas publics. « Il vit en France depuis de nombreuses années, il a un passeport chypriote, il n’a rien à voir avec Alfa depuis vingt ans et n’a jamais rencontré Poutine », déclare un homme d’affaires qui le connaît, sous couvert d’anonymat, au journal russe en ligne Meduza.Personnage secret C’est lors de ses études à l’Institut de l’Acier et des Alliages de Moscou, dans les années 1980, qu’Alexeï Kouzmitchev fait la connaissance de Mikhail Fridman et German Khan, avec lesquels il fondera Alpha Group. Ces derniers, visés par les sanctions européennes et britanniques, ont fini par rentrer de Londres à Moscou. Alexeï Kouzmitchev a, lui, fait le choix de rester en France, ayant des attaches dans l’Hexagone. En avril 2020, en pleine épidémie de Covid, il finance le transport de 25 tonnes de matériel médical venu de Chine vers la ville de Nice, selon un communiqué de Flytrans. Le magnat russe possède un hôtel particulier à Paris, une villa à Saint-Tropez, et deux yachts amarrés sur la Côte d’Azur, gelés et saisis, mais pour lesquels il a engagé des actions en justice et partiellement obtenu gain de cause. « Sur les 110 milliardaires estimés en Russie, seuls quelques-uns ont dénoncé la guerre et sont partis à l’étranger, la majorité soutient la guerre ou du moins ne dit rien et continue de gérer ses actifs », affirme Peter Rutland, spécialiste de la Russie à l’université Wesleyenne (Connecticut). Alexeï Kouzmitchev fait partie d’une minorité, « celle qui tente de rester en Occident et essaye d’échapper aux sanctions, tout en faisant des déclarations sur la tragédie de cette guerre », soutient cet auteur d’un ouvrage sur les élites économiques russes (« Business And State In Contemporary Russia »). L’oligarque, qui se trouvait en France au moment où l’Union européenne l’a placé sur la liste des personnes sanctionnées, le 15 mars 2022, est resté très prudent dans ses commentaires sur l’invasion russe en Ukraine, affirmant, dans un entretien à Forbes, que sa mère était originaire d’Ukraine, qu’il y avait des amis et que la guerre « ne pouvait jamais être la solution ». Mais dénoncer la guerre du bout des lèvres ne fait pas de lui un opposant. « Les mots choisis devraient être différents, il s’agit de dénoncer une agression criminelle, inacceptable, qu’il faut arrêter », affirme Vladimir Milov. Le média en ligne russe d’investigation Proekt, classé « organisation indésirable » par Moscou, a publié les noms de 81 hommes d’affaires russes qui participent d’une manière ou d’une autre au financement du conflit en Ukraine. Alexeï Kouzmitchev y figure au même titre que les autres actionnaires d’Alpha Bank. « Nous l’avons placé sur cette liste parce que la banque, qui lui appartient en partie, a toujours prêté de l’argent à l’industrie de la défense, y compris après 2014 et l’annexion de la Crimée. En 2018, Alfa Bank a annoncé qu’elle cesserait de délivrer des crédits aux entreprises tombées sous le coup des sanctions, mais elle a continué à prêter aux entreprises militaires qui y échappaient, comme, par exemple, l’usine de cartouches de Toula, qui produit des munitions pour l’armée », détaille l’un des auteurs de l’enquête Vitaly Soldatskikh.Suite à la publication de sa liste d’oligarques sponsors de la guerre, la rédaction de Proekt a reçu un courrier d’Alfa Bank indiquant que les actionnaires cités dans l’article, y compris Alexei Kouzmitchev, étaient sortis du capital d’Alfa Bank, un mois après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. « Nous n’avons pas eu confirmation indépendante de cette information », note Vitaly Soldatskikh. Sanctions occidentales Inscrit sur la liste des personnes ciblées par les sanctions européennes, dans les premières semaines après le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, Alexeï Kouzmitchev a lancé une procédure pour faire annuler les sanctions européennes qui le visent. En septembre, trois hommes d’affaires russes, dont Alexandre Choulguine, le patron d’Ozon, « l’Amazon russe », ont obtenu de l’UE la levée de ces sanctions. Après son interpellation en France, le Kremlin a fait savoir qu’il était prêt à aider son ressortissant à « protéger ses droits ». Vladimir Milov n’exclut pas que le pouvoir russe cherche à le faire rapatrier, rappelant que les autorités sont « très critiques vis-à-vis de ceux qui sont partis » et « souhaitent arrêter la fuite des capitaux ». Cette affaire peut aussi servir à « effrayer les hommes d’affaires » établis à l’étranger, selon l’opposant. L’économiste Sergueï Aleksashenko estime, pour sa part, que le magnat russe arrêté en France pourrait être inclus, à l’avenir, dans un « fonds d’échange d’otage ».Pour autant, il y a peu de chances que le Kremlin fasse beaucoup de publicité à cette affaire. « Les oligarques ne sont pas populaires, les Russes ordinaires ont beaucoup de ressentiment envers eux », note Peter Rutland, estimant que « Vladimir Poutine ne va pas se lancer dans une sorte de campagne publique pour sauver Kouzmitchev parce que cela irait à l’encontre de l’image d’un président sévissant contre les hommes d’affaires corrompus ».
11/5/2023 • 4 minutes, 13 seconds
Christiane Benner, nouvelle patronne du premier syndicat d'Allemagne
Christiane Benner est le nouveau visage d’IG Metall. C'est la première fois qu'une femme prend la tête du premier syndicat d'Allemagne et le plus important du monde. Dans une industrie allemande en crise et face à la montée de l’extrême-droite, sa feuille de route est bien remplie. IG Metall, c’est plus de 2 millions d’adhérents et beaucoup de « métallos », à 80% des hommes qui manient la fraise ou le fer à souder dans les usines. Christiane Benner détonne dans cet univers très masculin. Elle a débuté comme secrétaire multilingue chez un fabricant de machines avant de monter un à un les échelons du syndicat.Elle a été élue lundi dernier à la tête d’IG Metall lors du congrès du syndicat à Francfort. « Nous demandons un État actif. Un gouvernement qui avance ensemble et de façon déterminée et des employeurs qui remplissent la mission qui leur a été attribuée par la constitution, selon laquelle la propriété va de pair avec une responsabilité », a-t-elle déclaré.Une présidente populaireChristiane Benner a été élue avec un score impressionnant : 96% des voix. Populaire auprès de ses troupes, mais aussi au-delà des frontières de l’Allemagne. Caroline Blot est tombée sous le charme. Elle est secrétaire fédérale CFDT Métallurgie en charge de l’Europe et elle a assisté à l’élection de Christiane Benner à Francfort.« Je l’avais croisée à plusieurs reprises quand elle était vice-présidente. Elle dégageait déjà une belle énergie, une envie de faire les choses », se souvient Caroline Blot. « Là, je l’ai trouvée très forte, elle a une super énergie et elle est très charismatique. »Un long chemin jusqu’à la tête d’IG MetallÀ 55 ans, cette ancienne handballeuse a eu l’habitude d’être la seule femme dans un monde d’hommes. Une force de caractère forgée dans son enfance, comme nous le raconte Michael Dreier, avocat allemand spécialiste en conflits sociaux.« Christiane Benner a montré toute sa vie qu’elle pouvait gagner des combats et qu’elle était prête à travailler dur. Elle vient d’une famille à faibles revenus, elle a dû aider sa mère dès son plus jeune âge », rappelle l'avocat, qui poursuit : « Être restée numéro deux pendant huit ans dans ce puissant syndicat, c’est le signe qu’elle est vraiment déterminée et qu’elle peut s’accrocher pendant longtemps. Vous savez, il y a un dicton en Allemagne qui dit que les églises et les syndicats sont les endroits les plus difficiles où travailler. »Personnalité très politiqueSi elle veut réduire les écarts de salaire, Christiane Benner a aussi un combat plus politique, contre l’extrême-droite. Christiane Benner est membre du parti social-démocrate d’Olaf Scholz. Quelle est sa proximité avec le chancelier allemand et est-ce une chance dans son rapport de force avec le gouvernement ?« En tant qu’adhérente du SPD, elle peut appeler le chancelier, « Olaf » ! Et c’est déjà une proximité. Mais bien sûr, c’est un avantage qu’elle soit membre du SPD », souligne Michael Dreier. « Et puis Olaf Scholz va l’écouter attentivement. Parce que si vous n’écoutez pas IG Metall, vous aurez des problèmes ! »La syndicaliste française Caroline Blot y voit aussi une chance pour Christiane Benner qui pourra influer de l’intérieur. « Ça va être un peu duale cette relation avec le gouvernement parce qu’il va falloir taper du poing sur la table pour redonner du droit aux salariés en Allemagne », explique-t-elle. « Et en même temps, essayer de comprendre ce qu’il se passe en étant membre du parti. Mais elle peut influencer les décisions du gouvernement en étant membre du SPD. »Christiane Benner devra naviguer dans un secteur en pleine période de turbulences, face à la transition énergétique et numérique. Mais IG Metall reste attractif : le syndicat a gagné de nouveaux membres l’an dernier et il est déjà implanté dans la future usine Tesla du pays. Un futur combat homérique à venir entre la nouvelle figure des métallos et Elon Musk.
10/29/2023 • 3 minutes, 59 seconds
Salomé Zourabichvili, une présidente géorgienne en résistance face à la Russie
C’est la plus française des chefs d’État étrangers. La présidente de la Géorgie – ancien pays soviétique de près de 4 millions d’habitants – est engagée dans un bras de fer avec son gouvernement pro-russe. Salomé Zourabichvili a échappé cette semaine à sa destitution réclamée par le parti au pouvoir. La France est sa première patrie, ses grands-parents et son père y ont fui l'invasion soviétique de 1921. Salomé Zourabichvili fera une carrière diplomatique fulgurante, elle enchaîne les postes à l'étranger avant d'être nommée en 2003 ambassadrice de France en Géorgie. Quinze ans plus tard, la fille de Géorgiens exilés est élue présidente de Géorgie.Mais aujourd'hui, elle vit une cohabitation plus que difficile avec son ancien allié devenu son principal opposant : Irakli Garibachvili. Le Premier ministre défend un rapprochement avec la Russie. C’est lui qui a la majorité au Parlement, lui qui a le plus de pouvoir. Alors Salomé Zourabichvili est-elle pieds et poings liés ?« Elle a très peu de pouvoir. Ses pouvoirs se sont réduits comme peau de chagrin ces dernières années, il y a eu des réformes constitutionnelles qui ont encore réduit les pouvoirs du président. Aujourd’hui, elle essaie de garder une distance équivalente entre l’opposition et le leader informel du pays, tout en s’opposant au gouvernement qui, d’après elle, mène le pays dans une direction opposée à la direction traditionnelle, très pro-européenne et très pro-occidentale », explique Tornike Gordadze, professeur à Sciences Po Paris et ancien ministre géorgien.Une présidente presque sans pouvoirs et un gouvernement qui multiplie les gestes envers la Russie malgré la guerre en Ukraine. Pas de sanctions économiques contre Moscou, retour des vols directs entre les deux pays… Tout l’inverse du reste de l’Europe occidentale.Cette influence pro-russe, Salomé Zourabichvili l’a dénoncée dès 2019 lors d’un mouvement de protestations contre Moscou. « Je pense que dans ce pays, et dans d’autres pays, il y a des tentatives de déstabilisation. Et c’est quelque chose qui doit vraiment nous inquiéter. On doit faire attention. C’est très facile dans un pays comme le nôtre de jouer sur les sentiments de la population et de monter les uns contre les autres », déclarait-elle sur l’antenne d’Euronews au moment de ces manifestations.Un combat pro-européenSalomé Zourabichvili a pu lancer le processus d’adhésion à l’Union européenne. Bruxelles dira en décembre si sa candidature est retenue. Une décision hautement stratégique. Pour l’observateur Tornike Gordadze, l’UE ne prendra pas le risque de voir la Géorgie s’éloigner du camp européen. « Très clairement, le gouvernement fait tout pour être en contradiction totale avec cet objectif de la Géorgie. L’Union européenne, de son côté, tente d’avoir une vision géopolitique : si on ne donne pas le statut à la Géorgie maintenant, l’influence russe ne va faire que grandir davantage. Le risque est également réel de voir la Géorgie décrocher de ce trio parmi les pays du partenariat oriental, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, et de se retrouver encore plus sous influence russe », précise l'ancien ministre.Les prochaines élections législatives en 2024 seront cruciales. Encore faut-il que l’opposition parvienne à se rassembler et que le scrutin soit propre. « Ce qui est important, c'est que ces élections législatives se déroulent dans des conditions honnêtes, ce qui n’est pas du tout garanti. Les dernières élections en Géorgie ont été marquées par des violations, par l’emploi massif de corruption, d’achats de votes… La communauté internationale et surtout l’Union européenne devrait lier la question de l’adhésion à cette question d’élection », souligne Tornike Gordadze.À 71 ans, Salomé Zourabichvili n’est pas candidate à sa succession, mais son combat pro-européen reste soutenu par plus de 80% de la population.
10/21/2023 • 3 minutes, 34 seconds
Nikol Pachinian, un Premier ministre face à la défaite du Haut-Karabakh
Après la capitulation des autorités du Haut-Karabakh, région enclavée au sein de l’Azerbaïdjan, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian s’est retrouvé sous le feu des critiques dans son pays. La rue et l’opposition exigent sa démission pour avoir « trahi les intérêts du peuple arménien », selon ses détracteurs. Le dirigeant arménien avait pourtant été adulé en 2018 lors de la « révolution de velours ». Il est aujourd’hui détesté. Coincé, sous pression, Nikol Pachinian n’entend pourtant pas céder aux appels à la démission. Le Premier ministre arménien n’a pas envoyé de troupes pour porter secours au Haut-Karabakh lors de l’offensive azerbaïdjanaise le 19 septembre. Et la rue le lui reproche. Mais malgré la contestation, il tient à son fauteuil de Premier ministre : « Si j'entendais dire que ma démission normaliserait la situation, je le ferais dans la seconde », a-t-il déclaré le 4 octobre devant le Parlement arménien.À 48 ans, Nikol Pachinian incarne une nouvelle génération de dirigeants arméniens qui ont peu connu l’Union soviétique. Ancien journaliste politique, sans expérience militaire, il a surtout fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Un profil qui dénote avec ses prédécesseurs, souligne Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Ifri) : « C'est un homme qui ne vient pas du sérail politique ni du Haut-Karabakh, contrairement aux anciens présidents Kotcharian et Sarkissian. Il a une sorte de liberté par rapport à ses prédécesseurs qui lui a permis de tenter un rapprochement avec le président azerbaïdjanais Ilham Aliev à certains moments et qui lui donne un regard plus froid sur le Haut-Karabakh. » C’est pourtant lui qui est tenu responsable de l’impasse actuelle par une majorité des Arméniens.Fragilisé par la chute du Haut-KarabakhDepuis la chute du Haut-Karabakh, la situation politique à Erevan est incertaine, et Nikol Pachinian fragilisé : « Le Haut-Karabakh étant le berceau de la civilisation arménienne, tout Arménien, quelles que soient ses convictions et ses orientations politiques, ne peut être que déstabilisé », relève Gaïdz Minassian, journaliste au Monde et enseignant à Sciences Po. « Nikol Pachinian avait fondé sa révolution et sa prise de pouvoir sur la lutte contre la corruption et sur le retour de la dignité de la personne et de la citoyenneté en Arménie, un élan victorieux quelque part. Et là, il enregistre un fiasco : la perte du Haut-Karabakh. »À lire aussiLa crise du Haut-Karabakh en cinq questionsComment sortir du fiasco pour Nikol Pachinian ? Par la paix avec Bakou ? Mais peut-il conclure un accord avec son adversaire azerbaïdjanais, le président Ilham Aliev ? Les deux dirigeants sont censés se retrouver d'ici à la fin octobre pour des négociations sous l’égide de l’Union européenne. « Il a tout intérêt à faire en sorte que l’Arménie, grâce à une paix éventuelle, trouve sa place dans la région », explique Gaïdz Minassian. « Mais la question est de savoir si son interlocuteur azerbaïdjanais a les mêmes intentions. Ilham Aliyev doit tenir compte d’une réalité, mais est-ce qu’il ne va pas chercher à jouer plutôt le rapport de force en faisant croire d’un côté qu’il négocie, et de l’autre côté, au moment où on s’attend à ce qu’il signe une paix, il retire sa signature ou il temporise ? »Sur quelles alliances compter ?Pour enfin parvenir à la paix, Nikol Pachinian a besoin d’un soutien extérieur. Mais il ne croit plus à l’alliance historique avec la Russie, qu’il accuse de n’avoir rien fait pour empêcher la victoire de l’Azerbaïdjan au Karabakh. Alors vers qui d’autre se tourner ? Les Européens semblent trop concentrés sur le front ukrainien pour éparpiller leurs forces dans le Caucase. Surtout, ils ne sont pas pressés de renoncer au gaz azerbaïdjanais. « Je ne vois pas d’autre pays que la Russie pour envoyer des troupes et maintenir la paix », pointe Jean de Gliniasty (Ifri). « La Russie parle à l’Azerbaïdjan et équipe l’Arménie en matériel. Pachinian diversifie ses interlocuteurs, mais il a besoin fondamentalement de la Russie. Il n’y a pas d’autre garant des frontières de l’Arménie pour l’instant que la Russie. »L’Arménie est confrontée à des menaces sécuritaires constantes. Après le Haut-Karabakh, le pays craint d’être la prochaine cible de Bakou. Alors faute d’un concurrent sérieux capable de l’évincer du pouvoir, Nikol Pachinian continue à endosser le poids de la résistance arménienne.À écouter aussiGéopolitique, le débat - Caucase: théâtre d'un grand jeu
10/14/2023 • 3 minutes, 45 seconds
Jaroslaw Kaczynski, le marionnettiste des conservateurs polonais
Dans une semaine, le dimanche 15 octobre, les électeurs polonais sont appelés à voter dans le cadre des élections législatives. Un scrutin qui pourrait permettre au PiS, le parti Droit et Justice, qui dirige le pays depuis 2015, de conserver le pouvoir. Créditée de plus de 35 % d’intentions de vote, soit moins que lors des précédentes législatives, cette formation emmenée par Jaroslaw Kaczynski pourrait s’allier à l’extrême droite pour former un gouvernement s’il n’obtient pas la majorité à lui seul. Après une campagne électorale marquée par un tournant encore plus à droite du PiS qui n’a de cesse de polariser une société polonaise déjà divisée, Jaroslaw Kaczynski pourrait bien devenir le prochain Premier ministre, à moins qu’il préfère rester dans l’ombre. Il est difficile de parler de Jaroslaw Kaczynski sans évoquer son frère jumeau Lech Kaczynski, avec qui il a construit sa carrière politique et surtout sans évoquer le décès de ce dernier, le 10 avril 2010. Une disparition qui a donné une nouvelle orientation à cette figure politique qui avait un temps travaillé avec Lech Walesa estime Frédéric Zalewski, maître de conférences en science politique à l’Université Paris-Nanterre et chercheur à l’ISP (Institut des sciences sociales du politique).« Dans les années 1990, il avait un petit peu disparu de la scène politique. Il a bénéficié en fait à partir des années 2000 du lancement du parti Droit et justice, mais qui était principalement l’œuvre de son frère Lech Kaczynski, ce qui a remis Jaroslaw Kaczynski au centre du jeu, mais plutôt au centre des négociations politiques pour former des gouvernements pour former des coalitions. Et il a acquis un rôle de premier plan uniquement à partir des années 2010, après la disparition de son frère lors de la catastrophe de Smolensk, c'est-à-dire lors du crash de l’avion présidentiel à Smolensk en Russie en 2010. »Les archives de RFILe président polonais Lech Kaczynski tué dans l'accident de son avionL’homme qui tire les ficellesAprès cette mort tragique, Jaroslaw Kaczynski, qui n’a jamais occupé le devant de la scène, va se révéler dans un nouveau rôle, celui de chef d’orchestre, un homme de l’ombre, comme le détaille Jean-Yves Potel, universitaire, écrivain et grand spécialiste de la Pologne.« Son grand talent, c’est de diriger la Pologne à partir du siège arrière. Sur le siège avant, il y avait son frère d’abord et ensuite il a mis Andrzej Duda (l’actuel président du pays) et Mateusz Morawiecki (le Premier ministre en place) par exemple. C’est-à-dire que c’est un homme qui n’est pas un homme de discours qui séduit les foules, c’est au contraire un homme qui est assez discret, mais qui sait véritablement diriger comme cela en mettant ses hommes ici ou là, en construisant ses réseaux, en faisant tout ce qui est possible pour contrôler l’ensemble de la machine étatique. C’est ce qui fait sa force. »Un discours de plus en plus en conservateur et eurosceptiqueEt c’est dans ce rôle de marionnettiste que Jaroslaw Kaczynski se révèle être un maître qui n’hésite pas à faire évoluer le discours de sa formation politique pour conserver la main sur le pouvoir. Un discours de plus en plus conservateur, estime Frédéric Zalewski.« Parce que la gauche post-communiste a disparu de l’espace politique dans les années 2000, ce positionnement permet de se différencier des libéraux groupés autour de Donald Tusk dans la Plateforme civique, aujourd’hui la Coalition civique. Donc, il y a un enjeu de positionnement et de différenciation politique. Et puis il y a eu aussi une très forte polarisation de la société polonaise à la suite de la catastrophe de Smolensk, avec des oppositions politiques qui se sont progressivement alignées sur des oppositions culturelles. Donc, je dirais que ce positionnement de plus en plus droitier, c’est aussi une stratégie pour faire en sorte que le camp au pouvoir soit servi par un certain nombre de guerres culturelles qui sont entretenues un petit peu sciemment, un petit peu tout le temps, et évidemment surtout dans les phases de campagne électorale. »À lire aussiDonald Tusk, l’homme par qui le changement en Pologne peut arriverLa dernière campagne électorale avant de se retirer ?Pour cet homme de l’ombre, ces élections législatives pourraient bien être les dernières. À 74 ans, et même s’il est célibataire et sans enfants, Jaroslaw Kaczynski pourrait quitter la scène politique en cas de déconvenue. Une éventualité que n’envisage pas Jean-Yves Potel.« Je pense que, quelle que soit la situation, y compris si Donald Tusk gagne avec une majorité absolue, ce qui n’est pas possible, mais il est possible que l’alliance libérale, c’est-à-dire entre Donald Tusk, la gauche et le parti centriste fasse une majorité. Mais même dans ce cas-là, de toute façon, il y aura une guérilla entre le PiS et le gouvernement. Et cette guérilla, je pense que Jaroslaw Kaczynski l’orchestrera et qu’il n’a pas du tout l’intention de partir. Bon, il ne se représentera pas aux élections, mais il est certain qu’il va tout faire pour faire craquer la coalition. »Il faudra donc compter sur Jaroslaw Kaczynski, quelle que soit l’issue du scrutin du dimanche 15 octobre. Car il n’y a pas de limite d’âge pour continuer à travailler dans l’ombre et faire en sorte que son parti reste la principale force politique en Pologne.
10/7/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Donald Tusk, l’homme par qui le changement en Pologne peut arriver
Le 15 octobre prochain se tiennent des élections législatives en Pologne. Un scrutin qui sera observé par le reste des pays de l’Union européenne puisque le PiS, le Parti droit et pouvoir, une formation conservatrice et eurosceptique, accusée de bafouer l’État de droit et qui est au pouvoir de manière continue depuis 2015, pourrait l’emporter si l’on s’en tient aux derniers sondages. Mais c’est sans compter sur l’ancien président du Conseil des ministres et président du Conseil européen Donald Tusk, chef de fil du KO, la coalition civique, qu’il dirige depuis son retour à la politique nationale en 2021, et qui fait figure d’outsider pour ce scrutin. Malgré une campagne très agressive à son encontre et des chances très minimes de l’emporter, ce politicien chevronné pourrait bien tirer son épingle du jeu. Il est né à Gdansk, là où le combat politique pour le retour à la démocratie a débuté en Pologne en 1980. Et c’est là que cet historien de formation, père de deux enfants, a décidé de se lancer en politique, explique Jérôme Heurtaux : « C'est quelqu'un qui, dans les années 1980, alors qu'il était un étudiant encore très jeune, a été d'abord un militant de l'opposition démocratique aux communistes. Il a été un des leaders de l'Association des étudiants indépendants qui étaient proches de celui de Solidarnosc (le premier syndicat libre et autonome du Parti) dans la région de Gdansk. »Un homme de droite, mais libéral et pro-européenDonald Tusk a très vite forgé ses convictions politiques, explique le politologue, spécialiste des changements de régime en Europe post-communiste, actuellement maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine : « C'est quelqu'un qui a un positionnement très libéral sur le plan économique, plutôt progressiste sur le plan sociétal, qui est une personnalité démocrate ouverte aux influences d’où qu'elles viennent. Donc, c'est quelqu'un qui ne peut pas être classé comme un conservateur polonais classique, en tout cas pas comme ceux qui sont au pouvoir, mais c'est un homme de droite. S'il était Français, on dirait que c'est un centriste qui penche un peu à droite. »Donald Tusk a gravi tous les échelons politiques. Il a participé en 1990 à la fondation du KLD, le Congrès libéral-démocrate, dont il prendra la présidence un an plus tard. Élu député, puis sénateur, il quitte cette formation pour rejoindre les rangs du PO, la Plate-forme civique en 2001. Après un échec lors de la présidentielle de 2005, il devient président du Conseil des ministres deux ans plus tard. Un poste qu’il va occuper jusqu’en 2014 et sa désignation comme président du Conseil européen.Une personnalité qui continue d’être plébiscitée dans son pays malgré son absence sur la scène politique polonaise, détaille Krzysztof Soloch, professeur à l'université Paris-Sorbonne, spécialiste de l'Europe centrale et de l'Europe du Nord : « Selon tous les sondages qui ont été réalisés après les dernières élections présidentielles, tous les sondages ont démontré une forte popularité de Donald Tusk. Donc, c'est lui qui incarne le mieux le parti, donc l'opposition, en tant que libéral pro-européen, donc pro-européen convaincu. Il faut d'ailleurs souligner que la Pologne reste toujours le pays où le soutien pour l'Union européenne est le plus fort au sein de l'Union européenne. Et c'est lui qui incarne le mieux cette Europe. »Un retour sur la scène politique polonaise réussiCe retour sur la scène politique nationale et surtout le fait qu’il continue de séduire les électeurs est peu banal, estime Jérôme Heurtaux :« L'un des faits marquants de la carrière de Donald Tusk, c'est son retour réussi dans la politique polonaise en 2021, alors qu'il s'était absenté depuis 2014. Donc 7 ans après avoir quitté le gouvernement, il revient en politique nationale et il retrouve son poste de président du parti. Il revient, il s'impose et il mène la campagne des élections législatives cette année. Donc, c'est quand même quelque chose à noter parce que nous connaissons d'autres exemples, notamment en France, de retours totalement ratés d'hommes politiques qui ont occupé des positions de pouvoir dans le passé. »Un retour au pouvoir grâce au jeu des alliances ?Et ce retour réussi a provoqué de la part des médias proche du PiS, le parti Droit et Pouvoir qui dirige la Pologne depuis 2015, une véritable campagne de dénigrement. Une campagne également véhiculée par des médias publics à la solde du gouvernement, comme le détaille la plupart des spécialistes de ce pays d’Europe de l’Est. Et malgré ça, cet européen convaincu qui prêche notamment pour un retour de l’État de droit, pourrait bien créer la surprise, même si sa coalition compte dix points de retard sur le PiS selon les derniers sondages.C’est en tout cas l’avis de Krzysztof Soloch : « Ça va être très difficile. Il reste peu de temps avant les élections. Mais il faut dire que la situation économique polonaise est des plus en plus difficile. Il y a une inflation de plus de 17% et donc le contexte socio-économique est plutôt favorable au parti pro-européen de Tusk. Il met également l'accent sur le déblocage du plan de relance européen, dont le versement est conditionné à des réformes liées à l'État de droit, que le PiS est accusé de bafouer depuis 2015. Donc, il sera peut-être très difficile pour Donald Tusk de gagner ces élections-là, mais il peut, grâce à d'autres partis d'opposition, recueillir un nombre suffisant de voix pour former le futur gouvernement. »Donald Tusk le sait, à 66 ans, il s’agit peut-être de sa dernière opportunité pour revenir au pouvoir, même s’il s’est toujours engagé à combattre les idées véhiculées par le parti Droit et Justice. Des idées qui n’ont pas leur place dans l’Union européenne, estime-t-il.
9/30/2023 • 3 minutes, 27 seconds
Slovaquie: Robert Fico, l'ex-Premier ministre à la campagne pro-russe
Les Slovaques renouvelleront leur Parlement dimanche 30 septembre. Le parti Smer-SD de Robert Fico reste en tête des intentions de vote, talonné par le parti libéral Slovaquie progressiste. L’ancien Premier ministre, poussé à la démission en 2018, pourrait faire son grand retour. Il a fait campagne avec un programme pro-russe et promet de mettre fin au soutien militaire à son voisin ukrainien. Si le parti Smer-SD fait la course en tête, d’après les sondages, il ne sera pas en mesure de gouverner seul. La question des alliances qu’il pourrait former reste en suspens. « Robert Fico est ouvert à toute forme de collaboration. Il n’a pas l'intention de blâmer qui que ce soit avant que les résultats définitifs ne soient connus », affirme Aneta Vilagi, analyste politique à l’université Comenius de Bratislava.L’ancien Premier ministre, à la tête d’un parti officiellement social-démocrate, pourrait avoir besoin des électeurs d’extrême droite pour retrouver le pouvoir. Il n’exclut pas de s’allier avec Republika, un parti fondé en 2021 par Milan Uhrik qui défend une idéologie d’extrême droite, voire néo-fasciste. De son côté, le Parti national slovaque (SNS) d’Andrej Danko, a déjà participé à des coalitions gouvernementales avec Robert Fico. « Quelles que soient les combinaisons, le retour de Robert Fico au poste de Premier ministre pourrait constituer un gros problème pour la démocratie slovaque », pronostique le directeur de l’Institut des Affaires publiques de Bratislava, Grigorij Meseznikov.« On pourrait faire un parallèle avec Bernard Tapie, pas seulement pour son populisme et son opportunisme, mais aussi parce que c’est quelqu'un qui n'oublie rien », affirme Alain Soubigou, maître de conférences en histoire de l'Europe centrale contemporaine à l’université Paris I-Sorbonne.À la tête du gouvernement slovaque à trois reprises de 2006 à 2010 puis de 2012 à 2018, il a été contraint de démissionner après les manifestations massives qui ont suivi l’assassinat du journaliste d'investigation Jan Kuciak et de sa fiancée. Ce dernier enquêtait sur les soupçons de fraude aux subventions européennes organisées par la mafia calabraise en Slovaquie avec l’aide de proches du gouvernement.À lire aussiSlovaquie : le meurtre du journaliste Jan Kuciak marque l'élection présidentiellePlusieurs proches de Robert Fico ont été inquiétés par la justice. Lui-même a été mis en examen pour « formation d’un groupe criminel organisé » et même si les poursuites semblent aujourd’hui arrêtées, « il a besoin de s'emparer du pouvoir politique, d’avoir entre ses mains le pouvoir exécutif, pour pouvoir nommer les personnes dans les organes chargés de l'application de la loi et changer la mise en œuvre du principe de la loi, comme c'était le cas lorsqu'il était Premier ministre », explique Grigorij Meseznikov. « Ce qui le motive le plus dans cette reconquête du pouvoir, c’est sans doute le fait qu’il pourra rester en liberté, qu’il échappera aux poursuites judiciaires. Je pense qu'il considère son retour au gouvernement comme une garantie de sécurité », avance le directeur de l’Institut des Affaires publiques de Bratislava.Un « opportuniste »Les déboires de 2018 semblent aujourd’hui bien lointains. Fin politicien auquel on prête des goûts de luxe, Robert Fico se retrouve à nouveau en tête de la course électorale. Ce juriste de formation de 59 ans, qui a commencé sa carrière politique au sein du Parti communiste tchécoslovaque juste avant la chute du Mur de Berlin, suscite depuis longtemps des sentiments contradictoires. Populiste, opportuniste, autoritaire, revanchard, mais aussi intelligent, tacticien ou fin politicien. Telles sont les images qui viennent à l’esprit des observateurs. « C'est un spécialiste de l’anti : il est anti-magyar, anti-tzigane, anti-migrants. Son parti s'appelle Smer, la direction, mais on ne sait pas très bien dans quelle direction il veut aller », ironise Alain Soubigou, qui décèle en lui, avant tout, « beaucoup d'opportunisme, à un stade, un degré bien supérieur peut-être à celui de son voisin méridional en Hongrie, Viktor Orban ».Tout comme le Premier ministre hongrois dans son pays, Robert Fico se pose en défenseur des valeurs chrétiennes et s’oppose à la répartition des demandeurs d’asile. Durant la crise du Covid, il s’est affiché en champion des antivax. Il est aussi ouvertement pro-russe, allant même jusqu’à s’engager à « cesser immédiatement toute livraison d’aide militaire à l’Ukraine » et critique régulièrement l’Union européenne. Il n’en a pas toujours été ainsi, souligne Aneta Vilagi : « Lorsqu'il a été nommé Premier ministre, il est devenu très favorable à l'UE, mais aujourd'hui, il mobilise les déçus de l’Union européenne. Il essaie d'adopter le même type de rhétorique que Viktor Orban en critiquant l'UE. Il est très opportuniste et on voit qu’il change de direction en fonction de ce qui peut lui rapporter plus de votes ou plus de soutien ». À lire aussiLégislatives en Slovaquie : retour en grâce de l'ex-Premier ministre populiste et pro-Kremlin Robert FicoRobert Fico surfe sur le mécontentement des Slovaques devant un taux d’inflation le plus élevé de la zone euro, qu’il impute aux sanctions économiques contre la Russie, fournisseur traditionnel de gaz et de pétrole de la Slovaquie. Il s’appuie aussi sur le sentiment pro-russe d’une partie de la population. Selon un sondage Globsec, 40% des Slovaques estiment que la Russie est responsable de la guerre actuelle et 34% considèrent que le conflit est le résultat d’une provocation de l’Occident.Robert Fico affiche aussi un anti-américanisme virulent. Il accuse régulièrement la présidente Zuzana Caputova d’être une « Américaine au service de Washington », comme lors d'un rassemblement dans le centre du pays où juste avant sa prise de parole, son vice-président avait fait scander à la foule l’injure : « P*** américaine ». Lui-même était intervenu à la tribune en lançant, « plus une personne est une pute, plus elle devient célèbre ». « Il sait que bon nombre de ses électeurs se méfient des États-Unis et il sait qu’ils accueillent favorablement les attaques qu’il adresse à la présidente Caputova, lorsqu’il l’accuse, par exemple, d’être un agent étranger », souligne Grigorij Meseznikov. Face aux attaques récurrentes du politicien au langage fleuri et à la carrure de boxeur, la présidente slovaque a fini par porter plainte pour diffamation.
9/23/2023 • 3 minutes, 32 seconds
Ursula von der Leyen en route pour un nouveau mandat?
Ursula von der Leyen sera-t-elle candidate pour un second mandat à la tête de la Commission européenne ? À neuf mois des élections européennes, l’ancienne ministre d’Angela Merkel n’a donné aucun indice sur ses intentions. Mais, lors du discours sur l’état de l’Union européenne prononcé mercredi 13 septembre à Strasbourg devant les eurodéputés, elle a vigoureusement défendu son bilan et donné des gages à la droite européenne. Tailleur, brushing impeccable, ton grave et diction parfaite. Ursula von der Leyen prononce ce qui sera son dernier discours sur l’état de l’Union avant les élections européennes et en profite pour dresser le bilan, forcément élogieux, de son premier mandat. « Lorsque je me suis présentée à vous en 2019, avec mon programme pour une Europe verte, numérique et géopolitique, certains avaient des doutes. Mais regardez où en est l’Europe aujourd’hui ! Nous avons vu naître une Union géopolitique qui soutient l’Ukraine, et qui s’oppose à l’agression russe. Et, nous avons un Pacte vert pour l’Europe dont l’ambition est sans pareil. » Même ses adversaires en conviennent : le parcours d’Ursula von der Leyen depuis 2019 est impressionnant. Il faut dire qu’avec le Covid et la guerre en Ukraine, elle aura traversé deux crises majeures en quatre ans. « Elle s’est réalisée et peut être accomplie à travers les crises, note Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors. Au tout début de son mandat, elle était plutôt inexistante, en tout cas, elle prenait assez peu d'initiatives. Mais lorsque est survenue la crise du Covid, puis la guerre en Ukraine, on a vu une présidente de la Commission qui se mettait très en avant pour résoudre ces crises. Bien sûr, elle n’a pas agi seule, elle a agi avec les chefs d'État et de gouvernement, et avec le Parlement européen. Mais elle a montré que la Commission européenne usait et savait user de son droit d'initiative. »À lire aussiUkraine, environnement, IA: ce qu’il faut retenir du discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der LeyenIsolement et centralismeIl y a le bilan, mais il y a aussi le style, avec un goût marqué pour la communication et une tendance, souvent pointée par ses critiques, à tout centraliser. « Elle a un mode de fonctionnement très centré sur son cabinet, avec une garde rapprochée allemande, relève Eric Maurice, de la Fondation Robert Schumann. Elle s'est fait installer un studio au 13e étage de Berlaymont, le bâtiment de la Commission, ce qui est considéré à Bruxelles comme le symbole d'une sorte d'isolement et de centralisme. Et en même temps, elle joue beaucoup de la communication, elle a beaucoup communiqué par les réseaux sociaux, par les vidéos. Elle est devenue une incarnation de l'Union, avec un sens de la communication très travaillé qui permet de compenser peut-être la froideur que beaucoup de gens lui attribuent. »Ursula von der Leyen sera-t-elle candidate pour un nouveau mandat ? Il lui faudra pour cela franchir plusieurs étapes. D’abord, juste après les élections européennes en juin prochain, ce sont les chefs d'État et de gouvernement au sein du Conseil européen qui vont devoir la choisir. À charge pour elle de les convaincre de son bilan et de sa capacité à poursuivre son action. Pour Sébastien Maillard, elle part sur ce chapitre avec un sacré avantage : le soutien, a priori, de la France et de l’Allemagne.« Elle a reçu indirectement l’appui d’Olaf Scholz, le chancelier allemand, même si elle n'est pas de sa famille politique. Mais c'est sa compatriote et on voit mal l'Allemagne ne pas la soutenir. Par ailleurs, elle a bien sûr le soutien d’Emmanuel Macron, qui l’avait proposée comme candidate en 2019. Et elle a donné des gages à la France, elle a montré qu'elle savait entendre les préoccupations françaises, comme l’illustre ce mercredi l’ouverture d’une enquête antidumping vis-à-vis de la Chine sur les subventions aux véhicules électriques. »À lire aussiUE: Von der Leyen présente son «Pacte vert» face aux défis climatiquesBarre à droite ?Pour être reconduite à son poste, Ursula von der Leyen devra obtenir également le feu vert du Parlement. Ce sera une rude épreuve, car l’ancienne ministre d’Angela Merkel n’est même pas assurée du soutien de son propre parti. « Paradoxalement, la force politique qui lui a été le plus hostile ces derniers temps, c'est le Parti populaire européen (PPE), souligne Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman. C’est lui, le PPE, qui a remis en cause certaines parties du Pacte vert, qui est la grande œuvre mise en avant dans son bilan. C'est pour cela qu'elle a beaucoup parlé de politique industrielle et de compétitivité dans son discours, parce qu'elle a besoin aujourd'hui de convaincre son propre parti qu’elle pourrait être la meilleure candidate pour briguer à nouveau la présidence de la Commission. » C’est d’ailleurs la grande crainte des partisans du Pacte Vert et de la transition énergétique européenne : voir la Commission se détourner de ces objectifs environnementaux afin de conserver le soutien d’un Parlement européen qui risque de pencher encore plus à droite, à l’issue des prochaines élections.
9/16/2023 • 3 minutes, 30 seconds
Ukraine: Roustem Oumerov, un «incorruptible» au ministère de la Défense
Il a promis de récupérer « chaque centimètre » de la terre ukrainienne. Nommé par Volodymyr Zelensky, Roustem Oumerov a remplacé cette semaine Oleksiy Reznikov à la tête du ministère de la Défense. Originaire de Crimée, fin négociateur, réputé « incorruptible », il aura pour tâche principale de redorer le blason d’un ministère miné par les scandales de corruption. Surfacturation massive de produits alimentaires destinés à l’armée, pots-de-vin, prix gonflés pour l’achat d'uniformes auprès d’une société turque appartenant au neveu d'un député ukrainien : Roustem Oumerov prend la tête d’un ministère qui nécessite un grand ménage. « Il jouit d'une très bonne réputation », souligne le politologue ukrainien Volodymyr Fessenko. « Il n'est en conflit avec personne et n'est éclaboussé par aucun scandale ».Sa nomination a été approuvée jusque dans les cercles de la société civile peu tendres avec le pouvoir. « J’ai le sentiment que notre défense et notre sécurité sont entre de bonnes mains », commente Daria Kaleniuk, à la tête du Centre d’action anticorruption AntAC à Kiev, qui confie que de tous les officiels ukrainiens avec lesquels elle a pu échanger au sujet de la guerre, Roustem Oumerov est celui qui l’a « le plus impressionnée ». Député du parti libéral d’opposition Holos entre 2019 et 2022, le nouveau ministre de la Défense a été à la tête de la commission parlementaire chargée de contrôler les livraisons d’armes occidentales. Il s’y est forgé une réputation de militant anti-corruption qu’il a consolidée en tant que directeur du Fonds des biens d’État, le principal fonds de privatisation du pays. Durant l’année écoulée, « Roustem Oumerov a licencié de nombreuses personnes et il a lancé un audit approfondi », note Daria Kaleniuk, qui affirme avoir suivi de près son action. « Il a une vision stratégique, il sait ce dont l'Ukraine a besoin pour gagner la guerre et il comprend clairement qu'il lui faudra faire beaucoup de ménage au sein du ministère ».À écouter aussiCorruption en Ukraine: «Avant la guerre, il y avait un problème systémique»Négociateur talentueuxAvant de se lancer en politique, le nouveau ministre de la Défense a fait carrière, à partir de 2004, dans l’industrie des télécommunications. Il a créé la société d'investissement ASTEM Technologies. Avec sa fondation caritative, qui soutient un programme de l'université de Stanford, conçu pour former des dirigeants, des avocats ou des hommes d’affaires ukrainiens, Roustem Oumerov a tissé des liens aux États-Unis. Le nouveau ministre de la Défense s’est fixé cinq priorités, parmi lesquelles le renforcement et l’élargissement de la coalition internationale, avec la recherche de nouveaux alliés, la lutte contre la corruption et le développement de l’industrie militaire ukrainienne. Parlant couramment l’ukrainien, le russe, l’anglais, le turc et le tatar, il est aussi décrit comme un fin négociateur. Discussions avec la partie russe en mars 2022 en Turquie, préparation de l’accord céréalier ou encore négociations qui ont abouti à des échanges de prisonniers de guerre : le rôle de Roustem Oumerov est souligné. « Il a de très bonnes relations avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan qu'il connaît personnellement. Il a aussi apparemment de bons contacts avec les dirigeants de l'Arabie saoudite », souligne Volodymyr Fessenko. Le ministre de la Défense aurait ses entrées auprès du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman. Il a accompagné Volodymyr Zelensky en mai en Arabie saoudite et a pris part aux négociations de paix de Jedda, les 5 et 6 août.Tatars de CriméeAgé de 41 ans, musulman, Roustem Oumerov est né en Ouzbékistan soviétique, dans une famille de Tatars de Crimée déportée de la péninsule sur ordre de Staline. Diplômé de l'internat pour enfants surdoués du ministère de l'Éducation et de la Science de Crimée, il a, plus tard, travaillé pendant de nombreuses années au côté de Mustafa Djemilev, le chef historique des Tatars de Crimée. « Nous ne renoncerons ni à notre peuple ni à notre terre », disait-il en mai 2022.La nomination au ministère de la Défense d’un membre issu de cette communauté est un signal fort envoyé à tous ceux souhaiteraient pousser l’Ukraine à faire des compromis sur la question de la péninsule annexée par la Russie en 2014. Elle envoie le message que « le retour de la Crimée reste pour notre pays l’une des priorités », note Voldymyr Fessenko. « Il sera difficile, pour des hommes politiques ou des ministres d'autres pays, d'expliquer à ce ministre de la Défense de l'Ukraine, issu de la communauté tatare réprimée par la Russie, que vouloir reprendre la Crimée serait le signe d'une escalade », analyse Darya Kaleniuk.À lire aussiLes Tatars de Crimée sous une pression accrue depuis «l’opération spéciale» en Ukraine
9/9/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Vladimir Kara-Mourza, premier opposant condamné en Russie pour haute trahison
Lundi 17 avril 2023, Vladimir Kara-Mourza a été condamné à 25 ans de colonie pénitentiaire par la justice russe après ce que l’on peut qualifier de parodie de procès. C’est la peine que réclamait le parquet russe pour cet opposant notoire, poursuivi pour haute trahison, diffusion de fausses informations sur l’armée russe et également pour travail illégal pour une organisation qualifiée d’indésirable. Vladimir Kara-Mourza, qui a déjà été empoisonné à deux reprises en 2015 et 2017, des tentatives d’assassinats qui sont attribuées au pouvoir russe, a fait face à une justice russe qui démontre depuis des mois, et même des années, que l’État de droit n’existe plus en Russie. (Rediffusion du 16 avril 2023)Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, peu sont ceux qui osent encore braver les interdits et crier haut et fort leur rejet d’une guerre injustifiée. Vladimir Kara-Mourza en fait partie. Ce jeune opposant de 41 ans, père de trois enfants, est resté en Russie après le déclenchement de l’offensive, malgré les risques que cela impliquait, et ce, alors que sa femme et ses enfants vivent aux États-Unis.Marie Mendras, politologue au CNRS et professeur à Sciences Po Paris, explique pourquoi cet ancien journaliste a souhaité continuer à mener son combat dans son pays malgré les menaces : « Comme il le raconte lui-même, il a été fasciné par le travail politique que menait Boris Nemtsov. Boris Nemtsov était vice-Premier ministre de Boris Eltsine dans les années 1990 et dès l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, Nemtsov a été l’un des rares à comprendre que l’ère qui s’ouvrait serait une ère dangereuse pour la démocratie et les libertés. Et en février 2015, quand Boris Nemtsov a été assassiné, Kara-Mourza a décidé de consacrer toute sa vie à combattre un régime qu'il considérait déjà à l'époque comme une dictature et un régime criminel. »Le premier opposant condamné pour haute trahisonVladimir Kara-Mourza, qui a joué un rôle clef dans l’adoption en 2012 aux États-Unis de la loi Magnitski, est considéré comme un ennemi par le régime de Vladimir Poutine. Et après avoir critiqué les autorités russes et l’armée suite au déclenchement de l’invasion en Ukraine, le Kremlin a semble-t-il décidé de s’acharner contre lui, comme le détaille Gilles Favarel-Garrigues, directeur de recherche au CNRS (et auteur du livre La verticale de la peur : ordres et allégeances en Russie sous Poutine) : « Vladimir Kara-Mourza est un bouc émissaire fabriqué par le pouvoir pour accréditer l’idée selon laquelle il y a une alliance entre des ennemis extérieurs et intérieurs qui veulent déstabiliser le régime. Ce n’est pas le premier à en faire les frais. Mais c’est en tout cas avec une sévérité inédite que Vladimir Kara-Mourza va être condamné. »À lire aussiRussie : Alexeï Navalny, le «masque de fer» de Vladimir PoutineCelui que l’on surnomme parfois « l’opposant numéro 2 », après Alexeï Navalny, est depuis le 17 avril le premier opposant à être condamné pour haute trahison. Le parquet russe l'a condamné à 25 ans de prison. Et malgré ce que cette peine implique, Vladimir Kara-Mourza n’en démord pas et se dit fier de son engagement, ce qui n’étonne pas Gilles Favarel-Garrigues :« C’est quelqu’un qui a toujours fait face aux épreuves qu’il a subies. C’est quelqu’un qui a fait l’objet de nombreuses persécutions et de nombreuses poursuites judiciaires en Russie, donc je pense qu’on est là face à des opposants qui n’ont plus rien à perdre. Il fait penser, à ce niveau-là, à Alexeï Navalny. Il subit la dictature de la loi comme on dit en Russie, à plein régime. C’est un choix qui vise sans doute à forger aussi une image de détermination par rapport au pouvoir russe. Mais on ne peut que s’inquiéter pour ces opposants et pour le fait qu’ils puissent terminer leur vie en prison. »Un homme qui fait peur au KremlinLa santé de Vladimir Kara-Mourza inquiète. Et dans un pays avec un régime que beaucoup qualifient de totalitaire, celui à qui le Conseil de l’Europe a décerné en 2022 le prix Vaclav-Havel des droits de l’homme pourrait bien subir des conditions de détention inhumaine. Car comme l’explique Marie Mendras, les autorités le craignent : « Pourquoi est-ce que Vladimir Poutine et ses services de renseignement ont décidé de se rassurer en se disant qu'ils peuvent écraser Vladimir Kara-Mourza et le laisser mourir dans un camp à régime sévère ? Eh bien, c'est parce que cet homme leur fait peur. »Vladimir Kara-Mourza, après une parodie de justice, a été condamné à 25 ans de détention dans une colonie pénitentiaire. Il s'agit de la plus longue peine infligée depuis la fin de l'Union soviétique pour une activité politique, une décision qui a suscité de nombreuses critiques dans le monde après un procès qualifié de simulacre et de procès politique.À lire aussiRussie : l'opposant Vladimir Kara-Mourza condamné à 25 ans de prison
9/2/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Une destinée contre l'opinion, la reine Camilla «était là pour rester»
Dans un communiqué, l'Élysée a annoncé ce jeudi 24 août que la visite de Charles III en France (qui avait été reportée à cause de la mobilisation contre la réforme des retraites en mars) aura lieu du 20 au 22 septembre. Devenu roi il y a un an à la mort d'Elizabeth II, Charles III a été couronné roi d’Angleterre et du Royaume-Uni le 6 mai dernier. À ses côtés, Camilla, née Shands recevait, elle aussi, la couronne et le titre de reine. Le temps où le couple défrayait la chronique est révolu… Après la disparition d’Elizabeth II, Charles doit aujourd’hui assurer la survie d’une institution dont l’étoile a pâli dans la jeunesse britannique. Et dans cette entreprise, la reine Camilla sera l’atout maître de Buckingham Palace. (Rediffusion du 7 mai 2023)« Voir Camilla couronnée dans l'abbaye de Westminster, voir le chemin parcouru par cette femme qui a vraiment été l'ennemi public numéro un dans la presse britannique, c'est incroyable ! » Philip Kyle, auteur de Charles III, partage l'incrédulité de beaucoup de Britanniques. Certains regrettent leur reine de cœur, Diana, d’autres, comme le biographe qui a travaillé quelques années pour la fondation du prince de Galles, The Prince’s trust, s’émerveillent.L'histoire commence dans le sud rural de l'Angleterre où Camilla Shands grandit entre ses chevaux et ses livres, deux passions qui lui resteront, dans un milieu privilégié, où l’on fréquente la famille royale. Son arrière-grand-mère fut d’ailleurs la maîtresse du roi Édouard VII. Lorsque la jeune Camilla croise le prince Charles en 1970, le coup de foudre est réciproque, mais le destin sera contrarié. Le prince Charles part dans la Marine, Camilla épouse le Major Andrew Parker Bowles en 1973, avec qui elle aura deux enfants. En 1981, le prince Charles épouse Diana Spencer. Mais Charles et Camilla s'aiment toujours.À lire aussiCouronnement du roi Charles III: «Il y a un sens de l'histoire qui s'accomplit»« Personne ne connaissait vraiment Camilla Parker Bowles à l'époque où Charles s'est marié avec Diana », raconte le Britannique Philip Turle. Mais lorsque la liaison est révélée, c'est un lynchage : « La presse commence à s'acharner contre Camilla. Elle est traitée de destructrice de mariage, de rottweiler – une insulte de Diana à l’origine – elle a été "élue" femme la plus mal habillée de Grande-Bretagne… On lui a craché dessus, jeté des choses en pleine figure. Cela a été une période extrêmement difficile pour Camilla. Et malgré tout, malgré cet acharnement de la presse, elle a tenu le coup. Parce qu’avant toute chose, avec Charles, c’était une grande histoire d'amour. Camilla Parker Bowles est une femme forte, confirme Philip Kyle, ce qu’elle doit en partie à son enfance. Le fait d'avoir eu une éducation entourée par des parents aimants, dans un cocon familial très solide, et dans un environnement finalement assez relax lui a permis de développer une personnalité assez équilibrée, c’est quelqu’un de résiliant, qui peut affronter les défis, qui sait ce qu'elle veut. Mais aussi qui aime la vie. »Réhabiliter CamillaEn 1995, Camilla divorce d’Andrew Parker Bowles, qui avait, lui aussi, d’autres amours. Les ex-époux sont aujourd’hui très bons amis. Le prince Charles et la princesse Diana divorcent en 1996. La détestation du public envers Camilla ne fait qu’empirer après la mort de Lady Di à Paris, l’année suivante. La résilience ne suffit plus, le prince de Galles charge un spécialiste en communication de réhabiliter Camilla : c'est l'opération PB - pour Parker Bowles. « Très progressivement, un certain nombre de moments de leur vie, par l’image, ont permis de l’installer dans l'esprit des Britanniques ; de montrer qu’elle était là, et qu’elle était là pour rester », explique Philip Kyle.Camilla calibre ses apparitions et ses sourires à la presse, mais elle doit aussi se faire accepter par la famille royale : « Un épisode a tout changé, c'est la mort de la reine mère. La mère de la reine Élisabeth II était farouchement opposée à l'idée de légitimer Camilla. » Elisabeth II se rend alors à l'évidence, poursuit Philip Kyle : « Petit à petit, elle a compris qu’avec Camilla à ses côtés, Charles pourrait être un roi plus apaisé – sans doute le voit-on aujourd'hui – plus apaisé et plus serein, ce qui permettrait d’apporter une stabilité à la couronne britannique. »« Faire en sorte que la monarchie britannique survive »Camilla et Charles se marient donc en 2005 avec l’accord d’Elizabeth II. Mais si Camilla est aujourd’hui reine à son tour, « ce n'est pas encore gagné, constate le journaliste Philip Turle. Elle n'est qu'à 38 ou 40% d'opinion favorable, ce qui est loin derrière d'autres membres de la famille royale comme William, Kate ou même la princesse Anne qui recueille 72% d’opinion favorable. Mais sa popularité est en constante augmentation. Et c'est une personne très travailleuse, qui passe beaucoup de temps à aider les gens en difficulté, qui très abordable ».La nouvelle reine est en effet engagée dans la lutte contre les violences aux femmes. Elle est marraine d’Emmaüs UK, s’implique dans la prévention de l'ostéoporose et pour l'apprentissage de la lecture. Le roi apprécie son humour et son optimisme. Ils forment un couple solide et aimant. Tant mieux, car le défi est immense. « La première tâche de Camilla et Charles, souligne Philip Turle, c'est de faire en sorte que la monarchie britannique survive. Ce n’est pas une mince affaire, mais je pense qu’entre Charles, qui a attendu 70 ans pour devenir roi, et Camilla qui a traversé tellement de difficultés pour arriver à ce grand jour, si deux personnes sont capables de faire le travail, c’est bien eux ! »Un vent de modernité va-t-il souffler sur la couronne ? Camilla a d'ores et déjà renoncé à employer des dames de compagnie, une première à Buckingham Palace.► À lire aussi : Royaume-Uni: revivez le couronnement de Charles III et Camilla de Westminster à Buckingham
8/26/2023 • 3 minutes, 37 seconds
Karim Khan, un «homme de loi» contre Poutine
Procureur de la Cour pénale internationale depuis février 2021, Karim Khan a fait les grands titres de la presse internationale en décidant de lancer un mandat d’arrêt pour crimes de guerre contre Vladimir Poutine. À 52 ans, il est un juriste réputé pour son efficacité et son inflexibilité. Ancien avocat, il s’est illustré dans la défense des victimes de crimes contre l’humanité, mais aussi de ceux qui en furent accusés, comme Charles Taylor ou Saïd Kadhafi. (Rediffusion du 26 mars 2023)C’est une annonce qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Nous sommes le vendredi 17 mars, et Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), lance un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour la déportation illégale d’enfants ukrainiens vers la Russie. Une politique décidée et validée officiellement par Vladimir Poutine et qui constitue un crime de guerre aux yeux du procureur de la CPI. C’est la première fois que le dirigeant d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU est inculpé par la justice internationale. Conséquence immédiate : le président russe est susceptible d’être arrêté par l’un des 123 pays membres du Statut de Rome, qui a fondé la CPI.Né en Écosse, fils d’un dermatologue pakistanais et d’une infirmière britannique, Karim Khan a voué toute sa carrière à la justice internationale. Il a d’abord travaillé pour le procureur du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, puis pour celui du Rwanda. Mais il a également été avocat – toujours devant les cours internationales. Un avocat pugnace, travailleur, et diablement efficace, comme nous l’a confié de Kiev l’un de ses confrères, Me Johann Soufi.« Je me souviens du procès en 2015 de Karma Khayat, une journaliste alors défendue par Karim Khan devant le Tribunal international pour le Liban », raconte l’avocat, membre de l’organisation GRC qui soutient le ministère public ukrainien dans ses enquêtes pour crimes de guerre. « Elle était accusée d’avoir révélé l’identité de témoins protégés dans l’affaire contre des membres du Hezbollah. C’était un dossier difficile parce qu’il y avait eu une émission de télévision, et donc la preuve était là, tangible… Et il a obtenu un acquittement grâce à ses talents d’avocat et de stratège. Le contre-interrogatoire qu’il a mené du témoin expert du procureur, honnêtement, c’était peut-être le meilleur que j’ai vu de toute ma carrière. »De sulfureux clientsCes qualités d’avocat, Karim Khan les a mises au service des victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité – mais aussi parfois de ceux qui en furent accusés. Parmi les plus sulfureux de ses clients : l’ancien président du Liberia Charles Taylor, Saïf al-Islam Kadhafi, le fils du dictateur libyen ou encore William Ruto, le vice-président kényan accusé pour les violences post-électorales de 2007, et pour lequel il obtient un non-lieu en 2016. Depuis, ses détracteurs lui reprochent d’avoir « défendu l’indéfendable », tandis que d’autres saluent, au contraire, ce parcours atypique.« Il est évidemment très important d’avoir les meilleurs avocats possibles dans ce domaine », pointe ainsi l’avocat suisse Alain Werner, qui a travaillé au Cambodge aux côtés de Karim Khan. « C’est uniquement comme ça qu’il peut y avoir de la crédibilité dans ces procès de justice internationale - et j’ai beaucoup de respect pour les avocats de la défense qui font leur travail avec éthique, et qui défendent ces gens qui doivent être défendus… Car tout le monde doit être défendu ! »Pour Alain Werner, comme pour tous ceux qui ont soutenu la candidature de Karim Khan lorsqu’il a été choisi pour devenir procureur de la CPI en 2021, cette expérience acquise des deux côtés « du bien et du mal » peut même être considérée comme un atout. « Moi, je trouve ça plutôt intéressant d’avoir des gens au plus haut niveau qui comprennent, parce qu’ils ont été de ce côté-là, les dangers qu’une preuve peut avoir et toutes les complexités que les avocats utilisent et qui peuvent amener à des acquittements. À mes yeux, c’est plutôt un avantage ! » Une stratégie audacieuse… et risquéeDevenu procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan fait face désormais aux crimes perpétrés en Ukraine. Et il a fait le choix d’une stratégie audacieuse, avec ce mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Pour autant, certains y voient une manière très politique de contrer l’idée d’un Tribunal spécial pour l’Ukraine, qui permettrait de juger du « crime d’agression » perpétré par la Russie. Ce que réclament, par exemple, les autorités ukrainiennes.« Le crime d’agression est pour moi l’aspect le plus important, car sans la guerre, il n’y aura pas de crime de guerre, il n’y aura pas de crime contre l’humanité », relève l’avocat et écrivain Philippe Sands, qui a été le professeur de Karim Khan au King’s College de Londres. « Je pense qu’on a besoin d’un tribunal spécial qui pourrait d’ailleurs fonctionner en collaboration avec la CPI. Or, je crois que Karim Khan s’est prononcé contre cette idée non pas par principe, mais plutôt pour protéger le rôle de la Cour pénale internationale, ce qui est pour moi problématique. »Autre critique formulée à l’encontre du procureur de la CPI : la probabilité quasi nulle d’obtenir l’arrestation de Vladimir Poutine. Du moins, tant que le président russe est au pouvoir et qu’il n’y a pas de changement de régime dans son pays. D’un naturel pragmatique, mais aussi résolument optimiste, Karim Khan souligne toutefois que le mandat d’arrêt lancé contre le président russe n’a pas de date d’expiration. Et le procureur de la CPI ne manque pas de rappeler que, par le passé, plusieurs dirigeants qui se pensaient à l’abri de la justice internationale se sont finalement retrouvés devant les tribunaux.À l’instar de l’ancien président serbe Slobodan Milosevic ou encore de l’un de ses anciens clients, Charles Taylor, finalement condamné en 2012 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. « S’il y a quelque chose que j’ai appris durant mes 17 années de carrière dans la justice pénale internationale, c’est qu’il ne faut jamais dire "jamais", opine l’avocat Johann Soufi. Le temps de la justice est un temps long et l’on ne sait pas ce qui va se passer d'ici à cinq, dix ou quinze ans… Aujourd’hui, il y a un dossier, il y a des preuves, et peut-être qu’à court terme il y a peu de chances que tout cela aboutisse… Mais sur le long terme, qui sait ? »
8/19/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Charles Michel, un président du Conseil pas comme les autres
Après avoir été, à 38 ans, le plus jeune Premier ministre de l’histoire en Belgique, Charles Michel a été choisi le 2 juillet 2019 pour prendre les rênes du Conseil européen. Un mandat qui a été prolongé et qui doit prendre fin l’année prochaine. Cette présidence a été marquée par des crises, que ce soit celle du Covid-19, ou celle liée à la guerre en Ukraine. Depuis qu’il est en place, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à le critiquer pour sa façon de présider cette institution, mais aussi pour les relations pour le moins compliquées qu’il entretient avec la présidente de la Commission, ou encore ses très nombreux et coûteux déplacements à l’étranger, réalisés en jet privé. Charles Michel est donc une personnalité controversée. (Rediffusion du 24 avril 2023) En décembre 2018, après quatre ans au poste de Premier ministre en Belgique, Charles Michel remet sa démission après qu’un des partis de la coalition au pouvoir claque la porte. Il n’a que 42 ans et veut poursuivre une carrière prometteuse alors qu’il doit quitter officiellement ses fonctions après les élections de 2019.Le calendrier est parfait. Les 27 dirigeants européens cherchent alors une personnalité politique pour occuper la présidence du Conseil européen. Une personne capable de négocier et de travailler en coulisse pour obtenir des accords, comme l’explique Éric Maurice, responsable du bureau de Bruxelles de la fondation Robert Schuman : « Le poste de président du Conseil européen est un poste qui est réservé aux anciens chefs d’État et de gouvernement, parce qu’il faut qu’ils aient participé à ce type de réunion, qu’ils en connaissent les codes, qu’ils connaissent les membres de ce cénacle pour vraiment jouer ce rôle de facilitateur, d’organisateur des débats. »Un poste qui n’a jamais été clairement définiAvant son arrivée au Conseil européen, seulement deux autres personnes avaient occupé ce poste. Dont le Polonais Donald Tusk, le président sortant qui avait géré son mandat dans la discrétion. Un trait de caractère que visiblement Charles Michel ne partage pas, lui qui semble toujours sur le devant de la scène, ce qui soulève de nombreuses critiques.Mais, comme le détaille Eric Maurice, il n’y a pas de mode d’emploi pour un tel poste : « Il a peut-être du mal, notamment parce que la présidente de la Commission européenne est aussi très visible. Il a du mal à s’effacer derrière la fonction, à s’effacer derrière les 27 chefs d’État et de gouvernement pour continuer d’exister politiquement. Ce poste, il est le troisième seulement à l’occuper et ces deux prédécesseurs avaient aussi des manières différentes de l’occuper. Donc, c’est un poste qui est relativement récent dans l’histoire des institutions européennes et qui n’a pas de mode d’emploi, d’une certaine manière. Et Charles Michel peut être tenté d’outrepasser peut-être ce que certains chefs d’État et de gouvernement aimeraient qu’ils représentent en tant que président du Conseil européen. »Charles Michel, victime malgré lui ?Si les critiques sur sa manière de diriger le Conseil européen et de gérer ses relations avec Ursula von der Leyen se multiplient, le président Michel fait également l’objet d’attaques dans la presse pour ses nombreux et coûteux voyages à l’étranger. Des déplacements dont le budget a explosé et qui sont effectués en jet privé ou en voiture.Ces attaques ne sont pas forcément justifiées, estime le journaliste belge Antonio Solimando, coordinateur du service politique de la radio belge RTL : « Charles Michel ne nous a pas habitués à entretenir ce genre de polémique. En Belgique, on se demande si finalement, on n’a pas affaire à un début de campagne électorale pour remplacer entre guillemets Charles Michel, puisque la fin de son mandat s’annonce. Est-ce que ce n’est pas lié justement à ces débuts de rivalité, à ce début de campagne électorale où des adversaires commencent à aiguiser les couteaux. C’est une possibilité qui est évoquée par les observateurs en Belgique en tout cas. »Quel avenir pour l’ancien Premier ministre belge ?Le deuxième mandat de Charles Michel se termine l’année prochaine, après les élections européennes. Saura-t-il rebondir et trouver un autre poste prestigieux ? Pour Antonio Solimando, avec Charles Michel, on peut s’attendre à tout : « Il a toujours été très surprenant. Il n’avait pas toutes les bonnes cartes dans son jeu, mais il est toujours parvenu à trouver un moyen de se placer dans la lumière et de se placer au bon endroit. Il n’a jamais été le favori pour devenir Premier ministre en Belgique, et pourtant, il y est parvenu. Et on le voyait peut-être occuper des fonctions au niveau européen, mais certainement pas la présidence du Conseil européen. Maintenant, on sait qu’en s’étant fâché avec une présidente de la Commission européenne allemande, il a forcément des vents contraires qui sont très importants. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas rebondir à l’étranger. »Critiqué, attaqué pour son mode de gouvernance, Charles Michel se défend d’avoir abusé de sa fonction. Au contraire, il qualifie pour l’instant son bilan de bon, étant donné le contexte lié à la crise du Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Un bilan qu’il sera temps de tirer après son départ de la présidence du Conseil européen.
8/12/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Vladimir Kazanevsky, caricaturiste de la guerre
Dans la guerre que mène la Russie en Ukraine, son arme est son crayon. Le dessinateur ukrainien Vladimir Kazanevsky, 72 ans, a dû s’exiler en Slovaquie en mars 2022, un mois après le début de l’invasion russe à grande échelle. Mais il continue sans relâche de publier des caricatures. Ses dessins ont été publiés dans de nombreux journaux et magazines à travers le monde. Il a reçu le Prix international du dessin de presse 2022, le Cartoonists Kofi Annan Courage in Cartooning Award, de la Freedom Cartoonist Foundation. (Rediffusion du 11 décembre 2022) Séance de dédicace improvisée pour Vladimir Kazanevsky, à l’issue d’une table ronde sur la liberté de la presse en temps de guerre, organisée à Paris, par Cartooning for Peace et la Fondation Jean-Jaurès. Dans l’assistance, un ami de longue date, le dessinateur Plantu : « C’est un immense dessinateur, comme souvent les dessinateurs à l’Est, qui ont dû avoir des écoles d’art graphiques formidables, et même si lui n’est pas passé par une école d’art, il a des bases graphiques incroyables. À travers lui, on comprend mieux son pays et le combat des Ukrainiens »Le 24 février dernier, comme il le fait chaque jour, Vladimir Kazanevsky s’installe à sa table de travail à Kiev : « Je commence à dessiner, en général, vers 3 heures du matin. J’étais justement en train de dessiner une caricature, assez innocente, lorsque j’ai entendu les premières explosions du côté de l’aéroport. J’ai su tout de suite que la guerre avait commencé. J’ai laissé tomber cette caricature, j’étais en état de choc, et puis, je me suis souvenu d’une chanson de la deuxième guerre mondiale qui disait : " le 22 juin, à quatre heures du matin, Kiev était bombardée, on nous informait que la guerre avait débuté ". » À lire aussiL'Ukraine a mené une attaque aux drones contre un pétrolier russe« J’ai regardé ma montre et je me suis dit : Poutine a commencé à bombarder Kiev à la même heure que Hitler. Et là, je me suis mis à dessiner la faucheuse qui enveloppe Poutine et Hitler, qui se tiennent devant une carte de l’invasion de l’Ukraine. » Vladimir Poutine avec le bouton de l’arme nucléaire sur le front, Vladimir Poutine à la télévision d’où s’écoulent des flots de sang, Vladimir Poutine avec la faucheuse qui sort de son crâne : le caricaturiste multiplie les dessins du président russe. « C’est très difficile pour moi, parce qu’il est l’incarnation du diable. Or, en tant que caricaturiste, qui aime les caricatures philosophiques, je me dois de dessiner le diable. Quand je dessine Poutine, je mets surtout l’accent sur ses yeux, des yeux enfoncés, rapprochés, des yeux de loup qui vous regardent comme sortant d’un trou noir du KGB. Quand je le dessine, c’est douloureux pour moi et lorsque j’ai terminé, je me sens vraiment très mal. J’aurais presque envie de prendre un peu de vodka, mais ma santé ne me le permet pas, et du coup, je souffre doublement, parce que je n’ai même pas cette possibilité pour me détendre. » Le rouge et le noir, les couleurs de la guerre Avant la guerre, le dessinateur septuagénaire, diplômé de l’Université d’État de Kharkiv, spécialisation « radiophysique cosmique » dans les années 70, puis de l’Institut de journalisme de Kiev, produisait des caricatures et des dessins très colorés. Mais lorsqu’il a fui, avec son épouse, en Slovaquie, en mars, il n’a emporté que 2 crayons dans son sac à dos, un noir et un rouge.« J’ai soudain réalisé, que ça n’était pas un hasard, parce que ces deux couleurs sont les couleurs de la guerre : le noir des ténèbres et le rouge du sang. Depuis lors, je n’ai plus changé de style et ça fait presque un an que je dessine comme ça. De toute la guerre, je n’ai pas créé un seul dessin humoristique ou philosophique. Je ne peux plus dessiner que sur le thème de la guerre : mon cœur, mon âme, ma tête, sont tout le temps en Ukraine et mon seul souhait est d’aider et surtout de combattre la propagande russe. » Après le début de l’invasion, Vladimir Kazanevsky qui a toute sa vie parlé russe, s’est mis à l’ukrainien. Une idée soufflée dès le matin du 24 février par son épouse, d’origine russe, dont le père est né à Moscou.
8/5/2023 • 3 minutes, 32 seconds
Elly Schlein, l’anti-Meloni et nouvelle figure de la gauche italienne
Âgée de 37 ans, bisexuelle assumée, Elly Schlein a remporté dimanche dernier les primaires du Parti démocrate italien. Elle est désormais amenée à remettre sur les rails une gauche italienne en crise identitaire depuis des années et pourrait bien faire de l’ombre à la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni, d’extrême droite, qui représente tout son opposé. (Rediffusion du 5 mars 2023)On la présente souvent comme l’anti-Meloni, comme l’avait écrit en 2022 le magazine américain Vanity Fair. Elly Schlein a su s’imposer à la tête du Parti démocrate face à un ténor de cette formation politique grâce aux votes des sympathisants. Née à Lugano en Suisse, à la frontière avec l’Italie, d’un père américain et d’une mère italienne, le nouveau visage de la gauche italienne détonne dans le panorama politique italien. C’est en tout cas l’avis de Giuseppe Bettoni. « Elly Schlein est un personnage qui sort vraiment d'une manière soudaine dans le paysage politique italien, estime ce professeur de géopolitique à l’université Tor Vergata de Rome et à l’université Jean-Jaurès de Toulouse. C'est quelqu'un qui a toujours été sensible au côté social, politique, etc. sans faire le parcours classique des autres personnages. Et c'est une grande nouveauté qui avait attiré les Italiens par cette figure. Donc, c'est un profil qu'on n’imaginerait pas ».► À lire aussi : Italie: soigner les blessures des migrationsUn engagement en politique avec Barack ObamaTrès engagée socialement, mais aussi politiquement dès son plus jeune âge, Elly Schlein s’est lancée en politique à l’étranger. « Elle a fait ses premières armes véritablement en politique à Chicago aux États-Unis, dans le cadre des campagnes pour les primaires démocrates en 2008 en faveur de Barack Obama, détaille Hervé Rayner, spécialiste de l’Italie contemporaine et professeur à l’Institut d’études politique de l’université de Lausanne. Elle remet ça en 2012 pour la réélection du président sortant Obama ».De retour en Italie, elle devient membre du Parti démocrate avant de le quitter, ne le jugeant pas suffisamment à gauche. Élue en 2014 députée européenne, elle continue de graviter autour de cette formation politique en perte de vitesse. Nommée vice-présidente de la région d’Emilie-Romagne en 2020 par Stefano Bonaccini, son adversaire lors de la primaire du Parti démocrate italien qu’elle vient de remporter, Elly Schlein commence alors son ascension et se fait connaître des électeurs italiens, notamment en déclarant sa bisexualité lors d’une émission télévisée. Une orientation qu’elle dit assumer pleinement, tout comme son positionnement en faveur des migrants.► À écouter aussi : Le changement de genre doit-il être un droit?À la tête d’un parti en crise identitaireÉlue députée en septembre dernier, elle se positionne ensuite pour prendre les rênes du Parti démocrate. Un parti qui doit retrouver son identité. « C’est un parti qui est encore à la recherche de son projet, de comprendre vers quoi se battre, estime Giuseppe Bettoni. Il y a une fracture déjà aujourd’hui qu’elle devra réconcilier. Rappelons-le : les cellules du Parti démocrate avaient une préférence pour Stefano Bonaccini, alors que les primaires – c’est-à-dire les élections où la base peut voter, plus les gens qui ne sont pas inscrits au Parti démocrate – ont clairement donné Elly Schlein secrétaire. Cela veut dire qu’il y a une fracture. »Désormais à la tête de cette formation, Elly Schlein va certainement lui donner une orientation plus à gauche, ce qui a déjà provoqué le départ de certains membres du parti. Mais ce virage est également attendu par nombre d’électeurs italiens. « Certains parlent d’un rebond de l’intérêt, de nouvelles inscriptions au parti dans le sillage de ces primaires, indique encore Hervé Rayner. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a beaucoup d’atouts pour incarner la nouveauté. Elle est la première femme à la tête de ce parti. Sa jeunesse – 37 ans – la rapproche aussi de Giorgia Meloni. Il y a aussi le fait qu’elle vienne de la base étudiante "mouvementiste" du parti. Ça change beaucoup des secrétaires assez âgés ou alors positionnés au centre. En cela, c’est en quelque sorte un tournant. »Elly Schlein, l’anti-Meloni, bisexuelle, pro-migrants, en faveur des droits de la communauté LGBT+, va devoir s’atteler à la tâche tout de suite, car des élections européennes se profilent. Celles-ci pourraient bien confirmer son statut de leader de la gauche dans la classe politique italienne ou alors y mettre un terme si le Parti démocrate ne franchit pas la barre des 20% des suffrages. Même si, selon Giuseppe Bettoni, celui-ci n’a aucun intérêt à écarter la nouvelle égérie de la gauche.► À lire aussi : Italie: la droite remporte la Lombardie et le Latium malgré une forte abstention
7/29/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Maria Lvova Belova, le visage angélique d'un sombre trafic
Fin juin la justice ukrainienne a procédé aux premières inculpations pour la déportation présumée en Russie de dizaines d'orphelins. Il s’agit d’un homme politique russe et deux Ukrainiens de la région de Kherson. Le président russe Vladimir Poutine est visé par la CPI comme principal responsable d’un vaste trafic d’enfants et d'adolescents ukrainiens. La cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre lui, mais elle s’est aussi intéressée à une femme, Maria Lvova Belova. Commissaire aux droits de l’enfant de Russie, elle est la cheville ouvrière de ce trafic.(Rediffusion du 26 février 2023) Visible en pique-nique dans un parc, devant un atelier de graffiti urbain, ou encore en compagnie d'enfants à l’hôpital, Maria Lvova Belova soigne sa communication. Les images cherchent à séduire, comme sur cette vidéo qui la montre en train de descendre d'un avion, entourée d’enfants de tous âges. Dans le hall de l’aéroport, ces « orphelins d’Ukraine » sont accueillis avec profusion de ballons géants et de grands sourires. Ce film n'est qu'un exemple parmi des centaines d'autres, que l’on trouve sur internet et notamment la chaîne Telegram de la commissaire aux droits de l’enfant. 38 ans, un visage de madone renaissance et une allure soignée. Ancienne professeure de guitare mariée à un pope, Maria Lvova Belova est une fervente chrétienne. Elle a une famille de 23 enfants dont cinq biologiques. Les autres étant adoptées ou sous tutelle. « Cela en fait une figure très symbolique, explique Galia Ackerman, historienne directrice du site Desk Russie, celle d'une femme modeste que l’on voit souvent couverte d'un fichu comme les croyantes orthodoxes, qui prône donc les valeurs de la famille, de la charité, mais derrière cette façade se cache une réalité probablement mois rose. » Plusieurs organisations ont documenté des transferts forcés de population de l’Ukraine vers la Russie, dont ceux d’enfants dans le but de les faire adopter, en violation de plusieurs conventions juridiques internationales. En novembre dernier, Amnesty international présentait des recherches indiquant que des enfants séparés de leurs familles avaient des difficultés à quitter le territoire russe. Le laboratoire de recherche humanitaire de l’Université américaine de Yale, qui a publié le 14 février le rapport le plus exhaustif jusqu’à présent sur le sujet, a documenté plus de 6.000 cas d’enfants de 4 mois à 17 ans qui ont été déplacés en Russie ou en Crimée. Ces chiffres sont selon les chercheurs largement inférieurs à la réalité. Une fois emmené sur le territoire russe, les enfants sont soit placés en famille, soit, dans un premier temps, pris en charge dans des centres spécialisés pour y suivre des « programmes d’intégration ». L’équipe de Yale, qui a travaillé à partir de sources ouvertes, dénombre 43 centres de ce type en Crimée et en Russie. Proche de Vladimir Poutine, Maria Lvova Belova incarne cette politique. « Elle prétend sauver les enfants pour les placer, dans des foyers, les faire adopter. On leur donne immédiatement un passeport russe, parfois, on change leur nom ou leur date de naissance, de sorte que ces enfants deviennent introuvables. Par ailleurs, certains témoignages font état d’enfants placés dans des familles puis envoyés sans explication dans un orphelinat » affirme Galia Ackerman. En mars 2022, dans un entretien diffusé sur les réseaux sociaux, Maria Lvova Belova évoquait avec Vladimir Poutine l’arrivée d’une centaine d’orphelins du Donbass. « Les délais et procédures d’adoption temporaire étaient plus contraignants quand les enfants n’avaient pas la nationalité russe », expliquait-elle alors. Deux mois plus tard, la loi était modifiée pour accélérer les procédures de naturalisation. De nombreux cas de familles ukrainiennes qui cherchent leurs enfants emmenés en Russie sont rapportés par les ONG et les chercheurs. Le gouvernement ukrainien lui-même réclame leur retour. Iryna Vereshchuk, la vice première Ministre, a annoncé en avoir fait revenir 52. Mais aux demandes insistantes de Kiev, Maria Lvova Belova explique que ces enfants « aiment la Russie à présent, et n’ont pas envie de retourner chez leurs parents ». Une assimilation forcée, selon The Reckoning ProjectJannine di Giovanni dirige The Reckoning Project, une association américaine de journalistes et de juristes qui documentent les crimes de guerre pour les présenter à la justice. Elle a travaillé sur la région de Marioupol. « Là, comme dans tout le Donbass les transferts d’enfants se font de deux façons, explique-t-elle. Quand les parents passent par des camps de filtration, il y a parfois des bus qui emmènent les enfants, ils sont conduits de l’autre côté de la frontière jusqu’à Rostov par exemple et prennent l’avion pour Moscou ou d’autres villes. Mais il s’agit aussi souvent d’enfants placés en institutions. Ces institutions, héritage de la période soviétique, sont nombreuses dans le pays. Elles accueillent parfois des enfants de parents en difficulté de façon temporaire. Quand Marioupol est tombée, ces institutions ont été ouvertes et les enfants emmenés. Certains sont orphelins, mais beaucoup ne le sont pas. Leurs parents sont vivants, mais avec la guerre il y a tellement de déplacés internes qu’on ne sait pas où ils sont. » Maria Lvova Belova n’est pas seulement l’artisan de cette politique de déplacements, elle a elle-même adopté l’un de ces enfants, un adolescent de 15 ans, trouvé dit-elle avec une trentaine d’autres dans un sous-sol de Marioupol. Sur une video de son compte Télégram, elle explique qu’au début, lui et ses camarades « parlaient mal du président russe » et « chantaient l'hymne de l'Ukraine », mais qu’à présent elle « voit sous ses yeux comment cette intégration commence à se faire ». The Reckoning project dénonce une assimilation forcée, Galia Ackerman estime qu’on efface leur identité : « L'adoption des enfants, c'est quelque chose qui sonne toujours très noble. Mais on sait qu’il existe des camps de rééducation. Car si avec les petits c’est facile, les enfants en âge scolaire ont déjà une identité formée. Ils ont commencé à apprendre l'histoire de l'Ukraine, le folklore populaire, connaissent les chansons. Et là, brutalement, on leur arrache tout ce qu'ils ont su jusqu’à présent pour leur inculquer une autre histoire, une autre culture ». Maria Lvova Belova souhaite à présent installer des « structures socio-éducatives » spécifiquement adaptées aux adolescents sur le territoire ukrainien, dans les territoires annexés. Maria Lvova Belova a connu une ascension rapide avant d’être nommée commissaire aux droits de l’enfant en 2021 : co-fondatrice d’une organisation caritative en 2008, membre de la Chambre des droits civiques, elle a été vice-présidente du Front Populaire Panrusse à Penza, sa ville d’origine en 2019. Elle a rejoint Russie Unie la même année et devient sénatrice du parti de Vladimir Poutine en septembre 2020. Elle est aujourd'hui recherchée pour les crimes de guerre, de déportation illégale et de transfert illégal de population. La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt à son encontre le 17 mars 2023.
7/22/2023 • 3 minutes, 34 seconds
Jakov Milatovic, un «jeune loup» à la tête du Monténégro
Il est à l’origine d’un bouleversement politique majeur pour son pays. Jakov Milatovic a remporté dimanche 2 avril l’élection présidentielle au Monténégro en battant celui qui dirigeait le pays depuis 30 ans sans interruption, l’inamovible Milo Djukanovic. (Rediffusion du 9 avril 2023)Jakov Milatovic n’avait que cinq ans, en 1991, lorsque son adversaire est arrivé au pouvoir pour la première fois. Et c’est donc lui qui est à l’origine de ce séisme politique à l’échelle du Monténégro : la défaite dans les urnes de Milo Djukanovic, l’homme qui a dirigé le pays depuis plus de trente ans, soit comme président, soit comme Premier ministre. Un véritable tour de force pour ce novice, entré en politique il y a moins de trois ans. « Milatovic est un technocrate, un économiste, il a fait d’excellentes études et il a notamment étudié à Oxford, note Fedja Pavlovic, politologue monténégrin. Il est devenu banquier, et après les élections de 2020, perdues par le parti au pouvoir, il est devenu ministre des Finances. La grande réforme qu’il a faite, c’est la hausse du salaire minimum qui a été multiplié par deux. C’est une mesure économique concrète que les électeurs du Monténégro ont vraiment appréciée. »Un souffle nouveau Loué pour ses compétences techniques, mais critiqué pour son impatience et une certaine arrogance, Jakov Milatovic est apparu comme une figure nouvelle aux Monténégrins. Avec son mouvement Europe maintenant, il multiplie les promesses et fait souffler un vent nouveau sur le pays, le plus petit des Balkans occidentaux avec moins de 700 000 habitants. « Lorsque Europe maintenant est devenu un parti politique, il a commencé à faire beaucoup de belles promesses, analyse Ana Nenezic, directrice adjointe du Centre de réflexion Cemi, basé au Monténégro. Il s’est engagé à obtenir dans les cinq ans l’adhésion à l’Union européenne, et à augmenter les salaires. Il a parlé d’économie et a évité de parler des divisions nationales au sein du pays… et ça c’était vraiment rafraichissant pour les Monténégrins ! Et quand il a commencé à faire campagne, Djukanovic est apparu comme quelqu’un du passé, alors que lui est apparu comme un candidat visionnaire, qui représentait l’avenir. »Les promesses d’embellie économique et d’intégration européenne ont pesé lourdement. Mais pour Fedja Pavlovic, c’est surtout l’espoir d’en finir avec la corruption et le crime organisé qui ont motivé les électeurs et facilité la victoire de Jakov Milatovic. « Sous le régime de Djukanovic, le Monténégro était extrêmement corrompu, explique le politologue. Le crime organisé était omniprésent, et il y avait un petit cercle d'oligarques privilégiés qui détenaient la majeure partie de l'économie du pays. Nous nous trouvions donc dans la situation typique d'un pays post-communiste confronté à de graves problèmes de corruption et d'infiltration du crime organisé au sein du gouvernement. »À la recherche d'un équilibre délicatMais, pour emporter le scrutin, et défaire l’inamovible dirigeant du Monténégro, Milatovic a dû s’allier avec des formations pro-serbes qui ont bruyamment célébré sa victoire. Une alliance paradoxale et qui pourrait être délicate à assumer pour un dirigeant qui se veut pro-européen. « Il essaie de mettre en avant ses études dans les pays occidentaux et il assure vouloir faire progresser le pays vers les valeurs occidentales, mais en même temps, il a des liens étroits avec les partis pro-serbes et avec l'Église orthodoxe pro-serbe, qui est vraiment influente au Monténégro, pointe Ana Nenezic. Je pense donc qu'il essaie de trouver un équilibre entre ces deux axes complètement différents. Et nous verrons s'il y parviendra. » Et à la mi-juin, le parti « Europe Maintenant » est arrivé en première position lors des élections législatives, avec 26% des voix. Un succès puisqu’il arrive en tête, mais le parti de Jakov Milatovic sera obligé de nouer des alliances pour gouverner.► À lire aussi : À la Une: le Monténégro tourne pour de bon la page de l’ère Đukanović
7/15/2023 • 3 minutes, 32 seconds
Russie: Alexeï Navalny, le «masque de fer» de Vladimir Poutine
Les partisans d’Alexeï Navalny ont lancé une campagne internationale pour demander sa libération et pour attirer l’attention sur son sort. Alexeï Navalny, 46 ans, qui purge une peine de 9 ans de réclusion dans une colonie à « régime sévère », a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020. Il venait de Berlin, où il avait été hospitalisé après son empoisonnement à un agent innervant. De sa cellule, dans des conditions de détention éprouvantes, il poursuit son combat. (Rediffusion du 29 janvier 2023)Lorsqu’il est arrivé à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020, de retour de sa convalescence en Allemagne, 5 mois après son empoisonnement, Alexeï Navalny a pris quelques secondes dans les couloirs de l’aérogare devant un panneau représentant le Kremlin, pour adresser quelques mots à ses partisans : « Je n’ai peur de rien et je vous demande aussi de ne pas avoir peur ». Mais à peine le contrôle des passeports franchi en compagnie de son épouse et de son avocate, il était arrêté par des policiers et immédiatement placé en détention. « Il a fait un acte héroïque en décidant de rentrer en Russie, parce qu’il est, bien sûr, l’opposant personnel de Vladimir Poutine. Pourvu qu’il survive », s’inquiète Lev Ponomarev, 81 ans, cofondateur de l’ONG Memorial et président de l’institut Sakharov à Paris. « Les autorités pénitentiaires essaient de pousser Navalny à la folie ou au suicide », affirme le défenseur des droits de l’homme russe, exilé en France, où il a obtenu l’asile politique. Selon lui, les gardiens de prison mènent une « expérience médicale » sur le prisonnier Navalny, testant sa résistance, avec l’approbation du Kremlin « qui continue d’essayer de le tuer en créant pour lui des conditions de vie insupportables ». ► À lire aussi : Russie: l'opposant Alexeï Navalny transféré dans une autre colonie pénitentiaire selon ses prochesDans sa colonie pénitentiaire « à régime sévère », l’opposant est régulièrement envoyé en cellule disciplinaire ou d’isolement : il y a fait 11 séjours en deux ans, pour des infractions mineures au règlement, comme laisser un bouton de sa chemise déboutonné. Sa famille et ses proches s’inquiètent du fait que son état de santé se dégrade avec des conditions de détention qui ne cessent de se détériorer. « Mon père a passé plus de trois mois en cellule disciplinaire. C’est une petite cellule de 2 mètres sur 3 qui ressemble plus à une cage pour un homme qui mesure près de deux mètres », raconte, en anglais, sa fille, Dasha Navalnaya, étudiante à Stanford, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, dans le cadre de la campagne internationale de soutien. Une cellule de deux mètres sur troisÀ la mi-janvier, plusieurs centaines de médecins russes ont signé une pétition, parue sur Facebook, appelant Vladimir Poutine à fournir des soins appropriés à Alexeï Navalny, souffrant de syndromes grippaux et affirmant être privé d’un accès satisfaisant aux médecins et aux médicaments. Si les violences en prison ne sont pas un fait rare en Russie, l’homme, dont le président russe refuse de prononcer le nom, semble avoir droit à un traitement particulier. « C’est le prisonnier personnel de Vladimir Poutine, c’est son “masque de fer ” », estime le politologue Fedor Krasheninnikov. « Le président russe considère Navalny comme un membre de l’élite occidentale. Angela Merkel est venue le voir quand il était à l’hôpital. Et comme, dans son imaginaire, il est vu comme faisant partie du clan occidental, il le harcèle, un peu comme avec une poupée vaudou », commente ce proche de l’opposant emprisonné. ► À lire aussi : L'opposant russe Alexeï Navalny a passé le Nouvel an en cellule disciplinaireLes soutiens d’Alexeï Navalny dénoncent régulièrement une tentative du Kremlin de le « tuer » à petit feu. « Il est torturé d’une manière plutôt ingénieuse », note Lev Ponomarev. « On fait en sorte de le malmener, sans enfreindre la loi, en le punissant par exemple pour avoir fait sa toilette avant l’heure réglementaire. Un autre détenu, n’aurait sans doute pas été envoyé en cellule d’isolement pour ça, même si le règlement intérieur est rédigé de façon monstrueuse », estime le défenseur des droits de l’homme. « On voit bien qu’il bénéficie d’un régime de détention particulier, qui a été créé de façon à lui gâcher la vie », abonde Fedor Krasheninnikov. Amaigri, visiblement éprouvé par les journées passées à l’isolement, Alexeï Navalny continue de se battre pour faire reconnaître ses droits les plus élémentaires et intente des procès à l’administration pénitentiaire. Loin de se faire intimider, il profite de ces audiences pour lancer des messages politiques : « Vous ne me ferez pas taire avec votre cellule d’isolement. Poutine associe des centaines de milliers de personnes aux crimes qu’il commet. Il est comme la mafia, qui lie à elle par le sang des centaines de milliers de personnes », a lancé l’opposant au cours de l’une de ces audiences, où il est apparu en liaison vidéo dans une tenue visiblement trop grande pour lui. À l’occasion du deuxième anniversaire de son incarcération, l’opposant russe a répété ces arguments publiés sur les réseaux sociaux via ses avocats, appelant ses soutiens à contester ces choix faits par le pouvoir russe : « Notre malheureuse patrie tourmentée a besoin d’être sauvée. Elle a été volée, blessée, entraînée dans une guerre d’agression et transformée en prison dirigée par les méchants les plus éhontés et les plus trompeurs. Toute opposition à ce gang – même symbolique, compte tenu de ma capacité actuelle limitée – est importante ». Poursuivre le combat politiqueL’opposant le plus sérieux à Vladimir Poutine continue à exister politiquement, même du fin fond de sa prison, estime l’ancien député Dmitri Goudkov, autre détracteur du président russe, qui a préféré fuir la Russie pour éviter le sort d’Alexeï Navalny. « En continuant à rester actif en dépit de tous les obstacles, il montre à ses partisans qu’il continue à résister envers et contre tous, et cela donne de l’espoir à beaucoup de personnes ». Selon l’ancien élu, l’opposant y était prêt, « cela ne signifie pas que les choses sont simples pour lui, mais c’est à cela que l’on reconnaît la qualité d’un homme fort, qui ne peut être brisé ».Ne pas se faire oublier, continuer à exister du fin fond de la colonie pénitentiaire IK-6 Melekhovo, située à environ 250 km à l’est de Moscou : une gageure pour le juriste reconverti en homme politique, qui parvient à donner régulièrement des nouvelles de sa vie derrière les barreaux, dans des messages, transmis par ses avocats, où il manie l’humour mordant et l’ironie. « Des gens payent pour passer un Nouvel An original, pour moi, c’était gratuit », avait-il écrit, après sa nuit du 31 décembre passée en isolement, en compagnie d’un « voisin clochard » dépressif, obligé à faire des allers-retours entre le quartier disciplinaire et l’infirmerie où sévit une épidémie de grippe, « à croire qu’on l’utilise comme arme bactériologique. Pas étonnant qu’il soit triste », commente Alexeï Navalny. Pour ses militants les plus actifs, qui ont dû choisir entre la prison et l’exil, où ils poursuivent leurs enquêtes sur la corruption des officiels, le comportement de l’opposant reste une source d’inspiration. Alexeï Navalny est un « homme fort, un bon orateur, un vrai meneur politique et même dans la situation qu’il vit aujourd’hui, il essaye de résister, parce qu’il comprend que s’il se mettait à écrire qu’il ne va pas bien, qu’il est déprimé, il n’améliorerait pas son sort et il anéantirait la foi de ses partisans. Même étant en prison, il s’efforce d’afficher l’optimisme pour montrer aux gens qu’il faut continuer le combat », estime Fedor Krasheninnikov, exilé en Lituanie, comme une partie de l’équipe de l’opposant. ► À écouter aussi : Russie: «Quelque chose a basculé lors de la tentative d'assassinat d'Alexeï Navalny»Durant les mois qu’il a passés en convalescence en Allemagne, Alexeï Navalny a poursuivi son travail d’investigation. Il a notamment recueilli les confessions d’un membre de l’équipe des services de sécurité, qu’il considère comme d’un des responsables de son empoisonnement en août 2020 à bord d’un avion en partance de Sibérie. Un réalisateur canadien l’a suivi durant cette période et tourné un film aux allures de thriller, en lice pour l’Oscar du meilleur documentaire.
7/8/2023 • 3 minutes, 35 seconds
Petteri Orpo, le modéré obligé de s’allier à l’extrême droite
Depuis le 20 juin dernier, la Finlande a un nouveau Premier ministre en la personne de Petteri Orpo. Le président du parti de la coalition nationale, le Kok, après avoir remporté d’une courte tête les élections législatives, a formé un gouvernement de coalition avec, notamment, la participation de la deuxième formation du pays, les Vrais Finlandais, formation d’extrême droite qui a obtenu 20,05% des voix. Dans ce pays qualifié de pays le plus heureux au monde depuis plus de cinq ans, les choses devraient très rapidement changer avec la présence de l’extrême droite dans le gouvernement formé par cet homme politique qui se présente comme un conservateur fiscal. Il a gravi les échelons lentement, mais surement, lui qui a mis douze ans pour obtenir son diplôme universitaire. Petteri Orpo a toujours fait de la politique. Fils d’Hannu Orpo, homme politique et membre du parti de la coalition nationale, ce diplômé de l’Université de Turku, père de deux enfants, aujourd’hui âgé de 53 ans, est parvenu à remettre sur le devant de la scène l’une des plus vieilles formations politiques du pays, le Kok, et ce malgré le fait qu’il ne bénéficie pas véritablement de charisme. « Petteri Orpo n'a pas été jusqu'ici une figure dominante de son parti et de la vie politique. C'est plutôt quelqu'un qui a fait sa carrière dans l'ombre de figures plus proéminentes. Je pense notamment à l'ancien Premier ministre Alexander Stubb ou au président de la République actuel, explique Cyril Coulet, spécialiste des pays nordiques et ancien chercheur à l’Institut suédois de relations internationales. C’était en fait toujours un peu le deuxième couteau qui a été projeté sur le devant de la scène à la faveur de la campagne électorale où cette fois, son heure est venue. Ce n’est pas une personnalité extrêmement charismatique et c'est d'ailleurs un élément assez étonnant devant le contraste entre, finalement, la personnalité de l'ancienne Première ministre, Sanna Marin et la personnalité de Petteri Orpo. Donc, on revient en fait sur un profil, je dirais plus classique dans la vie politique finlandaise », conclut le spécialiste.À lire aussiLégislatives en Finlande: la Première ministre joue sa reconduction dans un scrutin serréUne alliance contre-natureCe modéré, qui se présente comme un conservateur fiscal, a certes remporté les élections, mais a dû composer - entre autre - avec la deuxième force politique du pays, le parti d’extrême droite des Vrais Finlandais, pour parvenir à mettre en place une coalition. Une décision un peu contre-nature comme l’explique Louis Clerc, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Turku en Finlande : « En 2017 par exemple, il a insisté sur les valeurs qui le liaient au parti social-démocrate et sur le fait que le parti des Vrais Finlandais, donc ce parti d'extrême droite, ne représentait pas ses valeurs. Et aujourd'hui en 2023, il a besoin des Vrais Finlandais pour créer un gouvernement et donc il les prend dans ce gouvernement, précise Louis Clerc. Donc c'est aussi quelqu'un qui, comme un peu partout en Europe, est le représentant d'une droite plutôt de centre droit qui est prise en otage par l'extrême droite et la droite, plus conservatrice, qui monte dans les sondages. »Un partenaire un peu encombrantPetteri Orpo doit donc revoir ses ambitions sur certains dossiers, notamment l’immigration. Un dossier sur lequel les Vrais Finlandais ne sont pas près de revoir leur position. « Il y a en tout cas une contrainte liée à l'exercice de la coalition, sachant qu'en plus de ça, le parti des Vrais Finlandais a déjà fait l'expérience de la coalition avec un gouvernement de centre-droit qui avait résulté en une scission très forte à l'intérieur du parti. Et le parti des Vrais Finlandais, qui a connu un déclin électoral, a connu une renaissance à travers une nouvelle radicalisation, détaille Cyril Coulet. Je pense que le parti des Vrais Finlandais tient une ligne radicale dont il ne souhaite pas dévier et a la possibilité de contraindre ses partenaires de coalition à adopter eux-mêmes une ligne peut-être plus dure que celle qu'ils avaient envisagée de prendre précédemment. »Des tensions en ligne de mireLes quatre années à venir s’annoncent donc compliquées pour Petteri Orpo estime Louis Clerc, pour qui cette coalition très hétéroclite et bancale pourrait bien ne pas aller au terme de son mandat. « Il y aura très probablement des dissensions à l'intérieur de ce gouvernement. Et en particulier entre deux parties qui sont le parti d'extrême droite des Vrais finlandais et le Parti du Peuple suédois, qui est un parti plutôt du centre et qui représente la minorité suédophone du pays. Une formation qui a des options en termes, en particulier, de mœurs et d'immigration complètement différentes du parti des Vrais Finlandais. Je pense que les difficultés vont surtout être entre ces deux formations politiques. »Petteri Orpo va donc devoir jongler avec ses différents partenaires pendant les quatre prochaines années. Et s’il parvient à tirer son épingle du jeu, il pourrait bien enfin devenir une figure proéminente de son parti et s’inscrire dans la durée à la tête du gouvernement finlandais.À lire aussiÉlections en Finlande: Petteri Orpo, le choix de l'austérité
7/1/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Alberto Núñez Feijóo, le modéré obligé, de négocier avec l’extrême droite
Alberto Núñez Feijóo a pris les commandes du parti populaire espagnol, le PP, formation conservatrice en avril 2022. Un parti qui était alors en proie à une crise interne après des scandales à répétition. Un an après, le PP s’est largement imposé fin mai lors des élections régionales et municipales et aujourd’hui il est en tête des sondages pour les élections législatives prévues le 23 juillet prochain. Discrètement, cette figure politique de la droite espagnole a su imprimer sa marque. Alberto Núñez Feijóo est né en 1961 en Galice, la province où il a forgé sa carrière politique au niveau régional jusqu’à l’année dernière et son élection à la présidence du Parti Populaire espagnole. Président de la Junte de Galice durant plus de 13 ans, ce haut fonctionnaire, qui a suivi des études de droit à Saint-Jacques-de-Compostelle, était le dauphin au niveau local de manuel Fraga, fondateur du PP et ancien ministre de Franco. Et c’est à ce poste qu’il a su imprimer sa marque, détaille Mathieu Petithomme, maître de conférence en Sciences politiques et spécialiste de l’Espagne : « C'est quelqu'un qui est libéral économiquement et qui est conservateur sur les questions de mœurs. Son programme en Galice, c'était cela, c'est-à-dire au niveau de l'éducation, c'est une des régions où il y a eu pas mal de faveurs données à l'école privée plutôt qu'à l'école publique. Au niveau de la santé publique, c'est pareil. Dans ces 15 années de mandat local, il a développé beaucoup les cliniques privées au détriment de la santé publique. Une politique aussi de baisse des impôts en faveur des entreprises locales. Une politique un peu de droite, conservatrice, classique. »Le temps des alliancesSi c’est cette étiquette de modéré qui lui a permis d’être élu président du Parti populaire en avril 2022, depuis les choses ont changé. Car la présence de plus en plus ancrée de la formation d’extrême droite Vox oblige Alberto Núñez Feijóo à faire évoluer son discours. Maria Elisa Alonso, enseignante et chercheuse à l’Université de Lorraine : « Les circonstances évoluent, parce que la vie politique en Espagne est divisée en deux blocs, la gauche et la droite. La société espagnole est très polarisée. Et comme les différences entre ces deux blocs sont limités, les deux grands partis vont avoir besoin quoi qu'il arrive de passer des accords. Et le seul accord possible qui peut faire Alberto Núñez Feijóo, c'est avec Vox. Donc, de ce fait, il est en train de perdre ce virage vers le centre pour aller vers des positions plus conservatrices. »À lire aussiPrès de 350 migrants secourus au large des Canaries au lendemain d'un naufrage meurtrierL’exemple italienCe virage entrepris par ce parti conservateur en Espagne aurait pu faire peur il y a encore peu, mais le contexte actuel, comme le souligne Mathieu Petithomme rend un tel scénario acceptable : « C'est un cycle que l'on observe un peu partout en Europe et ailleurs dans le monde. Le fait qu’en Italie, on ait cette association entre l'extrême droite et la droite conservatrice, ça a quand même ouvert une boîte de Pandore au sens où ce n’est plus un tabou qu'on ait des droites plus conservatrices associées à l'extrême droite qui gouvernent parce que l'Italie est quand même le troisième pays européen. On a vu le cas du gouvernement finlandais récemment. Donc voilà, la question c'est : est-ce que l'Espagne sera le prochain pays où on pourra avoir un tel scénario ? Et c'est quand même assez probable. Même si bien évidemment, la gauche peut aussi parfaitement rester au pouvoir. »Un virage pas si choquantEn tête des sondages, le parti populaire ne devrait pas obtenir la majorité absolue le 23 juillet prochain. Alberto Núñez Feijóo pourrait donc bien être celui qui ouvrira les portes du pouvoir à l’extrême droite, 46 ans après la fin du Franquisme. Une éventualité qui ne risque pas de faire fuir les électeurs conservateurs les moins radicaux selon Maria Elisa Alonso : « Selon les dernières enquêtes, les électeurs du PP sont très fidèles et en fait, ils ont assumé parfaitement la question de faire coalition avec Vox. Ils préfèrent une coalition avec Vox par exemple, plutôt qu'avec des partis indépendantistes, même s'ils sont des partis conservateurs. En plus, j'ai vu une enquête faite par une université selon laquelle l’électorat du PP situe idéologiquement leur propre parti autour de neuf, sachant que dix, c'était l'extrême droite, donc ils ne seront pas punis par leur électorat qui a déjà assumé, je pense. »Si Alberto Núñez Feijóo croit encore en la possibilité d’obtenir une majorité absolue le 23 juillet prochain, il se prépare tout de même à discuter avec Vox, à l’image de ce qui se passe en ce moment au niveau local, où les accords entre la droite traditionnelle et l’extrême droite se multiplient.À lire aussiEspagne: la présidente du Parti populaire en Estrémadure refuse de faire alliance avec Vox
6/24/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Albin Kurti, l’intransigeant dirigeant du Kosovo
Brusque regain de tension entre la Serbie et le Kosovo, après l’arrestation cette semaine par la Serbie de trois policiers kosovars. À l’origine de cette nouvelle crispation entre Belgrade et Pristina, la décision du Premier ministre kosovar, Albin Kurti, d’introniser quatre maires albanais dans des villes à majorité serbe. Une décision très critiquée par la Serbie, mais aussi par les partenaires occidentaux du Kosovo. Ancien leader étudiant devenu Premier ministre en 2021, Albin Kurti est désormais sous la pression de l’Union européenne et des États-Unis qui lui reprochent d’attiser les tensions avec Belgrade. C’est du jamais-vu depuis l’indépendance du Kosovo en 2008 : les pays occidentaux ne cachent plus leur agacement à l’encontre de son Premier ministre, l’inflexible Albin Kurti. Au point que désormais Washington et Bruxelles agitent la menace de sanctions. Une perspective périlleuse pour le Kosovo, qui ne peut s’affranchir du soutien occidental. « Il faut se rappeler que l’indépendance du Kosovo s’est fait grâce aussi aux pays occidentaux », pointe Teuta Vodo, ancienne ministre adjointe de la Justice d’Albanie et enseignante à Sciences-Po Paris. « Il faut toujours se rappeler que les alliés historiques du Kosovo, c’est surtout les États-Unis – et que ce soutien ne doit pas être pris pour un acquis. Il y a toujours un risque que le Kosovo puisse perdre ça. » Un jeu dangereux pour le Kosovo, et pour son Premier ministre. Âgé de 48 ans, Albin Kurti est le premier dirigeant de son pays à ne pas être issu des rangs de l’UCK, l’Armée de libération du Kosovo. Ce qui ne l’empêche pas d’être un fervent nationaliste, comme le rappelle Florent Marciacq, co-directeur de l’Observatoire des Balkans au sein de la Fondation Jean-Jaurès. « Albin Kurti était un leader étudiant, il a dirigé le mouvement de protestation opposé au régime de Milosevic et il a connu les geôles yougoslaves. Et puis, par la suite, il s’est révélé assez critique de l’administration internationale. C’est un dirigeant qui s’est beaucoup engagé dans la lutte contre la corruption et les réformes administratives, et qui n’appartient pas aux cercles de vétérans traditionnels. »► À lire aussi : Kosovo : le Premier ministre sous le feu des critiques, mais soutenu par la population albanaiseRétablir la souveraineté entière sur le nord du KosovoFervent nationaliste, Albin Kurti refuse la création d’une Association de communes serbes dans le nord du pays, une mesure qui se trouve pourtant au cœur de l’accord négocié avec la Serbie, sous l’égide de l’Union européenne. Aux yeux du dirigeant kosovar, cette mesure ouvrirait la voie à une autonomie dangereuse pour son pays, à l’image de la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine. « Le risque, selon Albin Kurti, c’est de se voir former une seconde Bosnie », décrypte Teuta Vodo, « avec un territoire où les autorités centrales de Pristina ne seraient pas en mesure d’exercer leur pouvoir. Il a répété qu’il veut être le Premier ministre de tout le Kosovo, et de tous les citoyens kosovars, y compris les minorités. Il considère donc comme dangereuses les propositions occidentales. » ► À lire aussi : Kosovo : les violences réveillent les plaies mal cicatrisées du passéLe but d’Albin Kurti est de rétablir une souveraineté entière sur le nord du pays et de lutter contre la contrebande et le crime organisé qu’il accuse la Serbie d’instrumentaliser. Critiqué par les pays occidentaux pour son intransigeance, le dirigeant kosovar affirme pour sa part que c’est Belgrade qui attise les tensions dans la région. Autre argument de l’ancien leader étudiant, relevé par Florent Marciaq : le double jeu de la Serbie dans le contexte de la guerre en Ukraine. « D’une certaine façon, Albin Kurti met les Occidentaux au pied du mur. En leur demandant s’ils préfèrent un Kosovo qui soutient l’Otan, l’UE et l’Ukraine contre la Russie, ou un régime serbe qui dérive autocratiquement et qui soutient de façon plus passive la Russie. » Face à la Serbie, Albin Kurti parie sur une stratégie de la tension et du fait accompli. À condition de ne pas aller jusqu’à la rupture avec ses partenaires européens et américains. Des sanctions de Bruxelles ou de Washington susciteraient une crise politique majeure à Pristina – où plusieurs partis d’opposition brandissent déjà la menace d’une motion de censure.► À lire aussi : Tensions au Kosovo : les raisons de la colère
6/17/2023 • 3 minutes, 34 seconds
En Turquie, Hakan Fidan sort de l’ombre
Après la réélection de Recep Tayyip Erdogan, il y a deux semaines, le président turc a annoncé la composition de son nouveau gouvernement la semaine dernière à l’occasion de son investiture. Et si les regards étaient principalement tournés vers le ministère de l’Économie, étant donné le contexte actuel, la surprise a été du côté du ministère des Affaires étrangères avec la nomination de Hakan Fidan à ce poste. Ancien chef du MIT, les services de renseignements turcs, qu’il a dirigés durant plus de 10 ans, ce fidèle parmi les fidèles du président turc, bien que peu connu, pourrait bien devenir une des principales figures du paysage politique turc des prochaines années. Qui est Hakan Fidan, ce personnage de l’ombre, qui connaît tous les secrets de son mentor Recep Tayyip Erdogan et qui est désormais aujourd’hui sur le devant de la scène ?Père de trois enfants, titulaire de nombreux diplômes aux États-Unis, mais aussi en Turquie, notamment à l’université de Bilkent, à Ankara, l’ancien chef des renseignements turcs est considéré comme l’un des proches confidents du président turc, comme le confie Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul : « C’est un homme dont Recep Tayyip Erdogan a dit que c’était finalement sa mémoire, c’était celui qui était le mieux informé de Turquie ».Un personnage au cœur du pouvoirPersonnage de l’ombre, Hakan Fidan est surtout un personnage redouté en Turquie, car en tant qu’ancien chef des services secrets comme l’explique Aurélien Denizeau, chercheur en histoire, relations internationales et sciences politiques, et spécialiste de la Turquie, il a géré les dossiers les plus sensibles :« Hakan Fidan est redoutée, bien sûr, parce qu’il a en réalité été mêlé à toutes les affaires un peu obscures qui ont pu faire parler de la Turquie dans les dernières années, notamment par exemple ces ingérences dans les guerres civiles syrienne y compris avec des manœuvres qui parfois ont été dénoncées, comme l'envoi d'armes à des groupes pour lesquels il était difficile de tracer la destination finale ou bien encore, bien sûr les négociations de paix, puis ensuite au contraire une lutte implacable avec les milices armées kurdes dans la région. »Patron des renseignements entre 2010 et 2023, ce fidèle parmi les fidèles du président turc a aussi été de ceux qui ont lutté contre la confrérie Gülen, accusée entre autres d’être derrière la tentative de coup d’État en 2016. Il a aussi participé à la répression contre les universitaires, les journalistes et les juges dans les années qui ont suivi. Un personnage qui est donc au fait de tous les secrets, mais qui n’a pas le profil habituel pour occuper le poste de ministre des Affaires étrangères, estime Aurélien Denizeau : « C'est un profil qui est relativement atypique à ce poste puisqu’en règle générale, on avait tendance à privilégier les diplomates, ou bien des proches du président, mais issus davantage du sérail politique. Or, il est issu du monde sécuritaire, il est issu des services de sécurité et à ce titre, évidemment, c'est une personnalité un petit peu différente de ce que l'on pouvait attendre. »Pas de changement attendu dans la diplomatie turqueCe profil atypique interroge. Est-ce que cela signifie que la Turquie va opérer un changement d’orientation de sa politique étrangère ? Pour Jean Marcou, c’est une possibilité. Mais étant donné le contexte actuel, la Turquie malgré tout devrait continuer sur la même ligne selon lui : « Je ne pense pas que pour l'instant, il y ait de changements ou de revirement qui soient véritablement à l'ordre du jour. Par contre, je crois qu'il y a un peu peut-être deux options, soit une reprise de la politique très offensive qui avait été menée au tournant des années 2020 en Méditerranée orientale, notamment avec des opérations militaires, un peu de partout, des relations souvent tendues de la Turquie avec ses alliés occidentaux. Je pense plus qu'on va assister à un approfondissement de la dimension stratégique de la Turquie dans les affaires internationales. Je veux parler en particulier du dossier ukrainien. Je veux parler des dossiers balkaniques. La Turquie est dans une position qui est assez stratégique, médiatrice sur beaucoup de dossiers à l'heure actuelle, il me semble que ses premiers pas risquent de refléter la position de la Turquie dans les prochains mois. »Il ne faut donc pas s’attendre à de grands changements en matière diplomatique. Surtout que comme le rappelle Aurélien Denizeau, c’est Recep Tayyip Erdogan qui a la main en matière de relations internationales depuis qu’a été instauré le régime présidentiel turc en 2018 : « La politique étrangère qui va être appliquée par la Turquie, ce sera la politique étrangère que va choisir d'appliquer Recep Tayyip Erdogan. Donc, peu importe la personnalité du ministre, ce dernier pourra éventuellement lisser les choses à la marge ou peut-être fournir certaines informations intéressantes. Mais il n'aura pas vraiment de marge de manœuvre. Il ne sera ni un décideur, ni un théoricien. »Si Hakan Fidan n’aura pas véritablement de marge de manœuvre dans son ministère, son choix n’est pas si anodin. Recep Tayyip Erdogan est aujourd’hui âgé de 69 ans. Il en aura 74 au moment où il terminera son mandat. Un laps de temps qui doit permettre à la génération d’Hakan Fidan de sortir de l’ombre pour à terme prendre les rênes de la Turquie.
6/10/2023 • 3 minutes, 32 seconds
Isabel Díaz Ayuso, l’égérie de la droite dure espagnole
Elle est l'une des grandes gagnantes des élections municipales et régionales espagnoles, qui se sont tenues dimanche 28 mai 2023. Isabel Díaz Ayuso restera présidente de la région de Madrid pour les quatre prochaines années. Elle a même remporté une majorité absolue. Quasi-inconnue à son arrivée au pouvoir en 2019, elle est aujourd'hui une figure majeure de la droite espagnole. Isabel Díaz Ayuso, c'est avant tout un style : un ton provocateur et l'attaque directe de ses adversaires politiques. « Je rappelle que Pedro Sánchez était celui qui prétendait rendre à la vie politique espagnole sa dignité », ironisait-elle lors d’un discours en mai 2023. « Et la vérité est que jamais en 46 ans de démocratie, un président du gouvernement n’était tombé aussi bas. » S'en prendre farouchement au gouvernement socialiste de Pedro Sánchez est devenu récurrent chez Isabel Díaz Ayuso. L'élue conservatrice du Parti populaire reproche notamment à la gauche ses alliances avec les indépendantistes basques et catalans. Son discours sans filtre et impulsif est devenu sa marque de fabrique. « Elle se nourrit d’une politique de confrontation et l'utilise constamment », explique Ana Sofía Cardenal, professeure de sciences politiques à l'Université ouverte de Catalogne. « Elle s'est spécialisée dans cette opposition au gouvernement national de Pedro Sánchez. Ses sujets de prédilection sont donc toujours ces mêmes idées selon lesquelles nous allons vers une sorte de Venezuela, que nous avons une gauche communiste, terroriste, comme s’il s’agissait d’une gauche stalinienne ou bolivarienne. Et tout cela de manière très exagérée. »► À lire aussi : Espagne: les élections anticipées mettent en suspens de nombreuses loisAmbitieuse et sûre d’elleSes positions musclées lui valent d'être comparée à Donald Trump par ses adversaires. À l'instar de l'ancien président américain, Isabel Díaz Ayuso clame haut et fort sa défiance envers les médias. Elle a aussi appliqué une politique très peu restrictive à Madrid pendant la pandémie, en refusant de fermer les bars et les restaurants. Mais les partisans de la cheffe de l'opposition sont friands de ce caractère affirmé. Pour eux, cela reflète une droite ambitieuse et décomplexée.Haïe par les uns et adorée par les autres, la figure d'Isabel Díaz Ayuso est donc pour le moins clivante, comme le constate Ana Sofía Cardenal : « Je pense qu’elle est vraiment très populaire à Madrid, et qu'elle est vraiment très impopulaire dans les territoires périphériques comme la Catalogne ou le Pays basque. Et entre les deux, je dirais qu’il y a les autres régions. »La victoire triomphale d'Isabel Díaz Ayuso à Madrid n'a rien d'étonnant, dans une capitale devenue un terreau fertile de la droite espagnole. Pour Paloma Román Marugán, politologue à l'Université Complutense de Madrid, la ville a connu un processus de « droitisation » ces dernières années : « Isabel Díaz Ayuso est considérée par le bloc de droite comme une héroïne, une sauveuse, au vu de la période plus à gauche que connaît l'Espagne depuis 2018, depuis que Pedro Sanchez est devenu président du gouvernement. »► À lire aussi : Espagne: le pari de Pedro SanchezAprès Madrid, un destin national ?Issue d'une famille de petits entrepreneurs ruinés par la crise de 2008, cette ancienne journaliste est même parvenue à conquérir progressivement l'électorat des autres formations de droite, comme Ciudadanos, parti de centre droit, et Vox à l'extrême droite. Mais au-delà de son succès régional, Isabel Díaz Ayuso pourrait avoir des ambitions nationales. Elle est d’ailleurs souvent présentée comme un danger pour le chef de file du Parti populaire. « Ses ambitions sont désormais satisfaites au niveau régional puisqu'elle a obtenu la majorité absolue. Elle va donc gouverner pendant les quatre prochaines années dans la communauté de Madrid sans aucun obstacle ni négociations », rappelle Paloma Román Marugán. « Au niveau national, elle est logiquement en dessous du candidat du Parti populaire à la présidence du gouvernement, Alberto Nuñez Feijóo. Mais elle le suit de très près. Le leadership des partis politiques se mesure habituellement à leur capacité à remporter des élections. Et Isabel Díaz Ayuso a cette capacité. »En cas d'échec d'Alberto Nuñez Feijóo lors des élections législatives anticipées le 23 juillet, Isabel Díaz Ayuso a pour l'instant toutes ses chances de lui succéder à la présidence du Parti populaire.► À lire aussi : Alfonso Zapico, la voix des mineurs asturiens
6/3/2023 • 3 minutes, 36 seconds
Kyriákos Mitsotákis, le «Macron grec»?
Avec près de 41% des suffrages, le parti conservateur grec Nouvelle Démocratie a largement remporté les élections législatives dimanche 21 mai. Une victoire qualifiée de « séisme politique » par son dirigeant, le Premier ministre sortant Kyriákos Mitsotákis. Héritier d'une importante dynastie politique en Grèce, Kyriákos Mitsotákis se targue d'un solide bilan économique après des années de crise. Mais sa popularité a été affectée par plusieurs scandales. L’économie est un thème cher aux yeux du libéral Kyriákos Mitsotákis. Le 15 mai 2023, en pleine campagne pour les élections législatives, il disait espérer que « les quatre prochaines années soient des années de croissance rapide pour la Grèce, mais une croissance qui limitera également les inégalités et qui garantira que nous nous concentrions sur le soutien aux personnes les plus vulnérables ».Après quatre années sous la direction de Kyriákos Mitsotákis, l’économie grecque semble se porter de mieux en mieux avec une croissance de près de 6% l’an dernier. Des résultats honorables après des années de crise, selon Georges Prevelakis, professeur émérite de géopolitique à l'Université de la Sorbonne à Paris : « Il a hérité d’une situation extrêmement difficile à cause de la crise économique et de la politique d’austérité. Et il a mené une politique avec des résultats évidents : un taux de croissance, une diminution du chômage… Bien sûr, il reste encore du chemin à parcourir. Les salaires sont encore très bas. Ce sont donc les pistes de son programme. »Image de technocrateIssu de la finance et ancien du cabinet de conseil McKinsey, le Premier ministre grec renvoie une image de technocrate, parfois jugé arrogant. Les éditorialistes du pays le surnomment même le « Macron grec ». Les deux dirigeants présentent toutefois quelques différences, souligne Joëlle Dalègre, professeure à l'Institut national des langues et civilisations orientales : « Je suppose que la comparaison avec Emmanuel Macron vient du fait que ce soit quelqu’un de surdiplômé, de jeune pour un homme politique, et qui a aussi longtemps travaillé dans une grande banque avant de se lancer dans la vie politique. L’une des grosses différences est qu’il est tout de même né dans la politique : il est un héritier de la politique et a été élevé pour cela. »► À lire aussi : Georges Kapopoulos: en Grèce, «pas de surprise, le parti conservateur sera le premier»Le père de Kyriákos Mitsotákis a lui aussi été Premier ministre dans les années 1990. Mais malgré la tradition centriste de sa famille, l'actuel dirigeant a intégré à Nouvelle Démocratie d'anciens politiciens du parti d’extrême droite LAOS. « Je vois que l’on présente très souvent Mitsotákis comme un homme politique de droite, ce qui est tout à fait faux, car il vient d’une famille de centristes », nuance Georges Prevelakis. Pour lui, ces rapprochements avec l’extrême droite ne font pas du Premier ministre un homme de la droite dure pour autant. « Il est vrai que tout parti, évidemment, essaye de rassembler des gens plus à droite, et d’autres plus à gauche. Autrement, on ne peut pas gagner les élections. Dans le cas de Mitsotákis, il est tout à fait clair que Nouvelle Démocratie penche plutôt vers le centre. »Victorieux malgré son impopularitéC'est avec cette formation que le Premier ministre a arraché une écrasante victoire aux dernières législatives. Preuve que les électeurs n'ont pas sanctionné Kyriákos Mitsotákis dans les urnes, lui qui a vu son mandat émaillé de plusieurs scandales. Il a d’abord dû surmonter une affaire d'écoutes téléphoniques de journalistes, cadres politiques et dirigeants économiques. Un scandale qui a impliqué son propre neveu.Plus récemment, Kyriákos Mitsotákis a dû affronter la colère provoquée par la catastrophe ferroviaire de Larissa. Ce drame, qui a fait 57 morts en février, a donné lieu à des manifestations contre le gouvernement, accusé de négligence. « J’ai l’impression que les électeurs sont un peu résignés. Ils savent très bien que la mauvaise gestion des trains s’étale sur quasiment 20 ans. Il en est donc pour l’instant le responsable, mais les autres ont eu leur part de responsabilité auparavant, relève Joëlle Dalègre. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, beaucoup pensent qu’il y avait déjà des écoutes téléphoniques précédemment, et qu’en définitive ce n’est pas bien, mais qu’il n’est pas tout seul ».Le Premier ministre a désormais les yeux rivés vers le prochain scrutin législatif. Car à la différence d'Emmanuel Macron, Kyriákos Mitsotákis n'entend pas se contenter d'une majorité relative au Parlement. Il a convoqué de nouvelles élections fin juin, cette fois avec d'autres règles qui octroient un bonus au parti arrivé en tête. Cette prime au sortant peut s’élever jusqu'à 50 sièges supplémentaires. Kyriákos Mitsotákis fait d’ores et déjà figure d'ultrafavori pour ce second tour.► À lire aussi : Grèce: fort de sa victoire, le Premier ministre Mitsotakis appelle à de nouvelles élections
5/27/2023 • 3 minutes, 36 seconds
Mariya Gabriel peut-elle sortir la Bulgarie de la crise politique ?
Alors que le pays est depuis des années en proie à l’instabilité, et à une succession de gouvernements d’experts, le denier scrutin du 2 avril n’a pas permis de sortie de crise. Dans une ultime tentative de dégager un consensus politique, c'est à la commissaire européenne Mariya Gabriel que le pays fait appel. Une brillante Européenne, peu connue en politique intérieure. C’est à Bordeaux que Mariya Gabriel pose ses valises pour faire Science-Po, au début des années 2000. « La ville des 3 M : Montaigne, Montesquieu, Mauriac », trois penseurs dont les valeurs la guident « dans sa vie personnelle et professionnelle », se plaît-elle à rappeler. Nous sommes au début des années 2000, la jeune Mariya vient de quitter la Bulgarie après des études de lettres à Plovdiv. Et c’est le début d’une carrière européenne fulgurante : en 2017, à 38 ans, elle devient la plus jeune commissaire européenne, en charge du Numérique.« C’est une femme qui connaît bien les institutions, qui connaît bien les sujets européens et qui en plus, est une francophone parfaite, elle est une des rares commissaires qui parle français avec son équipe et avec les services », se souvient Guillaume Klossa, président du think tank EuropaNova qui était à l’époque conseiller du vice-président de la Commission en charge de ces mêmes questions. « Pendant son premier mandat de commissaire au Numérique, elle a été extrêmement appréciée, notamment des milieux culturels français. Parce qu’elle a joué un rôle très important dans la révision de la directive sur les droits d’auteur. Elle était très appréciée par les milieux cinématographiques et du livre francophone, qui étaient en amont des discussions sur ce texte très important. Elle a laissé à la fin de son premier mandat le souvenir d’une femme qui est à la fois ouverte, compétente, active. »Elle enchaînera avec le portefeuille de l’innovation et de la jeunesse qu’elle quitte aujourd’hui à un an des élections européennes. Elle y gère les 95,5 milliards d’euros du budget recherche et innovation Horizon Europe. « Elle était sur le point de lancer un big bang de la recherche dont l’Union européenne a un besoin urgent, et qui va être retardé », regrette Guillaume Klossa, qui souligne que la dimension francophile et francophone de Mariya Gabriel, et sa très bonne compréhension des institutions européennes ont été déterminantes dans son rapide parcours. Compétente et travailleuseTout a commencé en 2009 lorsque Boïko Borissov, le patron du parti conservateur bulgare Gerb (groupe PPE à Bruxelles), lui propose une place en position éligible aux élections européennes. Elle fera deux mandats dans l’hémicycle strasbourgeois. En 2012, elle épouse François Gabriel, haut fonctionnaire des institutions européennes, un proche de Joseph Daul (ancien chef du groupe PPE, puis du parti lui-même) qui est aujourd’hui vice-directeur de cabinet de la présidente du Parlement Roberta Metsola.Reconnue compétente et travailleuse, Mariya Gabriel cumule les distinctions et les réussites ; avec la solide réputation de pousser ses équipes à bout. À Bruxelles comme à Sofia, ses détracteurs lui reprochent de prendre ses ordres auprès de Boïko Borissov. Mais une commissaire ne défend pas son pays. « Ce n’est pas une femme partisane, c’est une femme politique. Elle a bien défendu ses dossiers », précise Guillaume Klossa « C’est une femme d’intérêt général, qui est vraiment Européenne et c’est aussi une femme multiculturelle, à la fois de culture française et bulgare ». ► À écouter aussi : À Vratsa, en Bulgarie, les fonds européens transforment la villeMariya Gabriel, « éloignée de la vie politique bulgare »Est-ce la Bulgare qui rentre aujourd’hui à Sofia ? Beaucoup de ses compatriotes redoutent que la culture institutionnelle de Bruxelles ait pris le dessus. « Cela fait bientôt 15 ans qu’elle est éloignée de la vie politique bulgare, donc il y a des doutes quant à sa capacité à vraiment entendre les problématiques, les préoccupations nationales, résonner », estime la Franco-Bulgare Rayna Stamboliyska, spécialiste des questions européennes de cybersécurité.« Elle ne connaît pas la politique bulgare sur un plan pratique », renchérit Antony Todorov, professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université bulgare. « Elle n’y a jamais participé, sauf à l’occasion de deux campagnes électorales européennes. Elle ne connaît vraiment pas le pays. Certes, elle a accumulé une expérience en tant que commissaire européenne, mais avant de devenir commissaire, elle n’avait aucune expérience, à l’inverse de beaucoup de ses collègues qui ont souvent été ministres, voire Premier ministre, chef de camps, de grandes institutions, etc. Elle a tout appris à Bruxelles. Mais Bruxelles, la Commission européenne, c’est tout de même assez particulier. Au niveau national, dans tous les pays de l’Europe, ça ne se passe pas de la même façon ». Mariya Gabriel, l’élément-clé pour former un gouvernement d’unité nationale ?Mais alors pourquoi Boïko Borissov est-il allé chercher Mariya Gabriel ? Aux élections du 2 avril dernier, le Gerb est arrivé très légèrement en tête. Sans pour autant être en mesure de dégager une majorité de gouvernement. Dans le contexte d’une crise qui dure depuis des années. C’était d’ailleurs le cinquième scrutin en deux ans. Avec Mariya Gabriel, l’idée était de former un gouvernement d’unité nationale. Mais dès l’annonce de son arrivée, l’un des petits partis a dit non d’emblée à toute idée de coalition.► À lire aussi : L'impasse parlementaire demeure en Bulgarie après les cinquièmes législatives anticipéesPourtant, les jeux ne sont pas faits. « La population est usée de voir se succéder des gouvernements intérimaires, “techniques”, nommés directement par le président de la République, à l’encontre de la culture politique parlementaire bulgare », note Rayna Stambolyiska. « Et là où le rôle de quelqu’un comme Mariya Gabriel peut être intéressant, c’est que par ses fonctions européennes, au Parlement comme à la commission, c'est quelqu’un qui vit qui respire le consensus, la négociation, le compromis. Est-ce qu’on n’aurait pas besoin de faire entrer quelqu’un qui ait un autre vécu politique ? Une autre histoire aussi en termes de pratique, en termes d’outils, d’interaction ? Est-ce qu’on ne parviendrait pas à trouver enfin un consensus en donnant mandat à quelqu’un qui sache faire ? C’est sans doute l’esprit de la démarche ».Une dimension politique et géopolitiqueMais le contexte national ne va pas lui faciliter la tâche, remarque Guillaume Klossa « Elle rentre dans un pays où le niveau de corruption est élevé, la modernisation n’a pas été complètement achevée et elle arrive à un moment qui est compliqué parce que la Bulgarie est confrontée directement à l’impact de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. »Le conflit a ravivé les tensions autour des liens qui unissent Sofia et Moscou d’une part, Sofia et Bruxelles de l’autre. Le choix de Mariya Gabriel a d’ailleurs une autre dimension, politique et géopolitique, selon Antony Todorov : « Borissov tente de sortir de l’isolement politique. Il est isolé. Les partis politiques n’osent plus vraiment parler, discuter avec lui et il ne s’agit pas seulement de ceux qui ont émergé pendant les manifestations contre son gouvernement en 2020. Donc, Borissov tente de sortir de l’isolement en jouant la carte dite de l’euro-atlantisme dans le contexte du conflit. Et quand il propose comme candidate au poste de Premier ministre en Bulgarie, cette femme relativement jeune en politique, qui est aussi commissaire européenne, c’est évidemment une façon de dire – pas seulement à l’opinion bulgare, mais aussi aux partenaires européens – qu’il est vraiment sans faille du côté de la solidarité atlantique. C’est le sens de la démarche à mon sens. »► À écouter aussi : Iliana Iotova: le conflit en Ukraine éloigne l’idée d’une défense européenneAntony Todorov ne croit guère aux chances de succès de cette démarche, mais Guillaume Klossa est plus confiant : « Elle est face à une mission pour laquelle elle n’a pas été vraiment préparée, mais elle a du sens politique, elle a une culture du compromis, et elle a une compréhension des enjeux. » Mariya Gabriel doit présenter un gouvernement le 22 mai. Confiante, elle a pris en démissionnant de son poste à Bruxelles un aller simple pour Sofia.
5/20/2023 • 3 minutes, 39 seconds
Yolanda Díaz, nouvelle figure de la gauche radicale espagnole
Actuelle numéro trois du gouvernement espagnol, la ministre du Travail Yolanda Díaz entend devenir la première femme présidente du gouvernement. Mais avant les élections générales de décembre 2023, la très populaire candidate communiste doit relever un défi de taille : unir la gauche espagnole, très divisée. La ministre a entamé le 10 mai 2023 une tournée à travers l’Espagne pour soutenir les forces qui composent sa coalition de gauche radicale Sumar, en vue des élections municipales et régionales du 28 mai 2023. À 51 ans, Yolanda Díaz est la personnalité politique préférée des Espagnols. Fille de syndicaliste, la ministre originaire de Galice, dans le nord-ouest de la péninsule, a toujours été affiliée à Izquierda Unida, une fédération issue du Parti communiste espagnol. Mais elle a surtout su séduire au-delà de la gauche radicale, ce qui lui vaut aujourd'hui d'être très populaire auprès des Espagnols.« Sa popularité tient essentiellement au fait qu'elle est non seulement appréciée dans son camp, mais elle séduit aussi la base électorale du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) », remarque Oriol Bartomeus, chercheur à l'Institut des sciences politiques et sociales de l'Université de Barcelone. « Les électeurs du PSOE ont tendance à considérer Yolanda Díaz comme une personnalité proche d'eux. Ils ont une très bonne image d’elle, ce qui n'était pas le cas avec Pablo Iglesias, l'ancien leader de la gauche radicale. »Un conflit avec Pablo Iglesias, son rival de la gauche radicalePablo Iglesias, le cofondateur du parti de gauche radicale Podemos avait pourtant désigné Yolanda Díaz comme son héritière politique au moment de quitter ses fonctions de numéro trois du gouvernement espagnol. Mais leur exercice de la politique est bien différent, comme l'explique Fernando Vallespín, professeur de sciences politiques à l'Université autonome de Madrid : « L’une des caractéristiques de Yolanda Díaz est qu'elle n'est pas radicale. Son discours combine pragmatisme et utopie avec beaucoup d'émotivité. Mais elle ne tient pas un discours combatif et agressif comme celui qu'a pu avoir Pablo Iglesias pendant son mandat. »La communiste s'est en effet toujours tenue à distance de Podemos, ce qui est perçu par Pablo Iglesias comme une trahison empêchant toute forme d'union entre les deux formations. « Pour Yolanda Díaz, Podemos est un parti très dépendant de la figure dominante de Pablo Iglesias », poursuit Fernando Vallespín. « Ce qu'elle ne veut donc pas, c'est précisément être instrumentalisée par Pablo Iglesias. Elle entend porter son propre projet, et c’est là le cœur du conflit. Tout est question de répartition du pouvoir. »Une tournée nationale pour unir la gaucheYolanda Díaz cherche justement à conquérir le pouvoir à travers sa candidature aux élections générales de décembre 2023. Elle compte ainsi succéder au socialiste Pedro Sánchez à la tête du gouvernement. Mais avant ce scrutin, une autre échéance de taille l'attend : les élections municipales et régionales, le 28 mai 2023. Cette semaine, Yolanda Díaz a entamé une tournée à travers le pays pour afficher son soutien aux partis qu'elle espère intégrer à Sumar.Il s’agit là d’un moyen d'occuper l'espace politique, selon le chercheur Oriol Bartomeus : « Ces élections sont une sorte de primaire avant les élections générales. Il est donc évident que Yolanda Díaz a un rôle à y jouer, même si Sumar en tant que tel ne se présente pas. En revanche, certaines des forces politiques qui composent Sumar sont candidates. C'est pourquoi leur résultat est important pour Yolanda Díaz et pour son mouvement. »Des adversaires de taille Mais Yolanda Díaz etSumar sont encore devancés dans les sondages par les deux poids lourds de la vie politique espagnole, le Parti socialiste et le Parti populaire, à droite de l’échiquier. La nouvelle égérie de la gauche espagnole dispose toutefois d’un atout important : son excellent bilan en tant que ministre du Travail. « Son sujet de prédilection est le travail. En particulier, les questions de négociation collective, les salaires, le chômage », relève Oriol Bartomeus. « Et dans ce domaine, il faut reconnaître qu'elle a obtenu d’importantes avancées au sein du gouvernement, comme la réforme du marché du travail. »Contre toute attente, Yolanda Díaz a su mettre d'accord syndicats et patronat sur cette réforme destinée à lutter contre la précarité. Elle a même réussi à arracher le vote du Parlement pourtant très polarisé, preuve de l'efficacité de sa méthode, Sumar (« additionner », en français) les forces politiques, pour parvenir à des victoires.
5/13/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Une destinée contre l'opinion, la reine Camilla «était là pour rester»
Samedi 6 mai, Charles III est couronné roi d’Angleterre et du Royaume-Uni. À ses côtés, l’amour de sa vie, Camilla, née Shands, reçoit, elle aussi, la couronne et le titre de reine. Le couple a défrayé la chronique pendant des dizaines d’années. Il a aujourd’hui la lourde tâche d’assurer la survie d’une institution dont l’étoile pâlit dans la jeunesse britannique. Dans l’entreprise, Camilla sera l’atout maître de Buckingham Palace. Portrait. « Voir Camilla couronnée dans l'abbaye de Westminster, voir le chemin parcouru par cette femme qui a vraiment été l'ennemi public numéro un dans la presse britannique, c'est incroyable ! » Philip Kyle, auteur de Charles III (éditions Perrin), partage l'incrédulité de beaucoup de Britanniques. Certains regrettent leur reine de cœur, Diana, d’autres, comme le biographe qui a travaillé quelques années pour la fondation du prince de Galles, The Prince’s trust, s’émerveillent.L'histoire commence dans le sud rural de l'Angleterre où Camilla Shands grandit entre ses chevaux et ses livres, deux passions qui lui resteront, dans un milieu privilégié, où l’on fréquente la famille royale. Son arrière-grand-mère fut d’ailleurs la maîtresse du roi Édouard VII. Lorsque la jeune Camilla croise le prince Charles en 1970, le coup de foudre est réciproque, mais le destin sera contrarié. Le prince Charles part dans la Marine, Camilla épouse le Major Andrew Parker Bowles en 1973, avec qui elle aura deux enfants. En 1981, le prince Charles épouse Diana Spencer. Mais Charles et Camilla s'aiment toujours.► À lire aussi : Couronnement du roi Charles III: «Il y a un sens de l'histoire qui s'accomplit»« Personne ne connaissait vraiment Camilla Parker Bowles à l'époque où Charles s'est marié avec Diana », raconte le Britannique Philip Turle. Mais lorsque la liaison est révélée, c'est un lynchage : « La presse commence à s'acharner contre Camilla. Elle est traitée de destructrice de mariage, de rottweiler – une insulte de Diana à l’origine – elle a été "élue" femme la plus mal habillée de Grande-Bretagne… On lui a craché dessus, jeté des choses en pleine figure. Cela a été une période extrêmement difficile pour Camilla. Et malgré tout, malgré cet acharnement de la presse, elle a tenu le coup. Parce qu’avant toute chose, avec Charles, c’était une grande histoire d'amour. Camilla Parker Bowles est une femme forte, confirme Philip Kyle, ce qu’elle doit en partie à son enfance. Le fait d'avoir eu une éducation entourée par des parents aimants, dans un cocon familial très solide, et dans un environnement finalement assez relax lui a permis de développer une personnalité assez équilibrée, c’est quelqu’un de résiliant, qui peut affronter les défis, qui sait ce qu'elle veut. Mais aussi qui aime la vie. »Réhabiliter CamillaEn 1995, Camilla divorce d’Andrew Parker Bowles, qui avait, lui aussi, d’autres amours. Les ex-époux sont aujourd’hui très bons amis. Le prince Charles et la princesse Diana divorcent en 1996. La détestation du public envers Camilla ne fait qu’empirer après la mort de Lady Di à Paris, l’année suivante. La résilience ne suffit plus, le prince de Galles charge un spécialiste en communication de réhabiliter Camilla : c'est l'opération PB - pour Parker Bowles. « Très progressivement, un certain nombre de moments de leur vie, par l’image, ont permis de l’installer dans l'esprit des Britanniques ; de montrer qu’elle était là, et qu’elle était là pour rester », explique Philip Kyle.Camilla calibre ses apparitions et ses sourires à la presse, mais elle doit aussi se faire accepter par la famille royale : « Un épisode a tout changé, c'est la mort de la reine mère. La mère de la reine Élisabeth II était farouchement opposée à l'idée de légitimer Camilla. » Elisabeth II se rend alors à l'évidence, poursuit Philip Kyle : « Petit à petit, elle a compris qu’avec Camilla à ses côtés, Charles pourrait être un roi plus apaisé – sans doute le voit-on aujourd'hui – plus apaisé et plus serein, ce qui permettrait d’apporter une stabilité à la couronne britannique. »« Faire en sorte que la monarchie britannique survive »Camilla et Charles se marient donc en 2005 avec l’accord d’Elizabeth II. Mais si Camilla est aujourd’hui reine à son tour, « ce n'est pas encore gagné, constate le journaliste Philip Turle. Elle n'est qu'à 38 ou 40% d'opinion favorable, ce qui est loin derrière d'autres membres de la famille royale comme William, Kate ou même la princesse Anne qui recueille 72% d’opinion favorable. Mais sa popularité est en constante augmentation. Et c'est une personne très travailleuse, qui passe beaucoup de temps à aider les gens en difficulté, qui très abordable ».La nouvelle reine est en effet engagée dans la lutte contre les violences aux femmes. Elle est marraine d’Emmaüs UK, s’implique dans la prévention de l'ostéoporose et pour l'apprentissage de la lecture. Le roi apprécie son humour et son optimisme. Ils forment un couple solide et aimant. Tant mieux, car le défi est immense. « La première tâche de Camilla et Charles, souligne Philip Turle, c'est de faire en sorte que la monarchie britannique survive. Ce n’est pas une mince affaire, mais je pense qu’entre Charles, qui a attendu 70 ans pour devenir roi, et Camilla qui a traversé tellement de difficultés pour arriver à ce grand jour, si deux personnes sont capables de faire le travail, c’est bien eux ! »Un vent de modernité va-t-il souffler sur la couronne ? Camilla a d'ores et déjà renoncé à employer des dames de compagnie, une première à Buckingham Palace.► À lire aussi : Royaume-Uni: revivez le couronnement de Charles III et Camilla de Westminster à Buckingham
5/6/2023 • 3 minutes, 37 seconds
Recep Tayyip Erdogan, un «reis» fragile en campagne
À deux semaines d’un scrutin crucial pour son avenir politique, le président turc Recep Tayyip Erdogan reprend prudemment sa campagne après une pause due à un problème intestinal. L’épisode relance les rumeurs sur son état de santé alors que le président sortant est devancé dans les sondages par son rival Kemal Kiliçdaroglu. Après 20 ans de pouvoir, le géant semble fragilisé. « On a eu beaucoup de travail, j’ai attrapé une grippe intestinale, je vous demande pardon, ainsi qu’à vos téléspectateurs ». C'était le 25 avril en direct à la télévision et la vidéo est devenue virale sur internet. En pleine interview, Recep Tayyip Erdogan s'absente brusquement après un malaise avant de revenir un quart d’heure plus tard et de s’excuser. Depuis, il est au ralenti, dans une campagne au ton déjà inhabituel avant cet incident. « Cette campagne d'Erdogan est molle, elle est amorphe, elle n’est pas dynamique. On n’arrive pas à le reconnaître, lui qui d'habitude parcourt toute l’Anatolie, harangue les foules, hurle », constate Bayram Balci, directeur de recherches à Science Po Paris. « Ce qui est très frappant à Istanbul, c'est qu'on a des affiches de l'opposition, mais on n'a pas du tout la tête d’Erdogan partout comme on l'avait d'habitude pratiquement pour toutes les élections », renchérit Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Il est sur le terrain. Il promet des avancées concrètes, comme le branchement du gaz de la mer Noire pour fournir du gaz gratuitement aux foyers modestes, la reconstruction au plus vite dans les zones frappées par le séisme. Donc, il va encore à la rencontre de ses électeurs avec des promesses de cadeaux un peu clientélistes. Mais ce qui frappe aussi, c'est qu’en fait, il n’a pas vraiment de programme. On s'est beaucoup dit en amont des élections que l'opposition n'avait pas de programme, mais là, l'opposition déroule quand même un certain nombre de slogans de campagne, alors qu’Erdogan considère visiblement qu’il peut faire campagne simplement en consolidant l'existant et en allant au contact de ses électeurs. »Fatigue de président, mais aussi des électeursLes séismes meurtriers de février expliquent en partie ce « profil bas ». « Ce serait un peu obscène, malsain, de circuler partout, de faire la fête, de distribuer des drapeaux », souligne Bayram Balci. « Un autre facteur joue : la stratégie habituelle de Recep Tayyip Erdogan qui consiste à afficher une forme de force virile, ça ne passe plus. Parce qu’il a fait ça pendant 20 ans, qu’il y a un effet lassitude et donc que c'est contre-productif. Enfin, peut-être est-il aussi fatigué. Cet incident à la télévision peut-être vu comme révélateur d’une certaine usure du pouvoir ».Malgré cette usure du pouvoir et une popularité en baisse, malgré aussi son virage autoritaire, Recep Tayyip Erdogan reste pour beaucoup le président de la stabilité et de la sécurité. Celui qui a donné une stature internationale à son pays, celui aussi du rattrapage économique de la Turquie. Mais aujourd’hui, la crise, avec une inflation qui reste à plus de 50% – après avoir atteint 85% en octobre dernier – menace sa réélection. Elle a notamment laminé la classe moyenne néo-urbaine qui a pu émerger sous sa présidence. « Tous les ingrédients de vie quotidienne, la nourriture, le chauffage, les transports… Tout ce qui fait marcher le foyer est un problème pour les Turcs aujourd'hui, constate Dorothée Schmid. Et ils ne comprennent pas ce qui a tari cette sorte de source miraculeuse qui faisait que depuis qu’Erdogan était là, leur vie quotidienne s'améliorait sans arrêt et qu’ils accédaient à un niveau de consommation toujours supérieur. »► À lire aussi : Turquie: «Vingt ans après son arrivée au pouvoir, Erdogan n’est plus en phase avec les jeunes»Les séismes, qui ont fait plus de 50 000 morts dans l’est, ont ensuite fait brutalement décrocher la popularité du président. Les électeurs lui reprochent la lenteur des secours. « Recep Tayyip Erdogan s’en est excusé, même si, au vu de l’ampleur des destructions, ce reproche n’est pas entièrement justifié », tempère Bayram Balci. En revanche, la colère des habitants face à un laxisme criminel sur le respect des normes antisismiques, sur fond de corruption, l’est. Et comment organiser un scrutin fiable quand plus de trois millions de personnes ont été déplacées ? « J'ai vu beaucoup de gens, ces jours-ci, qui n'ont pas réussi à se faire inscrire sur les listes, et considèrent qu’il y a déjà là un empêchement de voter », raconte Dorothée Schmid. « Ensuite, on ne sait pas combien de morts a fait ce séisme en réalité. Le chiffre est supérieur à celui annoncé. Il y aura beaucoup de contestations, les résultats risquent de tarder et je pense que ce scrutin va être très difficile, sur un plan technique aussi. »Un rattrapage aux législatives ?L’opposition a mis toutes les chances de son côté : six mouvements allant de la gauche à la droite nationaliste sont alliés derrière Kemal Kiliçdaroglu, le leader du CHP, le Parti républicain du peuple. La semaine dernière, à Adiyaman en zone sinistrée, Kiliçdaroglu qui a récemment revendiqué son appartenance à la minorité religieuse alévi, a été pris à partie par un homme lui reprochant de ne pas savoir lire le Coran, par d’autres lui demandant de quitter les lieux, et son convoi a été attaqué par des militants de l’AKP. « Erdogan joue sur ces clivages, turcs contre kurdes, sunnites contre alévis, poursuit Dorothée Schmid. Dans cette campagne, il joue sur tout ce qui peut marginaliser cette opposition, tout ce qui fait qu'on puisse ne pas la prendre au sérieux ».Recep Tayyip Erdogan est devancé dans les sondages par Kemal Kiliçdaroglu au deuxième tour de la présidentielle. « Il est fragilisé. Sauf miracle, il ne pourra pas gagner les élections », tranche Bayram Balci. Mais les législatives laissent le jeu ouvert. « L’AKP, même s’il n’est pas majoritaire, sera probablement encore la première force politique du pays. Et à ce titre-là, Erdogan pourra obtenir une certaine immunité ou un moyen de revenir – ou de rester – sur le devant de la scène », analyse le chercheur. D’autant que l'opposition promet de revenir à un système parlementaire et de mettre fin au système présidentiel qu’elle appelle « le régime d'un seul homme ». Un homme qui agite devant les électeurs le chiffon rouge de l’instabilité qu’une victoire de la coalition d’opposition représenterait selon lui. Rien n’est vraiment joué, estime aussi Dorothée Schmid : « On ne peut pas dire à ce stade que les électeurs aient tous envie de donner les clés de la Turquie à un mélange de partis qui n'ont rien à voir les uns avec les autres, mais se disent tous contre Erdogan. Les choses ne sont pas aussi tranchées – du moins chez les électeurs indécis traditionnels, qui faisaient justement les marges de majorité de Recep Tayyip Erdogan. »Au pouvoir depuis 20 ans, le président turc joue son va-tout. Mais le scrutin du 14 mai est aussi, dans un contexte géopolitique inflammable, un enjeu crucial pour les alliés occidentaux d’Ankara.► À lire aussi : Séisme en Turquie: comment gérer la peur du «Big one»
4/29/2023 • 3 minutes, 39 seconds
Charles Michel, un président du Conseil pas comme les autres
Après avoir été à 38 ans le plus jeune Premier ministre de l’histoire en Belgique, Charles Michel a été choisi le 2 juillet 2019 pour prendre les rênes du Conseil européen. Un mandat qui a été prolongé et qui doit prendre fin l’année prochaine. Cette présidence du Conseil européen a été marquée par des crises, que ce soit celle du Covid-19 ou celle liée à la guerre en Ukraine. Depuis qu’il est en place, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à le critiquer pour sa façon de présider cette institution, mais aussi pour les relations pour le moins compliquées qu’il entretient avec la présidente de la Commission ou encore ses très nombreux et coûteux déplacements à l’étranger, réalisés en jet privé. Charles Michel est donc une personnalité controversée. En décembre 2018, après quatre ans au poste de Premier ministre en Belgique, Charles Michel remet sa démission après qu’un des partis de la coalition au pouvoir claque la porte. Charles Michel n’a alors que 42 ans et veut poursuivre une carrière prometteuse alors qu’il doit quitter officiellement ses fonctions après les élections de 2019. Le calendrier est parfait. Les 27 dirigeants européens cherchent alors une personnalité politique pour occuper la présidence du Conseil européen.Une personne capable de négocier et de travailler en coulisse pour obtenir des accords, comme l’explique Eric Maurice, responsable du bureau de Bruxelles de la fondation Robert Schuman : « Le poste de président du Conseil européen est un poste qui est réservé aux anciens chefs d’État et de gouvernement parce qu’il faut qu’ils aient participé à ce type de réunion, qu’ils en connaissent les codes, qu’ils connaissent les membres de ce cénacle pour vraiment jouer ce rôle de facilitateur, d’organisateur des débats. »Un poste qui n’a jamais été clairement définiAvant son arrivée au Conseil européen, seulement deux autres personnes avaient occupé ce poste. Le Polonais Donald Tusk, le président sortant, avait géré son mandat dans la discrétion. Un trait de caractère que visiblement Charles Michel ne partage pas, lui qui semble toujours sur le devant de la scène, ce qui soulève de nombreuses critiques.Mais, comme le détaille Eric Maurice, il n’y a pas de mode d’emploi pour un tel poste : « Il a peut-être du mal, notamment parce que la présidente de la Commission européenne est aussi très visible. Il a peut-être du mal à s’effacer derrière la fonction, à s’effacer derrière les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement pour continuer d’exister politiquement. Ce poste, il est le troisième seulement à l’occuper et ces deux prédécesseurs avaient aussi des manières différentes de l’occuper. Donc, c’est un poste qui est relativement récent dans l’histoire des institutions européennes et qui n’a pas de mode d’emploi d’une certaine manière. Et Charles Michel peut être tenté d’outrepasser peut-être ce que certains chefs d’État et de gouvernement aimeraient qu’ils représentent en tant que président du Conseil européen. »Charles Michel, victime malgré lui ?Si les critiques sur sa manière de diriger le Conseil européen et de gérer ses relations avec Ursula von der Leyen se multiplient, il fait également l’objet d’attaques dans la presse pour ses nombreux et coûteux voyages à l’étranger. Des déplacements dont le budget a explosé et qui sont effectués en jet privé ou en voiture.Des attaques qui ne sont pas forcément justifiées, estime le journaliste belge Antonio Solimando, coordinateur du service politique de la radio belge RTL : « Charles Michel ne nous a pas habitués à entretenir ce genre de polémique. En Belgique, on se demande si finalement on n’a pas affaire à un début de campagne électorale pour remplacer entre guillemets Charles Michel, puisque la fin de son mandat s’annonce. Est-ce que ce n’est pas lié justement à ces débuts de rivalité, à ce début de campagne électorale où des adversaires commencent à aiguiser les couteaux. C’est une possibilité qui est évoquée par les observateurs en Belgique en tout cas. »Quel avenir pour l’ancien Premier ministre belge ?Le deuxième mandat de Charles Michel se termine l’année prochaine, après les élections européennes. Saura-t-il rebondir et trouver un autre poste prestigieux ? Pour Antonio Solimando, on peut s’attendre à tout avec Charles Michel : « Il a toujours été très surprenant. Il n’avait pas toutes les bonnes cartes dans son jeu, mais il est toujours parvenu à trouver un moyen de se placer dans la lumière et de se placer au bon endroit. Il n’a jamais été le favori pour devenir Premier ministre en Belgique et, pourtant, il y est parvenu. Et on le voyait peut-être occuper des fonctions au niveau européen, mais certainement pas la présidence du Conseil européen. Maintenant, on sait qu’en s’étant fâché avec une présidente de la Commission européenne allemande, il a forcément des vents contraires qui sont très importants. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas rebondir à l’étranger. »Critiqué, attaqué pour son mode de gouvernance, Charles Michel se défend d’avoir abusé de sa fonction. Au contraire, il qualifie pour l’instant son bilan de bon étant donné le contexte lié à la crise du Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Un bilan qu’il sera temps de tirer après son départ de la présidence du Conseil européen.
4/22/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Vladimir Kara-Mourza, premier opposant condamné en Russie pour haute trahison
Ce lundi 17 avril, Vladimir Kara-Mourza va connaître la peine que va lui infliger la justice russe après ce que l’on peut qualifier de parodie de procès. Le parquet russe réclame vingt-cinq ans de prison pour cet opposant notoire, poursuivi pour haute trahison, diffusion de fausses informations sur l’armée russe et également pour travail illégal pour une organisation qualifiée d’indésirable. Vladimir Kara-Mourza, qui a déjà été empoisonné à deux reprises en 2015 et 2017, des tentatives d’assassinats qui sont attribuées au pouvoir russe, fait face à une justice russe qui démontre depuis des mois, même des années, que l’État de droit n’existe plus en Russie. Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, peu sont ceux qui osent encore braver les interdits et crier haut et fort leur rejet d’une guerre injustifiée. Vladimir Kara-Mourza en fait partie. Ce jeune opposant de quarante et un ans, père de trois enfants, est resté en Russie après le déclenchement de l’offensive, malgré les risques que cela impliquaient, et ce, alors que sa femme et ses enfants vivent aux États-Unis.Marie Mendras, politologue au CNRS et professeur à Sciences Po Paris, explique pourquoi cet ancien journaliste, a souhaité continuer à mener son combat dans son pays malgré les menaces : « Comme il le raconte lui-même, il a été fasciné par le travail politique que menait Boris Nemtsov. Boris Nemtsov était vice-Premier ministre de Boris Eltsine dans les années 1990 et dès l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, Nemtsov a été l’un des rares à comprendre que l’ère qui s’ouvrait serait une ère dangereuse pour la démocratie et les libertés. Et en février 2015, quand Boris Nemtsov a été assassiné sur le pont qui mène au Kremlin, Kara-Mourza a décidé de consacrer toute sa vie, son énergie, toutes ses capacités à combattre ceux qui avaient fait tuer Nemtsov et un régime qu’il considérait déjà à l’époque comme une dictature et un régime criminel. »Le premier opposant condamné pour haute trahisonVladimir Kara-Mourza, qui a joué un rôle clef dans l’adoption en 2012 aux États-Unis de la loi Magnitski, une loi qui sanctionnait les fonctionnaires russes responsables de la mort en prison en 2009 de l’avocat Sergueï Magnitski et qui depuis a été élargie aux oligarques et responsables russes coupables de violation de droits de l’homme, est considéré comme un ennemi par le régime de Vladimir Poutine. Et après avoir critiqué les autorités russes et l’armée suite au déclenchement de l’invasion en Ukraine, le Kremlin a semble-t-il décidé de s’acharner contre lui, comme le détaille Gilles Favarel-Garrigues, directeur de recherche au CNRS (et auteur du livre « La verticale de la peur : ordres et allégeances en Russie sous Poutine) : « Vladimir Kara-Mourza est un bouc émissaire fabriqué par le pouvoir pour accréditer l’idée selon laquelle il y a une alliance entre des ennemis extérieurs et intérieurs qui veulent déstabiliser le régime. Ce n’est pas le premier à en faire les frais. Quelqu’un comme Ilia Iachin, un autre opposant du même âge, a déjà été condamné il y a quelques mois. Mais c’est en tout cas avec une sévérité inédite que Vladimir Kara-Mourza va être condamné demain. »Celui que l’on surnomme parfois « l’opposant numéro 2 », après Alexeï Navalny, pourrait bien être ce lundi le premier opposant à être condamné pour haute trahison. Le parquet russe réclame vingt-cinq ans de prison. Et malgré ce que cette peine implique, Vladimir Kara-Mourza n’en démord pas et se dit fier de son engagement, ce qui n’étonne pas Gilles Favarel-Garrigues : « C’est quelqu’un qui a toujours fait face aux épreuves qu’il a subies. C’est quelqu’un qui a subi des tentatives d’empoisonnement, dont la santé s’est dégradée. C’est quelqu’un qui a fait l’objet de nombreuses persécutions et de nombreuses poursuites judiciaires en Russie, donc je pense qu’on est là face à des opposants qui n’ont plus rien à perdre. Il fait penser à ce niveau-là à Alexeï Navalny. Il subit la dictature de la loi comme on dit en Russie, à plein régime. C’est un choix qui vise sans doute à forger aussi une image de détermination par rapport au pouvoir russe. Mais on ne peut que s’inquiéter pour ces opposants et pour le fait qu’ils puissent terminer leur vie en prison. »Un homme qui fait peur au KremlinLa santé de Vladimir Kara-Mourza inquiète. Et dans un pays avec un régime que beaucoup qualifie de totalitaire, celui à qui le Conseil de l’Europe a décerné en 2022 le prix Vaclav-Havel des droits de l’homme pourrait bien subir des conditions de détention inhumaine. Car comme l’explique Marie Mendras, les autorités le craignent : « Pourquoi est-ce que Vladimir Poutine et ses services de renseignements ont décidé de se rassurer en se disant qu'ils peuvent écraser Vladimir Kara-Mourza et le laisser mourir dans un camp à régime sévère ? Eh bien, c'est parce que cet homme leur fait peur. »Vladimir Kara-Mourza devrait connaître la peine de prison qui l’attend ce lundi 17 avril, et malgré les conséquences, il continuera de croire en avenir meilleur pour son pays, un avenir sans Vladimir Poutine.
4/15/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Jakov Milatovic, un «jeune loup» à la tête du Monténégro
Il est à l’origine d’un bouleversement politique majeur pour son pays. Jakov Milatovic a remporté dimanche 2 avril l’élection présidentielle au Monténégro en battant celui qui dirigeait le pays depuis 30 ans sans interruption, l’inamovible Milo Djukanovic.
Jakov Milatovic n’avait que cinq ans, en 1991, lorsque son adversaire est arrivé au pouvoir pour la première fois. Et c’est donc lui qui est à l’origine de ce séisme politique à l’échelle du Monténégro : la défaite dans les urnes de Milo Djukanovic, l’homme qui a dirigé le pays depuis plus de trente ans, soit comme président, soit comme Premier ministre. Un véritable tour de force pour ce novice, entré en politique il y a moins de trois ans.
« Milatovic est un technocrate, un économiste, il a fait d’excellentes études et il a notamment étudié à Oxford, note Fedja Pavlovic, politologue monténégrin. Il est devenu banquier, et après les élections de 2020, perdues par le parti au pouvoir, il est devenu ministre des Finances. La grande réforme qu’il a faite, c’est la hausse du salaire minimum qui a été multiplié par deux. C’est une mesure économique concrète que les électeurs du Monténégro ont vraiment appréciée. »
Un souffle nouveau
Loué pour ses compétences techniques, mais critiqué pour son impatience et une certaine arrogance, Jakov Milatovic est apparu comme une figure nouvelle aux Monténégrins. Avec son mouvement Europe maintenant, il multiplie les promesses et fait souffler un vent nouveau sur le pays, le plus petit des Balkans occidentaux avec moins de 700 000 habitants. « Lorsque Europe maintenant est devenu un parti politique, il a commencé à faire beaucoup de belles promesses, analyse Ana Nenezic, directrice adjointe du Centre de réflexion Cemi, basé au Monténégro. Il s’est engagé à obtenir dans les cinq ans l’adhésion à l’Union européenne, et à augmenter les salaires. Il a parlé d’économie et a évité de parler des divisions nationales au sein du pays… et ça c’était vraiment rafraichissant pour les Monténégrins ! Et quand il a commencé à faire campagne, Djukanovic est apparu comme quelqu’un du passé, alors que lui est apparu comme un candidat visionnaire, qui représentait l’avenir. »
Les promesses d’embellie économique et d’intégration européenne ont pesé lourdement. Mais pour Fedja Pavlovic, c’est surtout l’espoir d’en finir avec la corruption et le crime organisé qui ont motivé les électeurs et facilité la victoire de Jakov Milatovic. « Sous le régime de Djukanovic, le Monténégro était extrêmement corrompu, explique le politologue. Le crime organisé était omniprésent, et il y avait un petit cercle d'oligarques privilégiés qui détenaient la majeure partie de l'économie du pays. Nous nous trouvions donc dans la situation typique d'un pays post-communiste confronté à de graves problèmes de corruption et d'infiltration du crime organisé au sein du gouvernement. »
À la recherche d'un équilibre délicat
Mais, pour emporter le scrutin, et défaire l’inamovible dirigeant du Monténégro, Milatovic a dû s’allier avec des formations pro-serbes qui ont bruyamment célébré sa victoire. Une alliance paradoxale et qui pourrait être délicate à assumer pour un dirigeant qui se veut pro-européen. « Il essaie de mettre en avant ses études dans les pays occidentaux et il assure vouloir faire progresser le pays vers les valeurs occidentales, mais en même temps, il a des liens étroits avec les partis pro-serbes et avec l'Église orthodoxe pro-serbe, qui est vraiment influente au Monténégro, pointe Ana Nenezic. Je pense donc qu'il essaie de trouver un équilibre entre ces deux axes complètement différents. Et nous verrons s'il y parviendra. »
La clarification devrait intervenir rapidement, car des élections législatives anticipées auront lieu à la mi-juin au Monténégro. Le Mouvement Europe maintenant espère l’emporter de nouveau… et tourner définitivement la page ouverte, en 1991, par Milo Djukanovic.
► À lire aussi : À la Une: le Monténégro tourne pour de bon la page de l’ère Đukanović
4/8/2023 • 3 minutes, 33 seconds
Humza Yousaf, un Premier ministre jeune et ancré à gauche pour diriger l’Écosse
L’Écosse a élu le plus jeune Premier ministre de son histoire : Humza Yousaf, 37 ans, a succédé le 29 mars à Nicola Sturgeon à l’issue d’un scrutin serré à la présidence du SNP, le parti écossais indépendantiste. Entouré d’une équipe de dix ministres dont six femmes, il a promis d'apporter l'indépendance à l'Écosse. Mais il hérite d’un parti divisé et d’un projet nationaliste dans l’impasse.
Diplômé de sciences politiques, adhérent du SNP à 20 ans, assistant parlementaire à 22, député à 26 et ministre à 27, Humza Yousaf ne perd pas de temps. « Il a toujours été "fer de lance" du SNP », raconte Christian Allard, ancien député SNP qui a soutenu Humza Yousef pendant sa campagne pour la tête du parti. « Jeune, il était non seulement très renommé, mais c’était aussi un peu la coqueluche du parti, je me souviens de lui avec sa moto et son très fort accent – de Glasgow bien sûr. Il a su développer une identité moderne du SNP pour le XXIe siècle, et à présent, il est Premier ministre d’Écosse. »
Le fait qu’Humza Yousaf soit issu d’une famille immigrée – son père est né au Pakistan et sa mère, originaire d’Asie du Sud, est née au Kenya – est un autre motif de fierté pour l’ancien élu au Parlement écossais et au Parlement européen. « Mon ami Humza est le premier chef d'un gouvernement, Premier ministre, musulman. Mais ce qui est incroyable, ce n’est pas le fait qu'il le soit, c'est qu'il le soit sans que l'Écosse s'en rende compte ! C'est-à-dire que pour nous, ce n’est plus un important », remarque encore Christian Allard. À Édimbourg, le chef de l’opposition travailliste est lui aussi issu de l’immigration. Tout comme à Londres, mais au sein du parti conservateur, le Premier ministre britannique Rishi Sunak et la ministre de l’Intérieur Suella Braverman – fait rare et notable en Europe.
► À lire aussi : Écosse : Humza Yousaf élu à la tête des indépendantistes, en passe d'être élu Premier ministre
Quatre fois ministre
Plus jeune Premier ministre écossais, Humza Yousaf possède néanmoins à 37 ans une solide expérience du gouvernement. Il a été ministre du Développement européen et de l’international, ministre des Transports en 2016, ministre de la Justice en 2018 et ministre de la Santé de 2021 à son élection à la tête du gouvernement. Mais son bilan a fait l’objet de nombreuses critiques. Dans l’opposition d’abord, « il a été le pire ministre de la Santé et sera le pire Premier ministre d’Écosse » juge, lapidaire, Jackie Baillie, du parti travailliste écossais.
Mais au sein de son propre camp, succéder à Nicola Sturgeon sera aussi un défi, souligne Edwige Camp-Piétrain, professeure de civilisation britannique à l’Université de Valenciennes : « Depuis 1990, le SNP n'avait eu que deux dirigeants, Alex Salmond et Nicolas Sturgeon – à l'exception de quatre années où il a été dirigé par John Sweeney –, et il va lui être très difficile d'imprimer sa marque. Il va également falloir bien sûr rassembler son parti, qui est profondément divisé. » Kate Forbes, sa principale rivale, n’a pas épargné Humza Yousaf : « Vous avez aux Transports, les trains n’étaient jamais à l’heure ; quand vous étiez à la Justice, la police était à bout ; et maintenant que vous êtes à la Santé, les délais pour se faire soigner atteignent des records. Pourquoi pensez-vous faire mieux comme Premier ministre ? », a-t-elle accusé lors d’un débat télévisé. L’Écosse a été la seule nation du Royaume-Uni à avoir évité les récents mouvements de grève dans la santé publique, se défend-il.
La campagne a été inhabituellement agressive pour le SNP. « Jusqu'à cette année, bien sûr, il y avait différentes tendances au sein du parti, mais elle n'était jamais exprimée publiquement au nom de la cause qui était la cause indépendantiste, explique Edwige Camp-Piétrain, et cette campagne surprise – puisque Nicolas Sturgeon n'avait pas du tout laissé anticiper sa démission – a fait émerger en public les divisions profondes qui existent entre une sensibilité plutôt de centre gauche qui est celle de Humza Yousaf et une sensibilité plus conservatrice portée par Kate Forbes. »
Le défi de l'indépendance
Le parti s’est notamment déchiré sur un texte de loi qui vise à faciliter le changement de genre dès 16 ans et qui est bloqué par Londres. Mais le grand sujet reste la cause indépendantiste, raison d’être du parti, et là encore, les choses s’annoncent difficile pour le Premier ministre. « Nicolas Sturgeon semblait être arrivé dans une impasse puisque le gouvernement britannique ne veut pas autoriser l'organisation d'un second référendum d'autodétermination, donc il y a blocage, ce qui forcément nourrit également les divisions à l'intérieur du parti, puisqu'une minorité plus radicale se demande s’il faut vraiment obtenir l'accord du gouvernement britannique », analyse la professeure Edwige Camp-Piétrain.
Humza Yousaf a promis que sa génération serait celle qui donnerait à l’Écosse son indépendance. Mais il ne veut pas précipiter les choses – son âge lui laisse d’ailleurs le temps : il souhaite d'abord élargir la base des indépendantistes, qui ne varie pas beaucoup depuis 2014. Il lui faudra aborder la délicate question de la frontière terrestre que poserait une séparation d’avec le Royaume-Uni. Mais il devra aussi, explique Edwige Camp-Piétrain, apporter des réponses aux conséquences juridiques et politiques immédiates du Brexit : « Le gouvernement écossais reproche au gouvernement britannique une recentralisation du pouvoir, aux dépens de l'Écosse. Donc, pour Humza Yousaf, la réussite d’un grand nombre de choses va dépendre de ses capacités à nouer de bonnes relations de travail avec le gouvernement britannique – telles qu’elles ont existé d’ailleurs avant le référendum sur le Brexit. »
Le nouveau Premier ministre est un excellent négociateur selon ses partisans, il aura de nombreuses occasions de le prouver.
4/1/2023 • 3 minutes, 35 seconds
Karim Khan, un «homme de loi» contre Poutine
Procureur de la Cour pénale internationale depuis février 2021, Karim Khan a fait les grands titres de la presse internationale en décidant de lancer un mandat d’arrêt pour crimes de guerre contre Vladimir Poutine. À 52 ans, il est un juriste réputé pour son efficacité et son inflexibilité. Ancien avocat, il s’est illustré dans la défense des victimes de crimes contre l’humanité, mais aussi de ceux qui en furent accusés, comme Charles Taylor ou Saïd Kadhafi.
C’est une annonce qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Nous sommes le vendredi 17 mars, et Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), lance un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour la déportation illégale d’enfants ukrainiens vers la Russie. Une politique décidée et validée officiellement par Vladimir Poutine et qui constitue un crime de guerre aux yeux du procureur de la CPI. C’est la première fois que le dirigeant d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU est inculpé par la justice internationale. Conséquence immédiate : le président russe est susceptible d’être arrêté par l’un des 123 pays membres du Statut de Rome, qui a fondé la CPI.
Né en Écosse, fils d’un dermatologue pakistanais et d’une infirmière britannique, Karim Khan a voué toute sa carrière à la justice internationale. Il a d’abord travaillé pour le procureur du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, puis pour celui du Rwanda…. Mais il a également été avocat – toujours devant les cours internationales. Un avocat pugnace, travailleur, et diablement efficace, comme nous l’a confié de Kiev l’un de ses confrères, Me Johann Soufi.
« Je me souviens du procès en 2015 de Karma Khayat, une journaliste alors défendue par Karim Khan devant le Tribunal international pour le Liban », raconte l’avocat, membre de l’organisation GRC qui soutient le ministère public ukrainien dans ses enquêtes pour crimes de guerre. « Elle était accusée d’avoir révélé l’identité de témoins protégés dans l’affaire contre des membres du Hezbollah. C’était un dossier difficile parce qu’il y avait eu une émission de télévision, et donc la preuve était là, tangible…. Et il a obtenu un acquittement grâce à ses talents d’avocat et de stratège. Le contre-interrogatoire qu’il a mené du témoin expert du procureur, honnêtement, c’était peut-être le meilleur que j’ai vu de toute ma carrière. »
De sulfureux clients
Ces qualités d’avocat, Karim Khan les a mises au service des victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité – mais aussi parfois de ceux qui en furent accusés. Parmi les plus sulfureux de ses clients : l’ancien président du Liberia Charles Taylor, Saïf al-Islam Kadhafi, le fils du dictateur libyen ou encore William Ruto, le vice-président kényan accusé pour les violences post-électorales de 2007, et pour lequel il obtient un non-lieu en 2016. Depuis, ses détracteurs lui reprochent d’avoir « défendu l’indéfendable », tandis que d’autres saluent, au contraire, ce parcours atypique.
« Il est évidemment très important d’avoir les meilleurs avocats possibles dans ce domaine », pointe ainsi l’avocat suisse Alain Werner, qui a travaillé au Cambodge aux côtés de Karim Khan. « C’est uniquement comme ça qu’il peut y avoir de la crédibilité dans ces procès de justice internationale - et j’ai beaucoup de respect pour les avocats de la défense qui font leur travail avec éthique, et qui défendent ces gens qui doivent être défendus… Car tout le monde doit être défendu ! »
Pour Alain Werner, comme pour tous ceux qui ont soutenu la candidature de Karim Khan lorsqu’il a été choisi pour devenir procureur de la CPI en 2021, cette expérience acquise des deux côtés « du bien et du mal » peut même être considérée comme un atout. « Moi, je trouve ça plutôt intéressant d’avoir des gens au plus haut niveau qui comprennent, parce qu’ils ont été de ce côté-là, les dangers qu’une preuve peut avoir et toutes les complexités que les avocats utilisent et qui peuvent amener à des acquittements. À mes yeux, c’est plutôt un avantage ! »
Une stratégie audacieuse… et risquée
Devenu procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan fait face désormais aux crimes perpétrés en Ukraine. Et il a fait le choix d’une stratégie audacieuse, avec ce mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Pour autant, certains y voient une manière très politique de contrer l’idée d’un Tribunal spécial pour l’Ukraine, qui permettrait de juger du « crime d’agression » perpétré par la Russie. Ce que réclament, par exemple, les autorités ukrainiennes.
« Le crime d’agression est pour moi l’aspect le plus important, car sans la guerre, il n’y aura pas de crime de guerre, il n’y aura pas de crime contre l’humanité », relève l’avocat et écrivain Philippe Sands, qui a été le professeur de Karim Khan au King’s College de Londres. « Je pense qu’on a besoin d’un tribunal spécial qui pourrait d’ailleurs fonctionner en collaboration avec la CPI. Or, je crois que Karim Khan s’est prononcé contre cette idée non pas par principe, mais plutôt pour protéger le rôle de la Cour pénale internationale, ce qui est pour moi problématique. »
Autre critique formulée à l’encontre du procureur de la CPI : la probabilité quasi nulle d’obtenir l’arrestation de Vladimir Poutine. Du moins, tant que le président russe est au pouvoir et qu’il n’y a pas de changement de régime dans son pays. D’un naturel pragmatique, mais aussi résolument optimiste, Karim Khan souligne toutefois que le mandat d’arrêt lancé contre le président russe n’a pas de date d’expiration. Et le procureur de la CPI ne manque pas de rappeler que, par le passé, plusieurs dirigeants qui se pensaient à l’abri de la justice internationale se sont finalement retrouvés devant les tribunaux.
À l’instar de l’ancien président serbe Slobodan Milosevic ou encore de l’un de ses anciens clients, Charles Taylor, finalement condamné en 2012 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. « S’il y a quelque chose que j’ai appris durant mes 17 années de carrière dans la justice pénale internationale, c’est qu’il ne faut jamais dire “jamais”, opine l’avocat Johann Soufi. “Le temps de la justice est un temps long et l’on ne sait pas ce qui va se passer d'ici à cinq, dix ou quinze ans… Aujourd’hui, il y a un dossier, il y a des preuves, et peut-être qu’à court terme il y a peu de chances que tout cela aboutisse… Mais sur le long terme, qui sait ?”
3/25/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Anna Skripka, conservatrice du Musée d’art de Kherson, pillé par les Russes
Il y a neuf ans, le 18 mars 2014, la Crimée était annexée par la Russie. La péninsule ukrainienne, que Kiev espère pouvoir reconquérir par la force, abrite désormais des milliers d’œuvres d’art des musées de Kherson, la ville du Sud reprise par l’armée ukrainienne le 11 novembre. En se retirant de la ville, les forces d’occupation sont parties avec un véritable butin de guerre. Au Musée d’art de Kherson, qui possédait l’une des plus riches collections d’Ukraine, plus de 10 000 œuvres ont été volées par les occupants. La conservatrice en chef du musée, qui a vécu les huit mois d’occupation, a vu, impuissante, les chefs-d'œuvre partir sous ses yeux.
Un sanctuaire de métal gris, caché au fond d’un couloir aux murs épais : dans la réserve du Musée d’art de Kherson, il ne reste plus que des rangées de panneaux grillagés entièrement vides. Seules des feuilles de carton blanches, suspendues par une ficelle au début de chaque rangée, rappellent qu’il y a peu, des centaines de tableaux étaient accrochés ici. Avant le lancement de l’invasion russe de l’Ukraine à grande échelle, le musée devait subir d’importants travaux de rénovation. Une partie de la collection avait donc été descendue dans la réserve.
« Les tableaux étaient accrochés sur ces grilles, des deux côtés », raconte Anna Skripka, ponctuant son discours de soupirs. « Il y avait des œuvres de peintres anglais, allemands, hollandais des XVI et XVIIe siècles, mais aussi des peintres locaux. Ces œuvres ont été les toutes premières proies des conquérants russes », dit la conservatrice en chef du musée, 51 ans, ancienne enseignante d’histoire, qui avait pris son poste quelques mois seulement avant que les forces russes n’occupent la ville, à partir du début du mois de mars 2022. Avant la guerre, la collection comptait quelque 14 000 pièces.
► À lire aussi : Après la reprise de Kherson, « c’est le moment pour chacun de mesurer l’état de ses forces »
Pendant l’été, une nouvelle directrice du musée est imposée par les forces d’occupation russes, Natalia Desiatova, plus connue à Kherson comme chanteuse du café du théâtre. Anna Skripka décide de rester à son poste, avec l’aval des autorités ukrainiennes, souligne-t-elle, pour « être auprès de sa collection, voir ce qu’ils en faisaient ». Mais lorsque les Russes annoncent une évacuation générale vers la rive gauche du Dniepr, en octobre, sous la pression de la contre-offensive ukrainienne, elle est priée de ne plus venir travailler. Habitant tout près du musée, deux fois par jour, elle fait le tour de l’établissement pour essayer de comprendre ce qui s’y trame. Le 1er novembre, elle est de nouveau convoquée au musée et y découvre des dizaines de personnes, dont « deux Tchétchènes armés ».
« La directrice m’a dit que le ministère russe de la Culture avait envoyé ces personnes pour contrôler le processus de déménagement », se souvient-elle. « À ce moment-là, j’ai voulu faire marche arrière, repartir pour ne pas participer à cela, mais on m’a fait comprendre que ça n’était pas possible, je n’avais plus le choix. On m’a demandé de dire où se trouvaient les œuvres les plus précieuses ». Anna Skripka est aussi conduite devant le coffre-fort et sommée de l’ouvrir. « Ils m’ont dit qu’ils savaient ce qu’il contenait. Il faut dire que nous avions des traîtres à l’intérieur du musée, ce qui leur a facilité la tâche ».
« C’était comme s’ils dépeçaient mon âme »
Contrainte et forcée, Anna Skripka s’installe à son ordinateur pour consigner l’évacuation. Jamais seule, elle n’a pas pu garder de copie de l’inventaire. Les Russes ont emporté le disque dur, mais la conservatrice se souvient d’un chiffre : 10 400 pièces ont, selon elle, été emmenées. « Avec chaque tableau emporté, c’était comme s’ils dépeçaient mon âme, morceau par morceau », se désole-t-elle.
À la hâte, souvent sans prendre de précautions, des dizaines de personnes chargent une multitude de peintures, gravures, dessins, porcelaines et icônes précieuses dans des véhicules. Anna assiste, impuissante, à ce ballet avec le sentiment de voir disparaître la culture de sa ville dont l’histoire remonte bien au-delà du XVIIIe siècle, lorsque le prince Potemkine, le favori de Catherine II, avait fondé une colonie de peuplement russe. Pour la conservatrice du musée de Kherson, cette spoliation est le signe que « les Russes veulent s'approprier quelque chose qui ne leur appartient pas et ils réécrivent l'histoire au point de la transformer complètement ».
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« Ces terres ont été habitées par les Scythes et par des Cosaques ukrainiens », commente Anna Skripka, « dire que tout a commencé avec le prince Potemkine, c'est déformer l'histoire. Ils veulent nous priver des dernières preuves de notre propre histoire, de sorte que nous ne puissions pas dire que nous sommes un peuple distinct, une famille différente, qui a son propre passé, qui, à un moment, certes, s’est imbriqué à celui de la Russie ». Dans le musée vide, l’employée du musée ne désespère pas de faire revenir un jour la collection qui représentait « un joyau pour la ville ».
L’établissement culturel a saisi les tribunaux internationaux, plusieurs enquêtes pour vol ont été ouvertes. Dans son sous-sol, Anna Skripka travaille à recenser les quelque 2 500 œuvres restantes et à les mettre en lieu sûr. À l’extérieur, les déflagrations régulières, rappellent qu’aucun bâtiment de Kherson n’est à l’abri des tirs.
3/19/2023 • 3 minutes, 32 seconds
Kemal Kiliçdaroglu, le «Gandhi turc» face à Erdogan
L’opposition turque a failli se déchirer au dernier moment, mais elle a finalement réussi à s’entendre sur un candidat unique pour affronter l’inamovible président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors des élections qui auront lieu le 14 mai. Cet homme se nomme Kemal Kiliçdaroglu c’est le chef du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l’opposition. Un profil discret, à l’opposé du caractère volcanique du président sortant.
Les traits sont tirés, mais ils expriment à la fois l’espoir et le soulagement. En cette soirée du 6 mars, le chef du CHP, le Parti républicain du peuple, est désigné candidat à l’élection présidentielle. Plus de dix ans après avoir pris la tête du vieux parti kemaliste, Kemal Kiliçdaroglu a réussi son pari : unir sous son nom l’ensemble de l’opposition turque, de la gauche à la droite nationaliste, pour tenter de faire chuter Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir en Turquie depuis maintenant deux décennies. De fait, avec ses petites lunettes rondes et sa fine moustache, Kemal Kiliçdaroglu offre un contraste saisissant avec le président sortant et son caractère volcanique.
« Il est issu d'une famille populaire d'un village de montagne de la région de Dersim, dans l’est du pays, raconte le politologue turc Ahmet Incel. Recep Tayyip Erdogan se réclame tout le temps de ses origines populaires, mais celles de Kemal Kiliçdaroglu ne le sont pas moins. C'est le pur produit de l'élitisme républicain. Il a été dans la trajectoire des écoles publiques, pas celle des écoles coraniques comme Erdogan. »
Haut fonctionnaire, il gravit tous les échelons de la fonction publique pour diriger la tentaculaire Sécurité sociale turque – avant de devenir député au début des années 2000, puis de s’emparer de la tête du CHP en 2010. « Un autre élément crucial, c’est que sa famille représente la classe moyenne typique, ajoute Ahmet Incel. Sa femme a travaillé, ses enfants sont allés à l’université. Personne autour de lui n’est impliqué dans des affaires de construction ou de marchés publics. Et ça, c'est quelque chose qui est un atout, qu'il peut le servir beaucoup, en termes de crédibilité, d’alternative propre. »
L’antithèse d’Erdogan
Pour rallier les principales forces de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu a adopté un seul mot d’ordre : en finir avec la dérive autocratique de Recep Tayyip Erdogan. Le candidat se positionne comme l’antithèse parfaite du président sortant. Avec son programme – il veut rétablir les fondements de l’État de droit. Mais aussi avec son style, empreint de respect et de dialogue. « Depuis déjà fort longtemps, Kemal Kiliçdaroglu a utilisé un slogan qui ne nous est pas tout à fait étranger, à nous les Français, celui de la force tranquille », relève Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques. « Contrairement aux foucades, à l'agressivité, au ton souvent belliqueux de Recep Tayyip Erdogan, il veut apparaître comme quelqu'un de calme. La société turque est dans une situation de polarisation qui a été voulue par Erdogan depuis très longtemps. Or, justement, Kemal Kiliçdaroglu apparaît comme un élément temporisateur. Il veut calmer le jeu. »
Peu féru de coups d’éclat, le champion de l’opposition turque s’est tout de même illustré par une « marche de la paix » remarquée en 2017 : reliant Anakara et Istanbul à pied pour dénoncer l’incarcération d’un député d’opposition, il hérite du surnom de « Gandhi turc » et d’une réputation de détermination et de fermeté qui l’ont imposé comme une figure incontournable en Turquie.
Manque de charisme et sens du dialogue
Au sein de l’opposition, certains lui reprochent son manque de charisme et des discours parfois un peu ternes, mais tous lui reconnaissent son sens du compromis – ce qui lui a permis d’ailleurs d’élargir la base nationaliste et ultra-laïque de son parti, le CHP. « On sait que le Parti républicain du peuple était un parti très laïciste, avec une vision très figée, très dogmatique de la laïcité, pointe Didier Billion. Or, de façon très graduelle, sans faire de vagues, il a réussi à modifier la conception de la laïcité au sein de son parti. Par exemple sur la question du port du voile : Kemal Kiliçdaroglu a proposé il y a quelques mois une loi pour garantir le droit de porter le foulard - ce qui était inimaginable au sein du CHP, il y a une vingtaine d'années. Il a réussi à faire évoluer la ligne de ce parti, ce qui lui a ensuite permis de parvenir à ce programme commun et à cette candidature commune de l’opposition. »
Autre atout pour Kemal Kiliçdaroglu : la décision du parti pro-kurde HDP de ne pas présenter de candidat lors de la présidentielle du 14 mai. L’électorat kurde, qui pèse près de 15% des voix, pourrait jouer un rôle crucial lors du scrutin – et peser lourdement en faveur du candidat de l’opposition.
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3/11/2023 • 3 minutes, 26 seconds
Elly Schlein, l’anti-Meloni et nouvelle figure de la gauche italienne
Âgée de 37 ans, bisexuelle assumée, Elly Schlein a remporté dimanche dernier les primaires du Parti démocrate italien. Elle est désormais amenée à remettre sur les rails une gauche italienne en crise identitaire depuis des années et pourrait bien faire de l’ombre à la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni, d’extrême droite, qui représente tout son opposé.
On la présente souvent comme l’anti-Meloni, comme l’avait écrit en 2022 le magazine américain Vanity Fair. Elly Schlein a su s’imposer à la tête du Parti démocrate face à un ténor de cette formation politique grâce aux votes des sympathisants. Née à Lugano en Suisse, à la frontière avec l’Italie, d’un père américain et d’une mère italienne, le nouveau visage de la gauche italienne détonne dans le panorama politique italien. C’est en tout cas l’avis de Giuseppe Bettoni. « Elly Schlein est un personnage qui sort vraiment d'une manière soudaine dans le paysage politique italien, estime ce professeur de géopolitique à l’université Tor Vergata de Rome et à l’université Jean-Jaurès de Toulouse. C'est quelqu'un qui a toujours été sensible au côté social, politique, etc. sans faire le parcours classique des autres personnages. Et c'est une grande nouveauté qui avait attiré les Italiens par cette figure. Donc, c'est un profil qu'on n’imaginerait pas ».
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Un engagement en politique avec Barack Obama
Très engagée socialement, mais aussi politiquement dès son plus jeune âge, Elly Schlein s’est lancée en politique à l’étranger. « Elle a fait ses premières armes véritablement en politique à Chicago aux États-Unis, dans le cadre des campagnes pour les primaires démocrates en 2008 en faveur de Barack Obama, détaille Hervé Rayner, spécialiste de l’Italie contemporaine et professeur à l’Institut d’études politique de l’université de Lausanne. Elle remet ça en 2012 pour la réélection du président sortant Obama ».
De retour en Italie, elle devient membre du Parti démocrate avant de le quitter, ne le jugeant pas suffisamment à gauche. Élue en 2014 députée européenne, elle continue de graviter autour de cette formation politique en perte de vitesse. Nommée vice-présidente de la région d’Emilie-Romagne en 2020 par Stefano Bonaccini, son adversaire lors de la primaire du Parti démocrate italien qu’elle vient de remporter, Elly Schlein commence alors son ascension et se fait connaître des électeurs italiens, notamment en déclarant sa bisexualité lors d’une émission télévisée. Une orientation qu’elle dit assumer pleinement, tout comme son positionnement en faveur des migrants.
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À la tête d’un parti en crise identitaire
Élue députée en septembre dernier, elle se positionne ensuite pour prendre les rênes du Parti démocrate. Un parti qui doit retrouver son identité. « C’est un parti qui est encore à la recherche de son projet, de comprendre vers quoi se battre, estime Giuseppe Bettoni. Il y a une fracture déjà aujourd’hui qu’elle devra réconcilier. Rappelons-le : les cellules du Parti démocrate avaient une préférence pour Stefano Bonaccini, alors que les primaires – c’est-à-dire les élections où la base peut voter, plus les gens qui ne sont pas inscrits au Parti démocrate – ont clairement donné Elly Schlein secrétaire. Cela veut dire qu’il y a une fracture. »
Désormais à la tête de cette formation, Elly Schlein va certainement lui donner une orientation plus à gauche, ce qui a déjà provoqué le départ de certains membres du parti. Mais ce virage est également attendu par nombre d’électeurs italiens. « Certains parlent d’un rebond de l’intérêt, de nouvelles inscriptions au parti dans le sillage de ces primaires, indique encore Hervé Rayner. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a beaucoup d’atouts pour incarner la nouveauté. Elle est la première femme à la tête de ce parti. Sa jeunesse – 37 ans – la rapproche aussi de Giorgia Meloni. Il y a aussi le fait qu’elle vienne de la base étudiante "mouvementiste" du parti. Ça change beaucoup des secrétaires assez âgés ou alors positionnés au centre. En cela, c’est en quelque sorte un tournant. »
Elly Schlein, l’anti-Meloni, bisexuelle, pro-migrants, en faveur des droits de la communauté LGBT+, va devoir s’atteler à la tâche tout de suite, car des élections européennes se profilent. Celles-ci pourraient bien confirmer son statut de leader de la gauche dans la classe politique italienne ou alors y mettre un terme si le Parti démocrate ne franchit pas la barre des 20% des suffrages. Même si, selon Giuseppe Bettoni, celui-ci n’a aucun intérêt à écarter la nouvelle égérie de la gauche.
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3/4/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Maria Lvova Belova, sauveuse ou visage angélique d’un trafic d'enfants?
Au nom du sauvetage des orphelins ukrainiens, Maria Lvova Belova, commissaire aux Droits de l’enfant de la Fédération de Russie depuis 2021, est la cheville ouvrière d’une politique de transfert d’enfants ukrainiens vers la Russie. Une pratique qui relève du crime de guerre selon le droit international.
Entourée d’enfants de tous âges Maria Lvova Belova descend d’avion. Dans le hall de l’aéroport, ces orphelins d’Ukraine sont accueillis avec profusion de ballons géants et grands sourires. Cette vidéo est l’une des centaines que l’on trouve sur internet et notamment la chaîne Telegram de la Commissaire aux droits de l’enfant. En pique-nique dans un parc, devant un atelier de graffiti urbain, avec des enfants à l’hôpital, Maria Lvova Belova soigne sa communication.
38 ans, un visage de madone renaissance et une allure soignée, cette ancienne professeure de guitare mariée à un pope, est une fervente chrétienne. Elle a une famille de 23 enfants dont cinq biologiques, les autres étant adoptées ou sous tutelle. « Cela en fait une figure très symbolique », explique Galia Ackerman, historienne directrice du site Desk Russie, « celle d’une femme modeste que l’on voit souvent couverte d’un fichu comme les croyantes orthodoxes, qui prône donc les valeurs de la famille, de la charité, mais derrière cette façade se cache une réalité probablement moins rose ».
Plusieurs organisations ont documenté des transferts forcés de population de l’Ukraine vers la Russie, dont ceux d’enfants dans le but de les faire adopter, en violation de plusieurs conventions juridiques internationales. En novembre dernier, Amnesty International présentait des recherches indiquant que des enfants séparés de leurs familles avaient des difficultés à quitter le territoire russe.
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Des prises en charge dans des centres spécialisés pour y suivre des « programmes d’intégration »
Le laboratoire de recherche humanitaire de l’Université américaine de Yale, qui a publié le 14 février le rapport le plus exhaustif jusqu’à présent sur le sujet, a documenté plus de 6 000 cas d’enfants de 4 mois à 17 ans qui ont été déplacés en Russie ou en Crimée. Ce chiffre est selon les chercheurs largement inférieur à la réalité. Une fois emmené sur le territoire de Russie les enfants sont soit placés en famille soit, dans un premier temps, pris en charge dans des centres spécialisés pour y suivre des « programmes d’intégration ». L’équipe de Yale, qui a travaillé à partir de sources ouvertes, dénombre 43 centres de ce type en Crimée et en Russie.
Proche de Vladimir Poutine, Maria Lvova Belova incarne cette politique. « Elle prétend sauver les enfants pour les placer, dans des foyers, les faire adopter. On leur donne immédiatement un passeport russe, parfois, on change leur nom ou leur date de naissance, de sorte que ces enfants deviennent introuvables. Par ailleurs, certains témoignages font état d’enfants placés dans des familles puis envoyés sans explication dans un orphelinat », affirme Galia Ackerman.
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En mars 2022, dans un entretien diffusé sur les réseaux sociaux, Maria Lvova Belova évoquait avec Vladimir Poutine l’arrivée d’une centaine d’orphelins du Donbass. Les délais et procédures d’adoption temporaire étaient plus contraignants quand les enfants n’avaient pas la nationalité russe, expliquait-elle alors. Deux mois plus tard, la loi était modifiée pour accélérer les procédures de naturalisation. De nombreux cas de familles ukrainiennes qui cherchent leurs enfants emmenés en Russie sont rapportés par les ONG et les chercheurs. Le gouvernement ukrainien lui-même réclame leur retour. Iryna Vereshchuk, la vice-Première ministre, a annoncé en avoir fait revenir 52. Mais aux demandes insistantes de Kiev, Maria Lvova Belova explique que ces enfants « aiment la Russie à présent, et n’ont pas envie de retourner chez leurs parents ».
Jannine di Giovanni dirige The Reckoning Project, une association américaine de journalistes et de juristes qui documentent les crimes de guerre pour les présenter à la justice. Elle a travaillé sur la région de Marioupol. « Là, comme dans tout le Donbass, les transferts d’enfants se font de deux façons », explique-t-elle. « Quand les parents passent par des camps de filtration, il y a parfois des bus qui emmènent les enfants, ils sont conduits de l’autre côté de la frontière jusqu’à Rostov par exemple et prennent l’avion pour Moscou ou d’autres villes. Mais il s’agit aussi souvent d’enfants placés en institutions. Ces institutions, héritage de la période soviétique, sont nombreuses dans le pays. Elles accueillent parfois des enfants de parents en difficulté de façon temporaire. Quand Marioupol est tombée, ces institutions ont été ouvertes et les enfants emmenés. Certains sont orphelins, mais beaucoup ne le sont pas. Leurs parents sont vivants, mais avec la guerre il y a tellement de déplacés internes qu’on ne sait pas où ils sont. »
Une assimilation forcée, selon The Reckoning Project
Maria Lvova Belova n’est pas seulement l’artisan de cette politique de déplacements, elle a elle-même adopté l’un de ces enfants, un adolescent de 15 ans, trouvé, dit-elle, avec une trentaine d’autres dans un sous-sol de Marioupol. Sur une vidéo de son compte Telegram, elle explique qu’au début, lui et ses camarades « parlaient mal du président russe et chantaient l’hymne de l’Ukraine », mais qu’à présent elle « voit sous [ses] yeux comment cette intégration commence à se faire ».
The Reckoning Project dénonce une assimilation forcée, Galia Ackerman estime qu’on efface leur identité : « L’adoption des enfants, c'est quelque chose qui sonne toujours très noble. Mais on sait qu’il existe des camps de rééducation. Car si avec les petits, c’est facile, les enfants en âge scolaire ont déjà une identité formée. Ils ont commencé à apprendre l’histoire de l’Ukraine, le folklore populaire, connaissent les chansons… Et là, brutalement, on leur arrache tout ce qu’ils ont su jusqu’à présent pour leur inculquer une autre histoire, une autre culture ». Maria Lvova Belova souhaite à présent installer des « structures socio-éducatives » spécifiquement adaptées aux adolescents sur le territoire ukrainien, dans les territoires annexés.
Aujourd’hui sous les projecteurs en raison de la guerre, Maria Lvova Belova a connu une ascension rapide avant d’être nommée la Commissaire aux droits de l’enfant en 2021. Co-fondatrice d’une organisation caritative en 2008, membre de la Chambre des droits civiques, elle a été vice-présidente du Front populaire panrusse à Penza, sa ville d’origine en 2019. Elle rejoint Russie unie la même année et devient sénatrice du parti en septembre 2020. Placée sous sanctions par les Occidentaux, elle est accusée par de nombreuses organisations internationales d’être responsable de crime de guerre.
2/25/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Maia Sandu, la présidente moldave face à la menace russe
La Moldavie sera-t-elle la prochaine cible de Moscou ? Maia Sandu, la présidente de ce pays de 2,6 millions d’habitants, frontalier de l’Ukraine, a accusé lundi 13 février la Russie de fomenter un coup d’État pour renverser le pouvoir moldave. Portrait de cette présidente résolument pro-européenne.
Silhouette frêle, coupe au carré, Maia Sandu livre un discours offensif devant la presse. Sur la base d’informations fournies par l’Ukraine, la présidente moldave accuse la Russie de vouloir déstabiliser son pays : attaques d’édifices publics, prises d’otages… Moscou voudrait faire sauter le pouvoir en place afin « d’entraver le processus d’intégration à l’Union européenne et se servir de la Moldavie dans sa guerre contre l’Ukraine ».
Le ton déterminé de Maia Sandu tranche avec sa prudence habituelle à l’égard de Moscou, alors que son pays, peuplé de 2,6 millions habitants, dépend entièrement de la Russie pour ses ressources énergétiques. La présidente moldave semble donc aller à l’affrontement, analyse Nicolas Trifon, écrivain spécialiste de la Moldavie* :
« C’est la première fois que Moscou a été mis en garde et désigné comme responsable des problèmes de la Moldavie. Cela ne veut pas dire que la menace est réelle et que les preuves sont suffisantes, mais la question reste ouverte et le plus important, c'est cet affrontement avec Moscou qui a eu lieu pour la première fois dans un pays comme la Moldavie où les dirigeants sont en général très attentifs à leurs relations avec Moscou ».
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Compétence et intégrité
Maia Sandu, 50 ans, est la première femme élue à la tête de la Moldavie en 2020. Résolument pro-européenne, elle affiche un parcours exemplaire : ancienne économiste de la Banque mondiale, ministre de l’Éducation entre 2012 et 2015, Première ministre en 2019 avant d’être élue à la présidence un an plus tard. Elle a été choisie sur un programme de lutte contre la corruption dans un pays miné par ce fléau. « L’intégrité et la compétence sont probablement les qualités les plus louées chez Maia Sandu, souligne Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po. Elle est de ce point de vue sur un modèle assez différent de Volodymyr Zelensky qui a plus des talents de tribun, à même de rallier par sa personnalité peut être plus charismatique. Mais l’élément de confiance qui permet aux Moldaves de se retrouver majoritairement dans Maia Sandu ce sont vraiment ces deux qualités : la compétence et l’intégrité ».
Pro-européens contre pro-russes
Pour autant, Maia Sandu a des adversaires. On lui reproche de ne pas en faire assez pour le pouvoir d’achat des Moldaves, dans un pays très pauvre, de ne pas obtenir assez d’aides de l’Union européenne, elle qui a déposé une candidature d’adhésion de son pays à l’UE, l’an dernier.
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La Moldavie compte un certain nombre de partisans pro-russes, pas seulement dans la région séparatiste de Transnistrie. Des partis d’opposition sont à la manœuvre et pourraient tenter de déstabiliser le pouvoir moldave. « Il y a une reprise des manifestations par rapport aux factures d’électricité et de gaz, menées par le parti Shor qui est le principal relai de Moscou aujourd’hui dans le pays, explique Nicolas Trifon. Évidemment, les manifestations sont justifiées, mais elles portent aussi sur autre chose. Les manifestants disent qu’ils veulent la tranquillité, ils ne veulent pas de l’Otan, etc. Ils sont très déterminés contre le gouvernement actuel, contre Maia Sandu, c’est un mouvement pro-Moscou, très clairement. »
Menaces réelles de Moscou ou pas, Maia Sandu a promis de faire adopter une série de lois pour mieux protéger la Moldavie. Un nouveau Premier ministre, Dorin Recean, vient également d’être nommé. Il est spécialiste des questions de défense et de sécurité.
* co-auteur avec Matei Cazacu d’« Un État en quête de nation, la République de Moldavie » (Non Lieu éditions)
2/18/2023 • 3 minutes, 30 seconds
Mikheïl Saakachvili, un ancien président derrière les barreaux
Selon ses partisans, son état de santé est critique, mais il va malgré tout rester derrière les barreaux : l’ancien président géorgien Mikheïl Saakachvili n’a pas obtenu la remise en liberté provisoire réclamée par ses avocats. Il va donc continuer à purger sa peine et en appelle à la communauté internationale, estimant que sa vie est désormais en danger.
Ses partisans laissent éclater leur colère en cette soirée du 6 février, à l’issue d’une audience défavorable à l’ancien président géorgien. Mikheïl Saakachvili devra continuer à purger sa peine malgré un état de santé de plus en plus critique. Pour la justice géorgienne et pour le pouvoir en place, rien ne saurait justifier la remise en liberté de l’ancien président, accusé de simuler ou d’exagérer ses ennuis de santé pour échapper à sa peine : six ans de prison pour « abus de pouvoir ». Pourtant, tous ceux qui ont pu l’approcher ces derniers mois sont formels : l’état de santé de Mikheïl Saakachvili s’est brutalement détérioré. C’est ce qu’a raconté à RFI Khatia Dekanoïdze, une députée de l’opposition qui a été autorisée à rendre visite à l’ancien président.
« C’était un choc de le voir comme ça… Vous savez il peut à peine bouger, il marche avec un déambulateur, et il a perdu beaucoup de poids. Auparavant il était plein d’énergie, c’était une personne charismatique et maintenant c’est tout le contraire. C’est un homme détruit, torturé physiquement et psychologiquement. Donc oui c’est difficile de le voir dans cet état. »
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Une forme de revanche personnelle
Pour cette députée, ancienne ministre de Mikheïl Saakachvili, il y a un acharnement politique et judiciaire à l’encontre l’ancien président géorgien. Et derrière cet acharnement, il y a un homme : Bidzina Ivanichvili. Un milliardaire dont la fortune a été faite en Russie dans les années 1990 et qui dirige en coulisses la Géorgie depuis une décennie. « Il considère Mikheïl Saakachvili comme un ennemi personnel et donc c’est une sorte de vengeance à son égard, dénonce la députée du Mouvement national uni, le parti fondé au début des années 2000 par l’ancien président. « Pour Bidzina Inachvili, c’est aussi une façon de montrer qu’il est tout-puissant, qu’il fait ce qu’il veut. Et puis c’est comme ça que le parti au pouvoir traite l’opposition. Ils déshumanisent tous ceux qui sont pro-occidentaux ou qui sont critiques vis-à-vis du gouvernement. »
Autre explication avancée par les partisans de l’homme qui fut le héros de la « Révolution des Roses » en 2003, la haine éprouvée à son encontre par Vladimir Poutine, le président russe. « Quand il y a eu la guerre entre la Russie et la Géorgie, en 2008, pointe Khatia Dekanoïdze, Poutine a dit à Condoleezza Rice, qui était la secrétaire d’État américaine à l’époque, qu’il voulait punir Saakachvili. » Son tort ? Avoir été le fer de lance de la première « révolution de couleur » dans l’espace post-soviétique, et s’être résolument tourné vers le camp occidental. Maintenir Saakachvili en prison, malgré le risque encouru par l’ancien président, serait donc une forme de service rendu au Kremlin par l’actuel pouvoir géorgien, soucieux de ménager la susceptibilité du voisin russe.
Erreur de calcul
Le calvaire de Mikheïl Saakachvili commence à l’automne 2021. Lassé de son exil en Ukraine, l’ancien président est persuadé qu’il lui suffit de rentrer dans son pays pour renverser le pouvoir. Mais ce coup de poker tourne au fiasco : les manifestations ne prennent pas l’ampleur espérée, et Saakachvili est très vite arrêté. « Il a cru en revenant en Géorgie que ses partisans allaient l'emporter et il s'est trompé lourdement », analyse le géographe Jean Radvanyi, professeur émérite à l’Inalco, l’Institut national des langues et civilisations orientales*. « Il s’est trompé à double titre : d’abord parce que ses partisans ne représentent pas une majorité suffisante pour imposer un changement politique en Géorgie et ensuite parce que lui-même suscite toujours un mécontentement profond en Géorgie. »
Une erreur de calcul et un malentendu qui proviennent du bilan pour le moins contrasté de sa décennie au pouvoir. Arrivé à la présidence en 2004, dans la foulée de la « Révolution des Roses » qui vit la chute d’Édouard Chevardnadze, alors qu’il était âgé de 36 ans, Mikheïl Saakachvili s’est d’abord attaqué avec succès à la corruption endémique qui sévissait en Géorgie. « Il a pratiquement réussi à éliminer la petite corruption, note Jean Radvanyi, la corruption de la vie quotidienne, des démarches administratives, de la police, etc… Et ça a été une base de son succès pour sa réélection, dès le premier tour en 2008. Et puis, ensuite, il y a eu le désastre de la guerre contre la Russie et une dérive autoritaire avec un mélange de corruption, de clanisme, de violence. Si bien qu’à la crise politique suivante, il a perdu les élections et il a dû s'exiler. »
Une seconde Biélorussie ?
Aujourd’hui, Mikheïl Saakachvili est un homme affaibli, physiquement et politiquement. Ses alliés occidentaux sont trop occupés par l’Ukraine pour lui accorder le soutien dont il aurait besoin. Et dans la rue, ses partisans ne parviennent pas à imposer le rapport de force qui leur permettrait d’obtenir la libération du « héros déchu » de la « Révolution des Roses ». Lui affirme avoir été empoisonné et qu’il risque de perdre la vie s’il reste en prison. « Comme je suis en train de mourir, je n’ai pas beaucoup de temps, écrit-il dans une lettre publiée par le quotidien Le Monde le 31 janvier 2023. La France peut encore empêcher la Géorgie de devenir une seconde Biélorussie », écrit l’ancien président, qui demande à Emmanuel Macron de faire pression sur les autorités du pays pour obtenir sa libération.
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*auteur de Russie, un vertige de puissance à paraître le 23 février 2023 aux Éditions La Découverte
2/12/2023 • 3 minutes, 27 seconds
Michel Claise, le juge belge au cœur du «Qatargate»
C’est l’homme qui est au cœur du Qatargate, le retentissant scandale de corruption qui secoue depuis le mois de décembre le Parlement européen. Le juge d’instruction belge Michel Claise est un magistrat combatif, obsédé par la délinquance financière et la corruption des élites. Romancier à succès, épris de justice sociale, le juge Claise ne cesse d’alerter sur l’ampleur de cette criminalité financière et sur la menace qu’elle fait peser sur nos sociétés.
« Un phénomène auquel nous devons également faire face, c’est celui de la corruption : le monde politique n’en a pas véritablement ressenti tous les effets en termes de démocratie et de démocratie sociale. » Le ton est patelin, le regard bienveillant, mais les propos sont sévères et inquiétants. Interrogé par la télévision belge en mai 2022, Michel Claise livre un constat sans appel sur l’ampleur de la corruption et de la délinquance financière, en Belgique, mais aussi dans l’Union européenne.
Quelques mois plus tard, il va se retrouver au cœur du Qatargate et placer sous les verrous Eva Kaili, la vice-présidente du Parlement européen. Un coup de tonnerre en Europe, mais pas vraiment une surprise pour les Belges, habitués aux coups d’éclat de ce magistrat intraitable avec les puissants. « Il est l'un des rares magistrats financiers, donc spécialisés dans cette matière financière, pointe Louis Colart, journaliste et spécialiste des questions de justice au quotidien belge Le Soir. Il est juge d'instruction à Bruxelles et à ce titre, il récupère souvent les affaires les plus médiatiques parce que c'est là où il y a les sièges sociaux d'entreprises et les institutions politiques. Il a déjà mis des ministres en détention préventive, donc il est déjà très connu en Belgique pour cette raison. »
« Monsieur Cent Millions »
Âgé de 66 ans, Michel Claise a enquêté dans les milieux financiers, politiques et même sportifs. D’abord avocat, il devient magistrat et se spécialise dans la délinquance à col blanc. Et les nombreuses affaires financières débusquées par le juge Claise lui ont valu un sobriquet flatteur, celui de « Monsieur Cent Millions ». « Il a instruit un dossier contre une grande banque qui était soupçonnée de démarchage illégal, raconte Louis Colart, et il a été décidé par le parquet d’une transaction pénale pour mettre un terme au dossier. Ce qui a abouti à la plus grosse transaction pénale signée en Belgique. Et donc pour cette raison, effectivement, il a rapporté pas mal de deniers au trésor public. » Mais ses méthodes sont parfois critiquées – certains le surnomment aussi le « Shériff » pour sa propension à user de la détention préventive.
Romancier prolifique, mais pas seulement
Issu d’une famille modeste, élevé par ses grands-parents, Michel Claise est aussi romancier et passionné de musique baroque. « Ce qui est frappant chez lui, c’est qu’il a plusieurs vies et on se demande comment il arrive à les concilier puisqu'il publie environ un roman par an. Il participe à de nombreuses conférences et au Greco (le Groupe d'États contre la Corruption, NDLR), qui participe à analyser les systèmes anti-corruption de différents pays de l'Union européenne. Il est franc-maçon et ne s’en cache pas, il l’a expliqué assez longuement dans une interview au Soir. Il a toutes ses vies-là et il l'assume. Il a une expression intéressante là-dessus : "Voilà, j'ouvre un tiroir et puis je le referme" et il arrive à tenir le rythme comme ça. »
Chasse aux criminels en col blanc
Juge médiatique, Michel Claise refuse de parler des affaires en cours, mais se montre intarissable lorsqu’il s’agit d’alerter l’opinion sur les ravages de la délinquance financière. Sur les plateaux de télévision, il multiplie les mises en garde et interpelle la classe politique sur la menace posée par la criminalité en col blanc.
Ce qui est très important et ce que Michel Claise met en avant aussi, ce sont les auteurs de ces comportements illégaux, explique Clotilde Champeyrache, maître de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers, au département sécurité, défense, renseignement. On a évidemment des organisations criminelles qui vont blanchir l’argent sale, mais on a aussi, et c’est dans le cas du Qatargate, des criminels en col blanc, c’est-à-dire que la sphère légale participe aussi à ces illégalités et, c’est extrêmement préoccupant et c’est quelque chose dont on ne prend pas bien compte parce que justement, ce sont des personnes influentes, bien placées, qui ont une réputation, donc on ne va pas forcément enquêter sur ces personnes et on a une part importante de ces agissements-là qui sont hors radar par nature d’une certaine façon », précise Clotilde Champeyrache.
Pour le juge Claise, s’attaquer à la criminalité financière est une question de survie pour les sociétés démocratiques. Que la corruption touche les milieux d’affaires, ou le cœur de la démocratie européenne, comme au Parlement de Strasbourg, avec le Qatargate.
► À écouter aussi : Accents d'Europe - La lutte anti-corruption, un enjeu européen
2/4/2023 • 3 minutes, 31 seconds
Russie: Alexeï Navalny, le « masque de fer » de Vladimir Poutine
Les partisans d’Alexeï Navalny ont lancé une campagne internationale pour demander sa libération et pour attirer l’attention sur son sort. Alexeï Navalny, 46 ans, qui purge une peine de 9 ans de réclusion dans une colonie à « régime sévère », a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020. Il venait de Berlin, où il avait été hospitalisé après son empoisonnement à un agent innervant. De sa cellule, dans des conditions de détention éprouvantes, il poursuit son combat.
Lorsqu’il est arrivé à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2020, de retour de sa convalescence en Allemagne, 5 mois après son empoisonnement, Alexeï Navalny a pris quelques secondes dans les couloirs de l’aérogare devant un panneau représentant le Kremlin, pour adresser quelques mots à ses partisans : « Je n’ai peur de rien et je vous demande aussi de ne pas avoir peur ». Mais à peine le contrôle des passeports franchi en compagnie de son épouse et de son avocate, il était arrêté par des policiers et immédiatement placé en détention.
« Il a fait un acte héroïque en décidant de rentrer en Russie, parce qu’il est, bien sûr, l’opposant personnel de Vladimir Poutine. Pourvu qu’il survive », s’inquiète Lev Ponomarev, 81 ans, cofondateur de l’ONG Memorial et président de l’institut Sakharov à Paris. « Les autorités pénitentiaires essaient de pousser Navalny à la folie ou au suicide », affirme le défenseur des droits de l’homme russe, exilé en France, où il a obtenu l’asile politique. Selon lui, les gardiens de prison mènent une « expérience médicale » sur le prisonnier Navalny, testant sa résistance, avec l’approbation du Kremlin « qui continue d’essayer de le tuer en créant pour lui des conditions de vie insupportables ».
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Dans sa colonie pénitentiaire « à régime sévère », l’opposant est régulièrement envoyé en cellule disciplinaire ou d’isolement : il y a fait 11 séjours en deux ans, pour des infractions mineures au règlement, comme laisser un bouton de sa chemise déboutonné. Sa famille et ses proches s’inquiètent du fait que son état de santé se dégrade avec des conditions de détention qui ne cessent de se détériorer. « Mon père a passé plus de trois mois en cellule disciplinaire. C’est une petite cellule de 2 mètres sur 3 qui ressemble plus à une cage pour un homme qui mesure près de deux mètres », raconte, en anglais, sa fille, Dasha Navalnaya, étudiante à Stanford, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, dans le cadre de la campagne internationale de soutien.
Une cellule de deux mètres sur trois
À la mi-janvier, plusieurs centaines de médecins russes ont signé une pétition, parue sur Facebook, appelant Vladimir Poutine à fournir des soins appropriés à Alexeï Navalny, souffrant de syndromes grippaux et affirmant être privé d’un accès satisfaisant aux médecins et aux médicaments.
Si les violences en prison ne sont pas un fait rare en Russie, l’homme, dont le président russe refuse de prononcer le nom, semble avoir droit à un traitement particulier. « C’est le prisonnier personnel de Vladimir Poutine, c’est son “masque de fer ” », estime le politologue Fedor Krasheninnikov. « Le président russe considère Navalny comme un membre de l’élite occidentale. Angela Merkel est venue le voir quand il était à l’hôpital. Et comme, dans son imaginaire, il est vu comme faisant partie du clan occidental, il le harcèle, un peu comme avec une poupée vaudou », commente ce proche de l’opposant emprisonné.
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Les soutiens d’Alexeï Navalny dénoncent régulièrement une tentative du Kremlin de le « tuer » à petit feu. « Il est torturé d’une manière plutôt ingénieuse », note Lev Ponomarev. « On fait en sorte de le malmener, sans enfreindre la loi, en le punissant par exemple pour avoir fait sa toilette avant l’heure réglementaire. Un autre détenu, n’aurait sans doute pas été envoyé en cellule d’isolement pour ça, même si le règlement intérieur est rédigé de façon monstrueuse », estime le défenseur des droits de l’homme. « On voit bien qu’il bénéficie d’un régime de détention particulier, qui a été créé de façon à lui gâcher la vie », abonde Fedor Krasheninnikov.
Amaigri, visiblement éprouvé par les journées passées à l’isolement, Alexeï Navalny continue de se battre pour faire reconnaître ses droits les plus élémentaires et intente des procès à l’administration pénitentiaire. Loin de se faire intimider, il profite de ces audiences pour lancer des messages politiques : « Vous ne me ferez pas taire avec votre cellule d’isolement. Poutine associe des centaines de milliers de personnes aux crimes qu’il commet. Il est comme la mafia, qui lie à elle par le sang des centaines de milliers de personnes », a lancé l’opposant au cours de l’une de ces audiences, où il est apparu en liaison vidéo dans une tenue visiblement trop grande pour lui.
À l’occasion du deuxième anniversaire de son incarcération, l’opposant russe a répété ces arguments publiés sur les réseaux sociaux via ses avocats, appelant ses soutiens à contester ces choix faits par le pouvoir russe : « Notre malheureuse patrie tourmentée a besoin d’être sauvée. Elle a été volée, blessée, entraînée dans une guerre d’agression et transformée en prison dirigée par les méchants les plus éhontés et les plus trompeurs. Toute opposition à ce gang – même symbolique, compte tenu de ma capacité actuelle limitée – est importante ».
Poursuivre le combat politique
L’opposant le plus sérieux à Vladimir Poutine continue à exister politiquement, même du fin fond de sa prison, estime l’ancien député Dmitri Goudkov, autre détracteur du président russe, qui a préféré fuir la Russie pour éviter le sort d’Alexeï Navalny. « En continuant à rester actif en dépit de tous les obstacles, il montre à ses partisans qu’il continue à résister envers et contre tous, et cela donne de l’espoir à beaucoup de personnes ». Selon l’ancien élu, l’opposant y était prêt, « cela ne signifie pas que les choses sont simples pour lui, mais c’est à cela que l’on reconnaît la qualité d’un homme fort, qui ne peut être brisé ».
Ne pas se faire oublier, continuer à exister du fin fond de la colonie pénitentiaire IK-6 Melekhovo, située à environ 250 km à l’est de Moscou : une gageure pour le juriste reconverti en homme politique, qui parvient à donner régulièrement des nouvelles de sa vie derrière les barreaux, dans des messages, transmis par ses avocats, où il manie l’humour mordant et l’ironie. « Des gens payent pour passer un Nouvel An original, pour moi, c’était gratuit », avait-il écrit, après sa nuit du 31 décembre passée en isolement, en compagnie d’un « voisin clochard » dépressif, obligé à faire des allers-retours entre le quartier disciplinaire et l’infirmerie où sévit une épidémie de grippe, « à croire qu’on l’utilise comme arme bactériologique. Pas étonnant qu’il soit triste », commente Alexeï Navalny.
Pour ses militants les plus actifs, qui ont dû choisir entre la prison et l’exil, où ils poursuivent leurs enquêtes sur la corruption des officiels, le comportement de l’opposant reste une source d’inspiration. Alexeï Navalny est un « homme fort, un bon orateur, un vrai meneur politique et même dans la situation qu’il vit aujourd’hui, il essaye de résister, parce qu’il comprend que s’il se mettait à écrire qu’il ne va pas bien, qu’il est déprimé, il n’améliorerait pas son sort et il anéantirait la foi de ses partisans. Même étant en prison, il s’efforce d’afficher l’optimisme pour montrer aux gens qu’il faut continuer le combat », estime Fedor Krasheninnikov, exilé en Lituanie, comme une partie de l’équipe de l’opposant.
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Durant les mois qu’il a passés en convalescence en Allemagne, Alexeï Navalny a poursuivi son travail d’investigation. Il a notamment recueilli les confessions d’un membre de l’équipe des services de sécurité, qu’il considère comme d’un des responsables de son empoisonnement en août 2020 à bord d’un avion en partance de Sibérie. Un réalisateur canadien l’a suivi durant cette période et tourné un film aux allures de thriller, en lice pour l’Oscar du meilleur documentaire.
1/28/2023 • 3 minutes, 35 seconds
Petr Pavel, un ancien «para» candidat à la présidence tchèque
Il a promis s’il est élu de « rétablir l’ordre dans son pays » et de le rapprocher de l’Otan et de l’Union européenne. Ancien communiste, et ancien militaire, Petr Pavel est en bonne position pour devenir à 61 ans le prochain président de la République Tchèque. Arrivé en tête du premier tour le 14 janvier dernier, il affrontera dans une semaine l’ancien Premier ministre Andrej Babis.
Au soir du premier tour, le 14 janvier dernier, les résultats le placent en position idéale : 35,4 % des voix, tout juste devant l’ancien Premier ministre Andrej Babis. Bénéficiant a priori d’un report de voix favorable, Petr Pavel ne cache pas sa satisfaction et se voit déjà en tête du second tour qui aura lieu le 27 janvier prochain. « L’enjeu de cette campagne sera de savoir s’il y aura le chaos dans notre pays, ou le retour à l’État de droit, proclame-t-il alors, et si nous serons un pays digne de confiance pour nos alliés. » Une déclaration martiale pour cet ancien « para » qui a fait toute sa carrière au sein de l’armée tchèque.
« Il a gravi les échelons de l’armée jusqu’au poste de chef d’état-major, qu’il a occupé entre 2012 et 2015 », détaille Jana Vargovčíková, chercheuse à l’Institut national des langues et civilisations orientales. « Ensuite, il a été proposé par le gouvernement tchèque pour être président du Comité militaire de l’Otan, poste qu’il occupe durant trois ans avant de prendre sa retraite en 2018. À l’époque déjà circulaient des rumeurs sur ses volontés de se porter candidat à la présidentielle. »
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Un « héros de guerre » décoré par la France
Parmi ses faits d’armes, il y a cet acte de bravoure, en 1993, pendant la guerre de Bosnie. Alors officier de l’armée tchèque, Petr Pavel parvient à évacuer une unité de soldats français assiégés par les forces serbes et croates. Un épisode qu’il ne cesse de mettre en avant durant la campagne électorale. Mais dans le passé du « général », comme on le surnomme dans son pays, il y a aussi un épisode beaucoup moins glorieux. « C’est surtout son passé militaire d’avant 1989 qui est discuté : son adhésion au Parti communiste et sa volonté de devenir agent des renseignements militaires à la fin des années 1980, donc très peu avant la chute du régime communiste. »
Un passé trouble que Petr Pavel attribue au contexte de l’époque – il était impossible selon lui de faire carrière dans l’armée sans afficher sa loyauté au régime. « Il a réussi à minimiser le poids de ce facteur dans les choix des électeurs, qui sont pourtant historiquement anticommunistes, note la maîtresse de conférence à l’Inalco. Et il y est parvenu en reconnaissant son erreur, en s’excusant publiquement et en avouant ce passé très en amont dans la campagne. »
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Un front « anti-Babis »
Au second tour, les 27 et 28 janvier prochains, Petr Pavel affrontera l’ancien Premier ministre Andrej Babis, une personnalité controversée, accusée de dérive populiste. Un « danger pour la démocratie » aux yeux d’un certain nombre de partis politiques qui tous vont se rallier derrière l’ancien militaire. « Pavel est le candidat de tous ceux qui veulent à tout prix éviter que Babis devienne président », explique Ondrej Horky Hluchan, chercheur à l’Institut de relations internationales à Prague.
Babis n’est pas considéré comme aussi populiste ou illibéral que Viktor Orban, le Premier ministre hongrois. Mais il est perçu tout de même comme faisant peser un risque sur l’ordre constitutionnel. Les candidats du premier tour qui ont été éliminés veulent éviter l’erreur qui a été faite il y a cinq ans, lorsque le président Milos Zeman a été élu face à un candidat plus représentatif de la démocratie libérale. Celui-ci n’avait pas obtenu suffisamment de soutien entre les deux tours, une erreur que les partis politiques hostiles à Babis ne veulent pas renouveler. On peut donc s’attendre à un ralliement massif autour de la candidature de Petr Pavel.
Les sondages de l’entre-deux-tours semblent, de fait, favorables à l’ancien militaire. Mais son élection est loin d’être jouée d’avance, car son adversaire pourrait profiter de l’inflation galopante et de la crise économique traversée par le pays pour galvaniser son électorat de base. Un électorat plus âgé, plus rural et plus défavorisé que celui de Petr Pavel.
1/21/2023 • 3 minutes, 25 seconds
Evgueni Prigojine, le «chef cuisinier» devenu chef de guerre
L’armée russe a revendiqué vendredi 13 janvier la prise de Soledar, une localité près de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine. La bataille a été livrée principalement par les mercenaires du groupe paramilitaire Wagner. Tenant son surnom de son passé de restaurateur puis à ses contrats remportés pour la restauration de l’armée et les cantines scolaires, leur patron Evgueni Prigojine s’est transformé en chef de guerre aux pouvoirs étendus.
En treillis militaire, au milieu d’hommes pour certains assis dans des fauteuils roulants, Evgueni Prigojine prodigue des conseils avec son style bien personnel : « Ne picolez pas trop, ne vous droguez pas, ne violez pas les bonnes femmes ». La vidéo du patron de Wagner au milieu de vingt anciens détenus enrôlés dans son groupe paramilitaire, de retour au pays après six mois passés sur le front en Ukraine, a été publiée sur les réseaux sociaux.
Parmi ces combattants que l’homme d’affaires, lui-même ancien repris de justice, est allé parfois extraire personnellement des prisons russes en dehors de toute légalité, figurent des condamnés pour homicides. « Il préfère recruter ce type de personnes », note Olga Romanova, à la tête de l’ONG de défense des droits des détenus La Russie derrière les barreaux.« Il a pris beaucoup d'assassins, de violeurs, beaucoup de gens qui ont commis des crimes graves. Il les enrôle à tour de bras, parce que ces gens n’ont pas peur de tuer, il n’y a pas besoin de leur apprendre à tuer, ils ont déjà cette expérience. » L’homme d’affaires aurait recruté entre 20 et 40 000 détenus dans les prisons russes.
À ceux qui s'en sortiraient vivants du front ukrainien, Evgueni Prigojine a promis la grâce, l’effacement du casier judiciaire ou l’amnistie. Or, la première est obtenue sur décision de la Douma, la seconde dépend des organes judiciaires. Quant à l’amnistie, seul le président peut l’accorder.
Fournisseur de « chair à canon »
Pourquoi le chef de la milice Wagner a-t-il obtenu autant de pouvoir ? « En ce moment, Poutine a besoin de Prigojine en qualité de recruteur de forces vives, de fournisseur de chair à canon. C’est extrêmement important à cette étape. C’est pourquoi il est autorisé à devenir une figure publique », souligne Andreï Kolesnikov, expert de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Pour le politiste, le Kremlin « externalise » en quelque sorte certaines fonctions dévolues au pouvoir législatif et judiciaire. « Cette figure très douteuse se voit attribuer des fonctions étatiques alors qu’il n’est pas fonctionnaire, ce qui va à l’encontre de loi ».
S’il a longtemps caché ses liens avec Wagner, allant jusqu’à intenter des procès en diffamation aux journalistes qui en faisaient mention, le richissime sexagénaire a reconnu, en septembre, avoir fondé le groupe, admettant sa présence également en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Il a aussi reconnu des ingérences dans les élections américaines, avec sa « ferme à trolls ».
Aujourd’hui, il se distingue par ses déplacements incessants près du front. Ces derniers jours, il n’a pas manqué de souligner à plusieurs reprises que l’assaut sur Soledar, la ville qui doit permettre de percer sur Bakhmout, était « exclusivement » mené par les hommes de Wagner, alors que les rapports du ministère russe de la Défense indiquent que la ville est attaquée par les troupes aéroportées, sans faire mention du groupe Wagner.
« Il est en concurrence avec l’armée gouvernementale et il souhaite montrer au chef suprême des armées que son modèle d’armée est plus efficace que l’armée officielle », souligne Andreï Kolesnikov. Pour ne pas perdre sa position et les financements qui vont avec, « il doit constamment faire la preuve de son efficacité ». L’Institute for the Study of War notait, dans son point du 9 janvier, qu’Evgueni Prigojine continuait « d'utiliser les rapports sur les succès du groupe Wagner à Soledar pour renforcer la réputation du groupe Wagner en tant que force de combat efficace ».
Concurrence avec l’armée
L'oligarque aux méthodes brutales se distingue par ses critiques acerbes du commandement militaire russe et du ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Avec le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, il avait même obtenu la tête d’Alexandre Lapine, rendu responsable de la désastreuse retraite de Kharkiv. Mais le colonel-général a récemment été nommé chef d'état-major des forces terrestres russes et le général Sourovikine, qui avait ses faveurs, a été rétrogradé.
« Ses actions ont fortement chuté aux yeux de Poutine », veut croire Olga Romanova, qui estime qu’il a franchi certaines limites dans ses déclarations et soutiens publics, qui n’auraient pas été du goût du Kremlin. Le financier de Wagner a notamment soutenu des mercenaires qui ont publié une vidéo adressée au chef d’état-major de l’armée, le général Guerassimov, en l’insultant. « On n’a rien pour se battre. On a besoin de munitions pour tout faire sauter », dénoncent-ils, tout en traitant le haut gradé de tous les noms.
Dans un message audio publié par le service de presse de son groupe Concord, Evgueni Prigojine confirme que des hommes de Wagner ont tourné la vidéo et en profite pour tacler une nouvelle fois l’état-major russe : « Lorsque tu es assis dans un bureau bien chauffé, tu ne peux pas entendre les problèmes de la ligne de front ».
Le « chef cuisinier » de Poutine cherche-t-il à renforcer son envergure politique en Russie par des succès militaires en Ukraine ? Il risque en tout cas de trouver du monde en travers de sa route, selon Andreï Kolesnikov. « Beaucoup de gens sont horrifiés par le fait que ce personnage se retrouve sous les feux de la rampe. Il est en train de gagner en influence grâce à son efficacité de voyou, une efficacité dont Poutine a énormément besoin en ce moment », explique le politiste. Pour autant, « si la lutte des clans prenait de l’ampleur, il n'est pas sûr que Prigojine en sortirait gagnant s’il commençait à avoir d’autres ambitions, s’il cherchait à être plus qu’un troll militaro-oligarchique ». Selon le chercheur de Carnegie, « Vladimir Poutine fera tout pour s'assurer que Prigojine ne devienne pas un homme politique ».
À l’automne, des bruits ont fait état d’un projet de lancement par Evgueni Prigojine d’un nouveau parti conservateur. Ils se sont désormais dissipés dans les mines de Soledar.
1/14/2023 • 3 minutes, 30 seconds
Pier Antonio Panzeri, un ancien député européen au cœur du «Qatargate»
C’est l’homme qui se trouve au cœur du « Qatargate », le retentissant scandale de corruption qui secoue le Parlement européen depuis le mois de décembre 2022. Ancien syndicaliste, homme de gauche italien, investi dans la lutte pour la défense des droits de l’homme, Pier Antonio Panzeri est accusé par la justice belge d’avoir utilisé ses accès et ses relations au sein du Parlement pour promouvoir l’image du Qatar et du Maroc.
Lorsque le scandale éclate le 9 décembre dernier, c’est le visage de la vice-présidente grecque du Parlement, Eva Kaïli, qui fait la Une des journaux. Mais c’est bien lui, Pier Antonio Panzeri, qui se trouve au cœur de ce scandale retentissant. Selon les éléments de l’enquête, révélés par la presse belge et italienne, cet ancien député européen, aujourd’hui âgé de 67 ans, aidait le Qatar et le Maroc à défendre leurs intérêts au Parlement, contre des valises de billets, et de cadeaux en nature.
« Quand j’ai appris l’arrestation, j’ai été choqué et surpris, raconte Brando Benifei, le chef de la délégation italienne du groupe socialiste et démocrate (SD), auquel appartenait Pier Antonio Panzeri lorsqu’il était élu à Strasbourg. Et je suis rapidement devenu très en colère, parce que je connaissais ces gens, et parce que je connaissais personnellement Panzeri qui avait été mon collègue au Parlement dans la précédente législature. J’ai appris que ces gens avaient probablement utilisé la lutte pour les droits de l’homme comme un instrument pour poursuivre des intérêts criminels et pour promouvoir la corruption. »
Au cœur de ce pacte de corruption, il y a une ONG créée par Panzeri lorsqu’il quitte le Parlement en 2019. Comble du cynisme, cette ONG baptisée Fight For Impunity (« combat contre l’impunité » en français) avait pour objectif la lutte pour la défense des droits de l’homme. « L’ONG de Panzeri comptait parmi ses membres d’honneur un Prix Nobel de la paix, des anciens commissaires européens, un ancien Premier ministre, souligne Brando Benifei. Elle était en fait, apparemment, un outil pour poursuivre des activités criminelles… Mais elle avait toutes les apparences d’une véritable ONG ! Je pensais que c’était une organisation sérieuse. Je n’ai jamais rien fait avec cette ONG, je n’ai jamais participé à leurs conférences, etc. Mais je pensais qu’ils menaient des activités importantes avec des personnes très estimées dans le monde de la défense des droits de l’homme. »
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Parcours typique de la gauche syndicale
Considéré au Parlement de Strasbourg comme un homme de réseau, d’influence, Panzeri n’a pas laissé un souvenir très vivace auprès de ses anciens collègues. Et pour cause : il ne parle ni français ni anglais, et ses interactions se limitaient aux députés capables de s’exprimer en italien. Dans son pays, Panzeri n’était connu que dans un cercle restreint, celui de la gauche milanaise, et du monde syndical dont il est issu.
« Il a eu un rôle important à l’intérieur de la CGIL, le syndicat de gauche de Milan, décrypte Massimiliano Panarari politologue à l’université Mercatorum de Rome. Et puis il a décidé de commencer une carrière politique à l’intérieur d’un parti. Il s’agissait du PDS, c’est-à-dire le Parti démocrate de gauche. Il était notamment proche de Massimo D’Alema et de son courant à l’intérieur du PDS. Son parcours, sa trajectoire sont typiques d’une certaine gauche syndicale issue de la tradition du Parti communiste. »
Pour la gauche italienne, le « Qatargate » et l’implication de Panzeri constituent un coup d’autant plus dur qu’ils interviennent après la déroute électorale subie à l’automne dernier et la victoire de l’extrême droite. « En ce qui concerne les élites politiques, on assiste à un effort de "réduction des dommages". Au centre-gauche, on essaie d’éloigner Panzeri le plus possible, et l’on dit de lui qu’il doit être frappé de la façon la plus dure par la justice. Mais, même au sein des élites de droite, on attend de vérifier si le scandale va être circonscrit ou va s’élargir, et l’on reste pour l’instant assez prudent. »
Pour l’heure, la justice belge poursuit ses auditions. Pier Antonio Panzeri a été maintenu en détention. Quant à sa femme et sa fille, également impliquées par les enquêteurs, elles pourraient être prochainement extradées de l’Italie vers la Belgique.
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1/7/2023 • 3 minutes, 25 seconds
Dans la Russie de Vladimir Poutine, les masques sont tombés
L’offensive russe lancée le 24 février 2022 a plongé le Vieux Continent dans une situation qu’il pensait ne plus connaître après la construction de l’Union européenne. Les velléités impérialistes de Vladimir Poutine, qui estime que l’Ukraine fait partie intégrante de la Russie, comme au temps de l’URSS, ont provoqué l’isolement de son pays sur la scène internationale. Bien que cette guerre ait réveillé un sentiment de crainte vis-à-vis de la Russie, donc une forme de reconsidération qui avait disparu depuis 1991, elle pourrait bien marquer la fin du règne de son dirigeant.
En 2007, alors qu’il achevait son deuxième mandat à la tête de la Russie, Vladimir Poutine était désigné « personnalité de l’année » par le magazine américain Time. Depuis, l’homme a bien changé, ou tout du moins, ses ambitions sont désormais plus claires, après le lancement de cette « opération spéciale » en Ukraine. « C'est la crédibilité personnelle du dirigeant russe qui est jetée dans la balance. Cela répond à une conviction très profonde, très ancienne, très explicite. Vladimir Poutine veut annuler les effets négatifs de la disparition de l'URSS en 1991 et c'est la logique principale de cette invasion. Il s'agit de reconstituer la zone d'influence russe et la zone d'influence post-soviétique en Europe », explique Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po.
Si le monde semblait, il y a quelques mois, étonné par l’invasion russe en Ukraine et les velléités expansionnistes de la Russie, depuis des années pourtant, le Kremlin se préparait à agir de la sorte. « Depuis le milieu des années 2000, Vladimir Poutine reconstitue d'autres moyens d'influence : les médias et la propagande. Il a également reconstitué l'outil d'influence économique en renforçant constamment les liens économiques, notamment en matière d'hydrocarbures et de minerais. Il a par ailleurs remis sur pied toute l'influence diplomatique dont est capable le réseau russe, qui mène depuis une dizaine d'années une véritable diplomatie de combat en Europe et aux marges de l’Europe », rappelle Cyrille Bret.
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La guerre a eu l’effet inverse de celui escompté
Cette politique insidieuse avait – entre autres – pour but de rappeler les liens qui unissent la Russie avec ses anciens satellites à l’époque de l’Union soviétique. En Ukraine, Vladimir Poutine comptait ainsi s’appuyer sur la communauté russophone pour renverser le pouvoir. Mais, selon Julien Théron, politiste, spécialiste en conflits et sécurité internationale, l’invasion de l’Ukraine a finalement eu l’effet inverse.
« On a ressassé depuis des années cette espèce de mythe qui disait : "Mais les russophones d'Ukraine sont pro-russes, ils préféreraient être Russes plutôt qu’Ukrainiens...". On comprend aujourd'hui que la chose est complètement fallacieuse et que les Ukrainiens, quelle que soit leur langue, sont Ukrainiens. Il y a d'autres minorités linguistiques, et ces minorités-là, comme la minorité russophone aujourd'hui, se battent en défense de leur État souverain et indépendant : l'Ukraine », détaille le politologue.
Un régime qui dévoile sa véritable nature
En lançant son offensive, Vladimir Poutine a raffermi le sentiment patriotique des Ukrainiens et il a dévoilé à ceux qui en doutaient encore la véritable nature de son régime. C'est ce qu'affirme Julien Théron dans la suite de ses explications :
Cette guerre montre à la fois le caractère autocratique et violent du régime russe en termes d'acquisition du renseignement, et sa fragilité en termes de réalité militaire. Sa fragilité, aussi, au regard de sa population. En effet, à l'occasion de cette guerre, le régime en a profité pour cadenasser la société russe encore plus qu'elle ne l'était déjà, notamment sur le plan des médias et des libertés publiques. Donc effectivement, il est très difficile aujourd'hui pour les anciens thuriféraires du Kremlin, souvent aux extrêmes politiques, d’aller défendre un régime qui ne fait plus vraiment semblant d'être une démocratie. C'est ce que certains ont essayé d'expliquer durant des années, en disant que la Russie était un type de démocratie un peu dirigiste. Je crois qu'aujourd'hui, les masques sont tombés et qu'il s'agit bien d'un régime autocratique.
Si cette guerre en Ukraine a dévoilé les véritables intentions de Vladimir Poutine, elle a aussi démontré les limites d’un pays qui était jusqu’alors présenté comme une grande puissance militaire. Un conflit qui, comme le dit Cyrille Bret, a condamné Vladimir Poutine à mettre en jeu la survie de son propre régime.
Julien Théron est le co-auteur, avec Isabelle Mandraud, du livre Poutine : la stratégie du désordre jusqu’à la guerre.
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12/31/2022 • 3 minutes, 30 seconds
Jens Stoltenberg, secrétaire général d'une Otan «revenue des morts»
Ancien Premier ministre norvégien, admirateur dans sa jeunesse de Bob Dylan et de Nelson Mandela, Jens Stoltenberg est à la tête d’une Alliance qui a retrouvé une raison d’être à la faveur de la guerre en Ukraine. Partisan d’une aide massive à l’Ukraine, l’ancien Premier ministre norvégien a également piloté le renforcement en hommes et en matériel du flanc oriental de l’Otan.
C’est un message qu’il n’a cessé de marteler depuis le 24 février dernier et le début de la guerre en Ukraine : pour Jens Stoltenberg, l’agression russe contre son voisin est une agression contre l’Europe tout entière, et il est donc impératif pour l’Otan de se renforcer. Un message cohérent avec le virage impulsé dès son arrivée à la tête de l’Organisation, en 2014, juste après l’annexion de la Crimée par la Russie.
« Jens Stoltenberg voulait une refonte du concept stratégique de l’Otan », analyse Amélie Zima, spécialiste de l’Otan à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. « Il estimait qu’on ne pouvait plus fonctionner sur le concept de 2010, le concept de Lisbonne, parce que l’Otan, à ce moment-là, avait un caractère expéditionnaire, comme en Afghanistan ou en Libye. À ses yeux, il était nécessaire d’impulser une réflexion sur la doctrine et c’est vraiment lui qui a présidé à la reconversion de l’Otan du caractère expéditionnaire vers la défense territoriale. »
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Un ancien pacifiste à la tête de l’Otan
Face à la menace russe, Jens Stoltenberg a su maintenir l’unité de l’Alliance et convaincre les pays européens de doper leurs budgets militaires. Un rôle paradoxal pour cet ancien pacifiste, qui jetait des pierres sur l’ambassade américaine à Oslo lorsqu’il militait dans les organisations étudiantes de gauche, au cœur des années 1970.
« Il est né en 1959, donc sa jeunesse se passe durant la guerre froide, à une époque où les États-Unis sont avant tout le pays qui se bat au Vietnam », rappelle Louis Clerc, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Turku, en Finlande. « C'étaient des années où les manifestations contre les États-Unis étaient importantes. Mais à partir du moment où il devient ministre de l’Environnement, en 1990, puis ministre des Finances, en 1996, il s’institutionnalise et, à l’image de la social-démocratie européenne, il devient de plus en plus conservateur et attaché aux institutions européennes, etc. »
Le traumatisme d’Utoya
Dans les années 2000, Jens Stoltenberg devient la figure centrale de la vie politique norvégienne… Une première fois Premier ministre, en 2000, à l’âge de 41 ans. Puis une seconde fois, de 2005 à 1013. Mais un évènement tragique va marquer ce deuxième mandat : le double attentat d’extrême droite qui fait 77 morts le 22 juillet 2011, à Oslo et sur l’île d’Utoya.
« Il a réussi à gérer ça et à souder la nation autour de cet événement dramatique, en prônant notamment le dialogue et l’union », souligne Franck Orban, professeur de sciences politiques au Collège universitaire d’Østfold, en Norvège. « Et on pourrait faire un parallèle entre cet événement dramatique pour la Norvège et la guerre en Europe revenue avec l’invasion de l’Ukraine. Car, dans ce conflit, que fait-il ? Il continue à créer du consensus, et à essayer de faire en sorte que les pays de l’Otan se réunissent sur des positions communes. »
L’invasion de l’Ukraine intervient « à point nommé » pour revitaliser l’Alliance atlantique, qui a beaucoup souffert durant la deuxième partie des années 2010. « Avec le mandat de Donald Trump et les reproches formulés par Emmanuel Macron en 2019, qui accusait l’Otan d’être “en état de mort cérébrale”, ça a quand même été un rôle difficile à jouer au sein de l’Otan. Mais on lui a reconnu une certaine capacité à dépasser les conflits et à créer du consensus. C’est pour cette raison qu’il a été réaffirmé dans son rôle », explique Franck Orban.
► À écouter : La Russie voulait affaiblir l’Otan, elle l’a renforcée. Mais jusqu’à quel point?
Un mandat prolongé
Jens Stoltenberg n’a pas sauvé l’Otan à lui seul, très loin de là : c’est avant tout Vladimir Poutine qui a redonné sa raison d’être à une organisation qu’il souhaitait pourtant affaiblir. En envahissant l’Ukraine, le président russe a conforté tous ceux qui s’alarmaient des volontés expansionnistes de la Russie, et qui réclamaient un renforcement de l’Alliance sur son flanc oriental.
Et malgré son art du compromis, Jens Stoltenberg n’a pas toujours réussi à surmonter les crises qui ont jalonné ses deux mandats à la tête de l’Otan. « Il n’a pas pu éviter le chaos du retrait de l’Afghanistan, observe Amélie Zima, de l’Inserm. Et il n’a rien pu faire non plus face aux agissements de la Turquie, quand elle se mettait à acheter du matériel russe. Il ne faut pas oublier que le secrétaire général de l’Otan a un rôle d’impulsion et de médiation, mais qu’il est impuissant en cas de crise interne, comme avec la Turquie. »
Aujourd’hui âgé de 63 ans, Jens Stoltenberg devait quitter l’Otan en début d’année, pour prendre la tête de la Banque centrale norvégienne. Mais son mandat a été prolongé d’au moins un an, en raison de la guerre en Ukraine. Les pays membres de l’Otan ont estimé crucial de maintenir à son poste le patron de l’Alliance atlantique, au moment où celle-ci traverse la plus grave crise de son histoire.
12/24/2022 • 3 minutes, 30 seconds
L’opposant russe Ilya Iachine, emprisonné pour avoir dénoncé des meurtres de civils
Huit ans et demi de prison pour avoir critiqué la guerre en Ukraine : le jeune opposant russe Ilia Iachine a été condamné, la semaine dernière par un tribunal de Moscou pour avoir diffusé de « fausses informations ». Son procès en appel, dont l’issue ne fait guère de doute, ne devait pas se tenir avant les mois de janvier ou février, selon ses avocats. Portrait de l’un des derniers grands opposants au Kremlin.
À l’énoncé du verdict, il ne s’est pas départi de son sourire et a conservé son sens de l’humour. « Les gars, ne soyez pas contrariés, tout va bien. Si quelqu’un pense que Poutine va encore gouverner pendant huit ans, il est très optimiste », a lancé Ilya Iachine, en col roulé beige, menotté, dans sa cage de verre du tribunal moscovite, qui venait de la condamner à une lourde peine de prison. L’opposant était jugé pour avoir dénoncé, sur sa chaine YouTube, « le meurtre de civils » dans la ville ukrainienne de Boutcha, près de Kiev, où l’armée russe a été accusée d’exactions, ce que Moscou refuse de reconnaitre.
Ilya Iachine était poursuivi sur la base d’articles du Code pénal introduits peu après le début de l’offensive russe en Ukraine, qui punissent ceux qui « discréditent » l’armée russe ou « publient de fausses informations » sur ses agissements. Même privé de liberté depuis fin juin, il a continué de critiquer les autorités de façon acerbe et de dénoncer la guerre. Il a, à maintes reprises, expliquées son refus de fuir la Russie : « j’aime mon pays et je suis prêt à sacrifier ma liberté pour vivre ici [...]. Je suis un patriote », avait-il lancé lors de son procès. « Il a toujours considéré qu’en émigrant, il ne pourrait pas continuer à militer de manière efficace dans l’opposition. Il estimait qu’il fallait continuer à travailler uniquement en Russie, quel qu’en soit le prix payé », raconte Vladimir Milov, opposant en exil, ancien vice-ministre de l’Énergie. Ami avec Ilya Iachine depuis plus de quinze ans, il affirme avoir plus d’une fois débattu du sujet avec lui, « mais c’était son point de vue et il est digne de respect », conclut-il, une pointe de regret dans la voix. Le politologue indépendant, Dmitri Orechkine, qui s’est exilé à Riga, est tout aussi circonspect face à cette décision de rester en Russie envers et contre tous. « Ilya Iachine a échangé sa liberté contre environ un à deux mois d’intérêt public envers sa personne, ensuite, cet intérêt s’éteindra », soutient l’expert, citant le cas d’Alexei Navalny, condamné, lui aussi, à une lourde peine de prison. « De l’étranger, il aurait apporté plus de problèmes à la verticale du pouvoir de Poutine qu’emprisonné en Russie et je pense que ça aurait été aussi le cas pour Ilya Iachine », estime Dmitri Orechkine.
À 39 ans, l’opposant a déjà derrière lui une longue carrière politique. Actif depuis le tout début des années 2000 au sein du mouvement de jeunesse du parti d’opposition Iabloko de Grigori Iavlinsky, avant d’en être exclu en 2008, il a été le compagnon de route de Boris Nemtsov, assassiné en 2015. « Il a coopéré avec Grigori Iavlinsky, avec Alexei Navalny, avec Boris Nemtsov, mais il avait ses propres ambitions politiques et depuis au moins cinq ans, il avait pris son envol », explique Dmitri Orechkine. « Il a lancé son programme politique, il a remporté une élection et il avait depuis son propre électorat. J’ai le sentiment qu’il était un acteur politique indépendant ».
Élu municipal
En 2017, il parvient à se faire élire au conseil d’un quartier de Moscou. Deux ans plus tard, il vise un échelon plus haut, mais sa candidature au parlement local de Moscou est invalidée comme celle de 26 autres opposants, dont Vladimir Milov. Ce dernier se souvient de la campagne de parrainages préalable à l’enregistrement des candidats, organisée dans un lieu qui regroupait plusieurs de ces candidats au centre de Moscou : « les gens qui venaient apporter leurs parrainages étaient environ dix fois plus nombreux pour Ilya Iachine que pour les autres candidats. Il y avait une file d’attente impressionnante devant son bureau. Il était déjà devenu un homme politique très connu ». Pour l’opposant en exil, il ne fait aucun doute qu’Ilya Iachine aurait fait un concurrent sérieux pour le maire de la capitale Serguei Sobianine, s’il n’avait pas été écarté de l’élection municipale de 2018.
« C’est une personnalité très brillante, un homme de principe, honnête, un politicien né, qui sait parler aux gens. Il a un instinct politique très fort. Et je suis persuadé qu’il aura un grand avenir, qu’il finira par sortir de prison, et qu’il jouera un grand rôle dans l’histoire de la Russie. C’est quelqu’un qui n’a pas peur de toujours dire la vérité », raconte son collègue.
Ilya Iachine est aussi l’une des victimes préférées des médias pro-Kremlin, qui n’hésitent pas à s’attaquer à sa famille. Il se fait aussi piéger au lit avec deux femmes, mais la vidéo ne fait surface que dix ans plus tard, envoyée à la fiancée de l’opposant. « Discréditer un jeune homme de 24 ans parce qu’il est avec deux filles, même dans un pays aussi conservateur que le nôtre, c’est assez difficile, vous en conviendrez », avait dit Ilya Iachine dans une vidéo sur sa chaine YouTube consacrée à ce sujet, qu’il avait intitulée : « Les jeunes femmes du FSB : l’arme secrète de Poutine ». À cette même époque, l’opposant était tombé dans un guet-apens : lors d’un contrôle routier, il avait proposé de l’argent pour éviter une amende. La scène avait été filmée. D’autres personnalités avaient été piégées de la sorte, comme Dmitri Orechkine. « Il m’a appelé après cette affaire, il était très choqué », se souvient le politologue. « Il attendait du réconfort de ma part, il était encore très jeune. Il trouvait que c’était répugnant de recourir à de telles méthodes ». Plus d’une décennie après ces affaires, le jeune politicien a bien mûri : « désormais, il a la peau aussi dure que celle d’un rhinocéros. Son avocate a dit qu’elle n’avait jamais rencontré de prévenu aussi calme qui savait parfaitement comment tout cela allait se terminer. Il avait réfléchi à tout et il avait conscience de ce qui l’attendait », raconte Dmitri Orechkine.
Soigner ses caries avant la prison
L’opposant qui critiquait ouvertement la guerre menée par la Russie en Ukraine, savait qu’il risquait gros. Mais, en homme sérieux et prévoyant, il se préparait à la prison, moralement et physiquement, comme il l’a raconté, en juin, sur la chaine du journaliste et blogueur populaire Iouri Doud quelques jours avant son arrestation : « dès que les premiers missiles ont été envoyés sur l’Ukraine, je suis allé chez le dentiste et j’ai fait réparer toute ma mâchoire, je me suis fait soigner des caries, on m’a mis des plombages, parce que je savais qu’en prison, personne ne me soignerait les dents », raconte Ilya Iachine.
Dans un message publié cette semaine sur Facebook, l’opposant s’adresse à ses soutiens : « ils voulaient m’écraser moralement avec un jugement féroce. Ils ont fait un calcul : je ne me suis jamais senti aussi fort qu’aujourd’hui. Et je n’ai jamais été aussi sûr que tout finira pas aller bien », écrit-il, appelant ses amis à « garder la foi en un avenir meilleur ».
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12/17/2022 • 3 minutes, 32 seconds
Vladimir Kazanevsky, caricaturiste de la guerre
Dans la guerre que mène la Russie en Ukraine, son arme est son crayon : le dessinateur ukrainien Vladimir Kazanevsky, 72 ans, a dû s’exiler en Slovaquie en mars, mais il continue sans relâche de publier des caricatures. Ses dessins ont été publiés dans de nombreux journaux et magazines à travers le monde. Il a récemment reçu le Prix international du dessin de presse 2022, le Cartoonists Kofi Annan Courage in Cartooning Award, de la Freedom Cartoonist Foundation.
« De simple caricaturiste qui haïssait la propagande, je me suis moi-même transformé en un propagandiste après le début de la guerre », résume Vladimir Kazanevksy dans les locaux parisiens de l’association Cartooning for peace, dont il est membre. Colloques, interviews à la presse, masterclass, inauguration de l’exposition où sont exposées ses œuvres au centre culturel de l’ambassade d’Ukraine (jusqu’au 18 décembre), le dessinateur a été très occupé lors de son passage dans la capitale française, qu’il connait bien pour y avoir vécu un temps dans les années 1990, vendant ses caricatures à Montmartre pour subsister.
Né en 1950 dans la région de Sumy, dans le nord de l’Ukraine, Vladimir Kazanevsky, diplômé de l’Université d’État de Kharkiv, spécialisation « radio-physique cosmique » dans les années 70, n’a travaillé que quelques années dans cette spécialité, avant de commencer à vivre du dessin et de la caricature. Au fil de sa carrière, il a remporté plus de 500 prix dans le monde.« C’est un immense dessinateur, comme souvent les dessinateurs à l’Est, qui ont dû avoir des écoles d’art graphiques formidables et même si lui n’est pas passé par une école d’art, il a des bases graphiques incroyables. À travers lui, on comprend mieux son pays et le combat des Ukrainiens », confie son collègue et ami depuis plus de 20 ans, le dessinateur Plantu, fondateur de Cartooning for peace, l’association qui défend la liberté d’expression des dessinateurs de presse dans le monde entier.
« Poutine a commencé à bombarder Kiev à la même heure qu’Hitler »
Lorsque l’invasion russe de l’Ukraine a débuté, au petit matin du 24 février, Vladimir Kazanavesky, était, comme à son habitude, à sa table de travail, en train de dessiner une caricature « assez innocente ». « J’ai tout de suite compris que c’était la guerre, explique-t-il, parce que des amis dessinateurs de plusieurs pays d’Europe et même de Russie m’avaient prévenu peu avant ». Passé l’état de choc et de sidération, il se remémore une chanson russe de la Seconde Guerre mondiale : « le 22 juin, à 4 heures du matin, Kiev était bombardée, on nous informait que la guerre avait débuté », qui va lui inspirer une première caricature : « Je me suis dit que Poutine avait commencé à bombarder Kiev à la même heure qu’Hitler ». Son dessin représente le président russe et le Führer enveloppés par la faucheuse devant une carte de l’invasion de l’Ukraine.
Vladimir Poutine avec le bouton rouge de l’arme nucléaire sur le front, Vladimir Poutine dans une télévision d’où s’écoulent des flots de sang, Vladimir Poutine et la faucheuse qui sort de son crâne : le caricaturiste multiplie les dessins du président russe ces derniers mois, une tâche qui lui coûte. « C’est très difficile pour moi, parce qu’il est l’incarnation du diable. Quand je dessine Poutine, je mets surtout l’accent sur ses yeux, des yeux enfoncés, rapprochés, des yeux de loup qui vous regardent comme sortant d’un trou noir du KGB. Quand je le dessine, c’est douloureux pour moi et lorsque j’ai terminé, je me sens vraiment très mal », avoue Vladimir Kazanevsky.
Le rouge et le noir, les couleurs de la guerre
Avant la guerre, l’artiste produisait des caricatures et des dessins très colorés. Mais lorsqu’il a fui, avec son épouse, en Slovaquie, en mars, il n’a emporté que deux crayons dans son sac à dos, un noir et un rouge. « J’ai soudain réalisé que ça n’était pas un hasard, parce que ces deux couleurs sont les couleurs de la guerre : le noir des ténèbres et le rouge du sang. Depuis lors, je n’ai plus changé de style et ça fait presque un an que je dessine comme ça ».
De son exil, Vladimir Kazanevsky continue de dessiner la triste actualité qui secoue sa patrie. « Mon cœur, mon âme, ma tête, sont tout le temps en Ukraine et mon seul souhait est d’aider et surtout de combattre la propagande russe », affirme-t-il. Depuis le 24 février, il a coupé les ponts avec les caricaturistes russes qui soutiennent la guerre, mais reçoit encore parfois des commentaires outrés de leur part sur ses caricatures. « Cela signifie que j’ai visé juste », note-t-il avec malice.
Après le début de l’invasion russe de son pays, Vladimir Kazanevsky, qui a toute sa vie parlé la langue de Pouchkine en famille comme au travail, s’est mis à l’ukrainien. C’est son épouse, d’origine russe, qui lui a soufflé l’idée dès le matin du 24 février. « On ne veut plus parler dans la langue de l’occupant », souligne le dessinateur.
« Les héros ne sont pas intéressants pour les caricaturistes »
Contrairement à la période soviétique, où il a eu affaire aux censeurs du KGB, Vladimir Kazanevsky affirme n’avoir jamais subi d’entrave à son travail depuis la chute de l’URSS. « Mais j’ai quand même ma propre autocensure, avec mes normes esthétiques et éthiques », explique-t-il. Autre limite : il ne critique ni l’armée ni le président ukrainien. « J’ai beaucoup critiqué Zelensky avant la guerre, j’ai publié beaucoup de caricatures, mais à partir du moment où il a fait son allocution, au tout début de la guerre, pour dire qu’il restait à Kiev et se battrait jusqu’à la victoire, il est devenu pour moi un sujet tabou. Il était devenu un héros, or les héros ne sont pas intéressants pour les caricaturistes ».
Vladimir Kazanevsky affirme avoir déjà dessiné la caricature qu’il publiera à la fin de la guerre : Vladimir Poutine, en tenue de prisonnier dans une cellule, l’air morose, avec une chaine, à laquelle est attachée une grosse pierre en forme de Z, la lettre devenue le symbole de cette opération militaire russe en Ukraine.
L’exposition des dessins originaux de Vladimir Kazanevsky et de caricatures du monde entier se tient jusqu’au 18 décembre au Centre culturel de l’ambassade d’Ukraine, 22 avenue de Messine, 75008 Paris.
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12/10/2022 • 3 minutes, 32 seconds
Ales Bialiatski, un Nobel derrière les barreaux
De sept à douze années de prison : c’est la peine qui pourrait être infligée à Ales Bialiatski, le militant des droits de l’homme biélorusse qui a reçu cette année le prix Nobel de la paix. Figure de l’opposition au régime Loukachenko, ce linguiste de formation a déjà connu la prison au début des années 2010. Il se savait menacé après le mouvement de contestation qui a éclaté à l’été 2020, mais a choisi malgré tout de rester dans son pays.
C’est derrière les barreaux et alors qu’il vient tout juste de fêter ses 60 ans, le 7 octobre dernier, que l’annonce du prix Nobel lui est parvenue. Arrêté en juillet 2021 par les autorités biélorusses, accusé de « trafic de devises » et pour avoir « financé des actions collectives portant atteinte à l’ordre public », Ales Bialiatski encourt jusqu’à douze années de prison selon l’ONG Viasna qu’il a co-fondée.
Une manière pour le régime d’Alexandre Loukachenko de se venger d’un homme qui n’a cessé toute sa vie de lutter pour les droits de l’homme. « Ales Bialiatski est le symbole de l’invincibilité du mouvement démocratique au Belarus », nous explique Franak Viacorka, le conseiller de Svetlana Tsikhanovskaïa, cheffe de l'opposition biélorusse en exil. « Il a commencé comme dissident antisoviétique dans les années 1980. Ensuite, il s’est battu pour l’indépendance de son pays, puis contre l’intégration à la Russie… Et ces vingt dernières années, il s'est battu pour les droits de l'homme. Vous pouvez lire sa biographie et vous connaîtrez l'histoire du Belarus à travers sa vie. »
Premier séjour en prison
Né en 1962, Ales Bialiatski est un spécialiste de la langue biélorusse. Il a été journaliste, professeur, directeur de musée… Mais c’est en fondant Viasna, la principale ONG de défense des droits de l’homme en Biélorussie, qu’il se met à dos le régime de Loukachenko. En 2011, il est incarcéré une première fois pour « évasion fiscale ». Il reste près de trois ans en prison, un séjour qu’il raconte à sa sortie de détention, au micro RFI de Véronique Gaymard.
« Il y a beaucoup de problèmes d'hygiène, de mauvaise alimentation, de mauvaises relations entre détenus et administration pénitentiaire. On est encore dans des schémas de l'Union soviétique. L'objectif principal de la colonie pénitentiaire, c'est d'exercer une pression sur la personnalité du détenu. C'est comme avant, ça n'a pas changé. »
Ces trois années de prison ne sapent en rien la détermination d’Ales Bialiatski. Une volonté farouche qui a profondément marqué Aude Merlin, chargée de cours à l’Université Libre de Belgique, spécialiste de la Russie et du Caucase qui l’a rencontré à plusieurs reprises.
« En juin 2014, après sa libération, il est venu témoigner dans plusieurs pays d’Europe et je me souviens l’avoir accueilli à l’aéroport de Bruxelles. Il était amaigri et avait les cheveux presque ras, car on leur rasait la tête en prison. Mais en même temps, il avait un regard inaltérable, dans lequel on lisait l’intelligence, l'humilité, la modestie. Et l'exigence », explique Aude Merlin qui ajoute : « Il est vraiment typique de ce que sont les défenseurs et défenseuses des droits humains dans l'espace post-soviétique : des personnes qui ont l'indignation chevillée au corps, mais assortie d'une rigueur absolue. »
Le refus de l’exil
En août 2020, la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko suscite des manifestations sans précédent en Biélorussie, et une répression féroce. De nombreux opposants sont arrêtés, d’autres choisissent de fuir le pays. Mais Ales Bialiatski décide de rester, malgré le risque évident d’être arrêté. « Quand on a constaté les premières arrestations concernant son organisation, il était convaincu qu'il allait finir par être arrêté », se souvient Antoine Madelin, en charge du plaidoyer à la Fondation internationale des droits de l’homme (dont Ales Bialiatski a été le vice-président de 2007 à 2016). « Mais il a fait le choix ainsi que ses autres collègues de Viasna de rester dans le pays parce que c'était leur mission que de porter le message de la défense des droits humains. Il était conscient du risque qu'il prenait, mais il était prêt à prendre ce risque jusqu'au bout, puisque finalement ça faisait partie de son engagement initial. »
Cet engagement l’a ramené en prison dès le mois de juillet 2021. Mais il lui vaut également de recevoir le prix Nobel de la paix. Un prix au retentissement immense, mais qui n’a suscité que le dédain des autorités biélorusses. « Ces décisions sont tellement politisées qu’Alfred Nobel n’en peut plus de se retourner dans sa tombe », s’est contenté de déclarer le porte-parole de la diplomatie biélorusse après l’annonce du Comité Nobel en octobre dernier.
12/3/2022 • 3 minutes, 32 seconds
Gianni Infantino, un patron de la Fifa imperméable aux critiques
Face aux polémiques suscitées par la Coupe du monde de Football au Qatar, le président de la Fifa Gianni Infantino a choisi un ton offensif, fustigeant le discours « hypocrite » de tous ceux qui appellent au boycott de l’évènement. Élu en 2016 avec la promesse de « restaurer l’image de la Fifa », Gianni Infantino refuse toute remise en question et défend bec et ongles le choix du Qatar pour cette Coupe du Monde 2022. Les chiffres semblent lui donner raison, puisque l’audience est au rendez-vous, de même que les revenus records de cette édition. Des arguments sonnants et trébuchants qui devraient lui assurer sa reconduction à la tête de la Fifa pour un troisième mandat.
C’est une conférence de presse qui restera sans doute dans les annales de la Fifa. Nous sommes à la veille du coup d’envoi de la compétition et Gianni Infantino se lance dans un vibrant plaidoyer pour le Qatar. « Aujourd’hui, je me sens Qatarien, aujourd’hui, je me sens arabe, gay, travailleur immigré », déclare le patron de la Fifa qui rappelle, pour mieux défendre le pays hôte, ses propres origines : celles d’un enfant de travailleurs italiens venus en Suisse pour y gagner leur vie. « Je pense qu’étant donné ce que nous les Européens avons fait dans le monde au cours des 3000 dernières années, lance-t-il devant un parterre de journalistes médusés… nous devrions nous excuser pour les 3000 prochaines années au lieu de donner des leçons de morale ! »
Ulcéré par les critiques formulées à l’encontre du Qatar, premier pays arabe accueillir la Coupe du Monde, Gianni Infantino est à l’offensive. « Il se positionne comme un paratonnerre, comme un bouclier vis-à-vis du Qatar, décrypte Rémi Dupré, journaliste au Monde. Pour la Fifa cette Coupe du Monde décidée en 2010 est un boulet et Infantino est dans une logique de défense bec et ongles de ce choix – la même logique qui lui a fait choisir le Qatar, depuis un an, comme lieu de résidence principale. C’est une manière de se placer au centre du jeu et de dire : “voilà, je suis président de la Fifa, j’assume tout et je protège le pays hôte”. »
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Ancien bras droit de Platini
Aujourd’hui âgé de 52 ans, Gianni Infantino a fait toute sa carrière dans le milieu du football… non pas celui des vestiaires et des stades, mais des bureaux feutrés et confortables des institutions internationales. Juriste de formation, il devient en 2009 le bras droit de Michel Platini à la tête de l’UEFA, l’Union des associations européennes de football. Et sa carrière va prendre un tournant inattendu lorsque celle de son mentor se brise sur les affaires judiciaires.
« Gianni Infantino était l’homme de confiance qui a trahi Michel Platini », rappelle Vincent Chaudel, cofondateur de l’Observatoire Sport Business. « Avec le Fifagate et la chute de Sepp Blatter et de Michel Platini, il en a profité pour briguer la présidence de la Fifa. C’est un stratège et c’est un juriste, donc c’est un homme de pouvoir. Il y a un côté évidemment machiavélique chez lui, mais la réalité des choses, c’est que jusqu’ici, il a su tirer profit de la situation pour lui comme pour l’institution. »
Un bilan mitigé
À son arrivée en 2016, la Fifa est plombée par les affaires de corruption. Gianni Infantino promet de restaurer son image et d’en faire une institution transparente et exemplaire. Mais, six ans plus tard, le bilan du patron de la Fifa est sur ce point plus que mitigé aux yeux de nombreux observateurs. « Il avait promis de restaurer la réputation de la Fifa et aujourd’hui, on a un président qui est poursuivi en Suisse pour incitation à l’abus d’autorité et pour d’autres chefs d’inculpation dans le cadre de ses rencontres secrètes avec l’ancien procureur général suisse Michael Lauber », souligne le journaliste Rémi Dupré. « En outre, il ne respecte par les statuts de la Fifa puisqu’il la dirige comme un hyper-président alors qu’il devrait laisser la réalité du pouvoir à sa secrétaire générale, Fatma Samoura. Enfin, il a décapité sa commission d’éthique un an après son accession au pouvoir, et il a mis sous contrôle les organes indépendants. Il y a donc beaucoup à dire sur sa pratique du pouvoir et sur sa prétendue posture de réformateur. »
Reste le bilan économique du patron de la Fifa : il est florissant avec plus de 6 milliards d’euros de revenu pour les quatre dernières années ! En outre, malgré les appels au boycott, les audiences sont au rendez-vous de cette Coupe du monde qatarienne. De quoi conforter l’ancien bras droit de Michel Platini, malgré les polémiques qui continuent de plomber l’évènement – l’affaire du « brassard arc-en-ciel » en étant le dernier exemple. Gianni Infantino devrait sans problème être reconduit à son poste lors du Congrès de la Fifa qui aura lieu en mars prochain à Kigali. Et les voix discordantes qui s’élèvent parmi les fédérations européennes – l’Allemagne a déjà fait savoir qu’elle ne voterait pas pour lui – ne devraient rien y changer.
11/26/2022 • 3 minutes, 33 seconds
Suella Braverman, l’épineuse caution droitière du Premier ministre britannique
Il y a un an presque jour pour jour, 27 migrants se noyaient dans la Manche en traversant vers l’Angleterre. Cette semaine, le 14 novembre, la ministre de l’Intérieur britannique Suella Braverman est venue signer à Paris avec son homologue un nouvel accord de surveillance des côtes françaises. Elle venait d’être renommée à ce poste par Rishi Sunak après une démission pour faute et des propos outranciers. Portrait.
Ancrée à l’extrême-droite du Parti Conservateur, Suella Braverman ne s’embarrasse pas de retenue lorsqu’elle évoque les sujets qui lui tiennent à cœur, comme la lutte contre l’immigration. « J’adorerais voir à la une du Telegraph la photo d’un avion qui décolle pour le Rwanda. C’est mon rêve ! Mon obsession ! » a clamé l’ancienne avocate de 42 ans en marge d’une conférence des Tories début octobre. La nouvelle ministre de l’Intérieur soutient ardemment l’accord signé par sa prédécesseure Priti Patel avec Kigali. D’un montant de 120 millions de livres (144 millions d’euros), il permettrait aux autorités britanniques d’envoyer sur le territoire rwandais les migrants sans visa et les demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni. Invalidé par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), il ne s’est pas concrétisé.
D’autres mots de Suella Braverman ont déclenché une mini-crise diplomatique avec l’Albanie : la ministre avait qualifié les migrants albanais de criminels en bandes organisées. Le Premier ministre Edi Rama l’a en retour accusée d’alimenter la xénophobie pour masquer des échecs politiques.
Autant de propos et positions qui inquiètent les associations humanitaires alors que Londres et Paris viennent de signer un nouvel accord de coopération frontalière, à quelques jours de la commémoration du naufrage du 24 novembre 2021 survenu dans un contexte de vives tensions entre les deux capitales. La fondatrice de Care4Calais rappelle que Suella Braverman a évoqué une « invasion à combattre » en parlant des migrants. « Nous savons que ce dénigrement ne reflète pas l’opinion générale, affirme Clare Moseley. Et c’est très décevant d’entendre le gouvernement tenir des propos qui sèment la haine et la division dans le pays. Ce n’est pas bon pour la société, et nous sommes très déçus par cette approche. Suella Braverman a dit publiquement que selon elle les gens qui sont à Calais ne sont pas en besoin de protection, notre expérience démontre le contraire. Elle est très favorable au projet Rwanda. Nous ne sommes pas très optimistes pour l’avenir. »
► À lire aussi : Vol de migrants entre le Royaume-Uni et le Rwanda : Kigali persiste après l’annulation
L’image d’abord
Si les associations dénoncent la signature de ce nouvel accord avec la France pour renforcer la surveillance des côtes, elles ne sont pas les seules. Les critiques viennent aussi du parti conservateur. La députée Torie du Kent Nathalie Elphicke juge que le texte n’aura pas l’effet escompté. La ministre elle-même, en réponse à la question d’un autre député conservateur, a reconnu qu’ « en lui-même cet accord [n’allait] pas régler le problème ». « Vendu comme un grand pas en avant, ce texte n’est que le dernier en date d’une longue série d'accords conclus entre Londres et Paris. En ce sens, les critiques sont justifiées et compréhensibles » estime Simon Usherwood, professeur de l’Open University au nord de Londres, car il y a d’autres problèmes urgents à régler. « Ce qui est frappant, c'est que Suella Braverman a consacré beaucoup plus d’efforts à ce texte qu’à essayer de résoudre le problème de délai de traitement des demandes d'asile, qui semblent être le véritable goulot d'étranglement dans le système. Elle s’intéresse plus à ce qui est visible, à ce qui va plaire aux électeurs, qu’au fait d’avoir le meilleur impact possible sur les politiques publiques et les meilleurs résultats ».
La justice en question
Fervente apôtre du Brexit, Suella Braverman a dirigé en 2015 le groupe d’élus eurosceptiques ERG. Elle a fait partie des « hard brexiters » : sous-secrétaire d’État au Brexit début 2018, elle en a claqué la porte le 15 novembre à la publication du projet d’accord de retrait négocié par Theresa May. Aujourd’hui, elle souhaite que le Royaume-Uni quitte la Cour européenne des droits de l'Homme.
Diplômée en droit des universités de Cambridge et de la Sorbonne, la ministre conteste également le pouvoir des juges dans son propre pays. À l’instar de Boris Johnson, elle dénonce le processus de « judicial review », équivalent du contrôle juridictionnel assuré en France en dernière instance par le conseil d’État. Aurélien Antoine, professeur de Droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Etienne, se souvient : « À l’époque où elle a commencé à monter, elle a soutenu un gouvernement qui a été très restrictif tant en matière de politique migratoire qu’en ce qui concerne les recours au juge - c'est-à-dire en ce qui concerne l’état de droit, tout simplement ». La nomination de Suella Braverman au poste de Procureur général par Boris Johnson en 2020 avait d’ailleurs fait polémique au sein de la justice. Selon Aurélien Antoine ce positionnement confirme une évolution du parti conservateur : il y a « cristallisation d'une extrême droite, d'une frange droite du parti conservateur depuis quelques années. Et Suella Braverman s’inscrit plutôt dans cette ligne-là, qui a clairement émergé à partir de 2016, même s'il y existait déjà bien sûr des éléments latents de cette orientation. »
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Ministre sous surveillance
Issue d’une famille d’origine indienne, Sue-Ellen pour l’état civil, s’est engagée en politique dès l’université. Elle s’est présentée pour la première fois devant les électeurs à 25 ans. Mais elle a essuyé plusieurs échecs avant d’être élue députée de Fareham, circonscription très conservatrice du sud de l’Angleterre en 2015 puis 2017. Outre son franc-parler, elle est connue pour sa persévérance, mais aussi pour un penchant opportuniste selon de nombreux analystes. « C’est vraiment un animal politique, estime Simon Usherwood, elle sait très bien que son poste d’attirer la lumière et de se faire un nom. "Law and Order", la loi et l’ordre, c’est un fondamental des conservateurs. Je ne suis pas sûr que ce soit une passion pour elle, mais pour l’instant ça lui est très utile. En réalité, elle donne l’impression d’avoir les yeux tournés vers le 10 Downing Street, et je pense qu’il est intéressant de considérer son action dans cette perspective ».
Pour autant, même si Suella Braverman ne manque pas de soutien à la droite du parti elle « n'est pas le premier choix des conservateurs » au poste de Premier ministre précise le chercheur. « Elle est aujourd’hui à un stade intermédiaire. C’est pourquoi le fait d’avoir une visibilité croissante est important pour elle. Cela l'aidera dans sa campagne lors du prochain défi pour la direction ». Mais d’ici là, la ministre de l’Intérieur devra aussi discipliner ses actes. Sa nomination par Rishi Sunak le 25 octobre dernier a surpris. Une semaine plus tôt, elle avait été obligée de quitter le précédent gouvernement pour violation des règles de sécurité ministérielles. Suella Braverman a reconnu avoir utilisé son adresse courriel personnelle pour envoyer des documents officiels à six reprises, dont un brouillon de déclaration ministérielle sur la politique migratoire.
À sa démission, la ministre avait accéléré la chute de Liz Truss en faisant part de ses « graves inquiétudes » sur la politique de la Première ministre. Que ce soit dans les rangs de l’opposition ou ceux de la majorité, les bruyants faits et gestes de Suella Braverman vont être suivis de près.
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11/19/2022 • 3 minutes, 44 seconds
Nadiia Tsalinska, infirmière ukrainienne sous l’occupation russe
Les forces ukrainiennes sont entrées ce vendredi dans la ville de Kherson : la reprise de la ville aux mains des Russes depuis les premières semaines de la guerre était l’objectif principal de la contre-offensive lancée fin août dans le sud de l’Ukraine. La commune de Vyssokopillia, 4 000 habitants avant la guerre, n’a plus d’hôpital ni de médecins. Pendant l’occupation russe, deux infirmières ont assuré, seules les soins aux habitants. Portait de l’une d’entre elles.
De nos envoyés spéciaux dans la région de Kherson
Sa voix éraillée traduit les angoisses, la peur et la fatigue, vécues ces derniers mois : Nadiia Tsalinska, 62 ans, tente de mettre un peu d’ordre dans sa maison, touchée à deux reprises par des obus. Sous la treille où pendent des grappes de raisin noir, elle raconte ces six mois d’occupation russe, où les 286 habitants restés à Vyssokopillia ont connu les bombardements, le deuil, la faim.
Le 13 mars, les troupes russes sont entrées dans la petite commune. L’hôpital a fermé deux jours plus tard, endommagé par des obus. « Deux de nos employés, deux hommes, ont été tués et on les a enterrés dans le jardin de l’hôpital. Les gens ont commencé à quitter la ville », raconte Nadiia. Ses deux enfants et six petits-enfants partent à leur tour le 23 avril. « Des militaires russes, des Bouriates, cherchaient des jeunes filles. Or, j’ai deux petites filles de 18 et 20 ans. On a dû les cacher dans la maison. On a réussi à les faire partir alors qu’il faisait encore nuit », se souvient l’infirmière, la voix étouffée par l’émotion.
Soigner les patients sans eau ni électricité
Nadiia Tsalinska se retrouve seule avec un mari malade et une autre collègue, Svitlana Vlassenko, pour soigner les habitants restants. Son salon se transforme en service d’urgence. Un pied à perfusion et des dizaines de boites de médicaments sont encore entreposés dans la pièce, qui a été endommagée par un tir d’obus. « Juste avant le début de la guerre, j'avais reçu une importante commande de médicaments à l’hôpital. Heureusement qu’on a eu le temps de les transporter jusqu’à ma maison », raconte la sexagénaire. Le travail ne manque pas : « il fallait stopper les hémorragies. Il y avait aussi des problèmes gastriques, des problèmes de tension. On a fait tout ce qu’on a pu. Lorsqu’on a été à court de bandages, on a découpé des draps ».
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Ôter un éclat d’obus ou soigner une maladie chronique, Nadiia Tsalinska et Svitlana Vlassenko affirment avoir soigné plus de cent patients, sans électricité, sans gaz, sans eau courante. Il fallait aller puiser l’eau à plusieurs centaines de mètres de là, sous les bombardements. « Huit personnes sont mortes comme ça en allant chercher de l’eau », affirme une voisine. Mais le plus difficile, raconte Nadiia, c’était la cohabitation avec les Russes qui la soupçonnaient de soigner des militaires ukrainiens. « Ils nous disaient : si un soldat ukrainien ou un inconnu vient vous voir, vous devez nous le dire. Ils voulaient qu’on les dénonce. Ils ont commencé à nous mettre la pression quand ils ont attrapé l’un de nos soldats,raconte l’infirmière. Il avait une blessure au visage et il avait été recousu. On a eu alors la visite d’un commandant, un dénommé "Kaspij". Il a commencé à nous harceler en nous accusant d’avoir apporté de l’aide à un combattant ukrainien. Ils pensaient qu’on l’avait recousu, mais ça n’était pas le cas ».
« C’était comme dans un film d’horreur »
Tous les jours, les infirmières reçoivent la visite de militaires russes, qui exigent un compte rendu détaillé de leur activité. Elles n’ont pas le droit de quitter la maison, un drone survole régulièrement la cour. « Ensuite, ils ont mis leur artillerie juste là, au croisement des deux rues, en nous disant : “C’est l’une de nos positions”. Ils se sont mis à tirer. Et nous, on était juste là, dans la maison. On est restés dans un coin, on se tenait la main, on avait peur », se souvient Nadiia.
Les bombardements font des blessés et des morts, qu’il faut enterrer. « C’était comme dans un film d’horreur », dit l’infirmière, en racontant comment des hommes du village transportaient les corps des défunts dans une brouette, en courant, puis creusaient rapidement un trou pour les enterrer au plus vite et retourner se mettre à l’abri des bombardements.
Après trois mois sans approvisionnement en nourriture, Nadiia se résout à aller parler aux forces d’occupation. « On s’est mis à distribuer deux tasses de farine par-ci, une tasse de vermicelle par là. On a construit un four et on y cuisait du pain », raconte-t-elle.
Les hommes armés continuent à maintenir la pression sur les deux infirmières, alors que la santé du mari de Nadiia diabétique, se dégrade. Une gangrène à l’orteil finit par gagner toute la jambe, faute de soins adaptés. « Il aurait fallu qu’on aille le faire soigner, mais ils ne nous laissaient pas partir. Tout juin, juillet et août, ils nous surveillaient tellement qu’on ne pouvait aller nulle part ». L’époux de Nadiia finit par succomber à une thrombose. Lorsqu’elle raconte ses derniers instants, sa voix s’emballe, se casse et toute l’horreur de l’instant se lit dans ses yeux : « il est mort le 22 août. Ce jour-là, on a subi un bombardement massif. Vous imaginez comme c’est effrayant : ça explose de partout et à ce moment, mon mari est en train de mourir ».
Comme pour essayer d’effacer toute trace de ce passé si proche et si douloureux, Nadiia, aidée de voisines, colle des papiers peints dans une chambre : cette nouvelle pièce servira à accueillir les patients en attendant que les médecins, dont les maisons ont été détruites, puissent reprendre du service.
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11/12/2022 • 3 minutes, 30 seconds
Mette Frederiksen, la ligne dure de la gauche danoise
Score historique pour le parti de Mette Frederiksen. Le bloc de gauche de la Première ministre danoise sortante est arrivé en tête des élections législatives anticipées avec 27,5% des suffrages. Ce scrutin avait été déclenché par le scandale de l’abattage de millions de visons porteurs d’une mutation du coronavirus en 2020. Bien que fragilisée par cette affaire, la sociale-démocrate a décroché de justesse la majorité au Parlement avec sa coalition. Forte de cette victoire, la Première ministre entend désormais former un gouvernement d’union, au centre de l’échiquier politique.
Contre toute attente, le bloc de gauche mené par la sociale-démocrate Mette Frederiksen a remporté mardi 1er novembre, la majorité absolue nécessaire de 90 sièges, lors des élections législatives anticipées. La droite et l’extrême droite ont remporté 73 sièges et le centre 16.
« Je suis incroyablement heureuse et fière. […] Nous avons mené une campagne formidable », s’est félicitée la dirigeante danoise dans un discours après l’annonce des résultats. Elle a par ailleurs souligné que le parti social-démocrate venait de décrocher « ses meilleurs résultats » depuis plus de 20 ans.
L’ombre de « l’affaire des visons »
La victoire n’était pourtant pas acquise après « l’affaire des visons », qui a fait tomber le gouvernement de Mette Frederiksen. Ces derniers mois, le scandale a déchaîné les passions au sein des sphères politique et médiatique danoises. En novembre 2020, la Première ministre avait donné l’ordre d’abattre 15 millions de visons, animal dont le Danemark était alors le premier exportateur mondial pour sa fourrure.
Cette mesure visait à contenir l’émergence d’un variant du Covid dans les élevages. Il s’est ensuite avéré que le gouvernement ne disposait d’aucune base légale pour l’imposer aux éleveurs. « Le résultat des dernières législatives n’était donc pas forcément attendu étant donné la mise en cause de Mette Frederiksen dans le scandale des visons. […] En même temps, elle ressort de la crise sanitaire avec une confiance élevée chez les Danois […] grâce à un taux de mortalité parmi les plus faibles d’Europe », analyse Yohann Aucante, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
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Engagée en politique dès l’adolescence
À son arrivée au pouvoir en 2019, Mette Frederiksen est la plus jeune cheffe d’un gouvernement danois. Cette fille d’un ouvrier typographe et d’une puéricultrice a fait ses classes dans les mouvements de jeunesse de sa formation politique. À l’adolescence, elle milite contre l’apartheid en Afrique du Sud et cotise à l’ANC, le parti de Nelson Mandela. « Mette Frederiksen est un pur produit de la formation sociale-démocrate. […] Elle a ensuite suivi une carrière typique de ce genre de cadre du parti », explique Yohann Aucante, spécialiste de la politique dans les pays nordiques.
La future cheffe du gouvernement a été élue députée à 23 ans avant d’enchaîner les postes de ministre de l’Emploi en 2011 puis de la Justice en 2014. L’année suivante, elle succède à Helle Thorning Schmidt à la présidence du parti social-démocrate qui perd le pouvoir à l’issue de la défaite électorale.
Politique migratoire sévère
Sur les réseaux sociaux, la Première ministre affiche le visage d’une élue simple, aimant les sandwiches au pâté ou au maquereau, les deux ingrédients les plus modestes de l’assiette danoise. Mette Frederiksen veut se montrer à l’écoute des préoccupations de ses concitoyens. Pour preuve, la leader sociale-démocrate a opéré un virage idéologique sur les questions migratoires. Issue de la gauche, elle affiche désormais un objectif zéro réfugié, exception faite des Ukrainiens fuyant l’invasion russe.
« Au début des années 2000, elle a critiqué les positions du parti social-démocrate sur l’immigration, car elle les jugeait trop à droite, rappelle Rune Stubager, politologue à l’Université d’Aarhus au Danemark. Aujourd’hui, elle incarne la ligne plutôt dure sur l’immigration représentée par son parti au Parlement. » Malgré les grincements de dents de l’ONU et de l’Union européenne, Mette Frederiksen assume un projet controversé de délocalisation de l’accueil des demandeurs d’asile au Rwanda ou les pertes de permis de séjour pour des Syriens originaires de régions considérées désormais comme sûres.
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Vers un gouvernement d’union ?
Avec la majorité absolue obtenue aux dernières législatives, Mette Frederiksen n’a donc théoriquement pas besoin pour diriger d’une alliance avec l’ancien Premier ministre centriste, Lars Løkke Rasmussen. Mais elle lui tend pourtant la main pour former une large coalition. La cheffe du gouvernement espère aussi rallier les libéraux, au risque d’aliéner ses alliés d’extrême gauche. « Elle devra trouver un moyen d’atteindre un équilibre entre certaines politiques économiques de droite du parti social-libéral et les postions plus à gauche de partis comme les socialistes », note Rune Stubager.
Au lendemain du scrutin, Mette Frederiksen a présenté sa démission à la reine du Danemark. Elle a entamé le 4 novembre des discussions avec ses partenaires pour former une coalition. Le nouveau gouvernement ne verra pas le jour avant plusieurs semaines.
11/5/2022 • 3 minutes, 35 seconds
Italie: Matteo Salvini, l’allié bruyant
Combien de temps va durer la lune de miel entre Giorgia Meloni et ses alliés ? La première femme cheffe du gouvernement a pris la tête de l’Italie en période de crise, avec une cote de popularité au plus haut. Mais elle est flanquée des deux hommes forts de la droite qui ne lui passeront aucune erreur : Silvio Berlusconi pour le centre droit de Forza Italia et Matteo Salvini pour la Ligue. « Le capitaine » de la Ligue, fragilisé par un cuisant échec électoral, entend bien rester à la barre et tente déjà de dicter son agenda politique.
À peine en place, il impose le tempo et pousse les murs : vice-président du Conseil et Ministre des infrastructures et de la mobilité durable, Matteo Salvini veut se faire entendre sur tous les dossiers. En témoigne son premier rendez-vous officiel réservé à la garde-côtière. Les ports sont des infrastructures, certes, et « puisqu'il a la possibilité en tant que ministre des infrastructures de travailler avec cette institution, il se prend en photo avec le chef des garde-côtes pour parler d'immigration. D’emblée. Dans le tweet qu'il a publié, il ne parle que d’immigration, alors que ça ne relève pas de sa responsabilité aujourd'hui », note Giuseppe Bettoni, professeur de l’université romaine Tor Vergata. Peu importe, le travail se fera en parfaite entente avec le ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi. Les ports seront interdits aux navires des ONG « complices » des passeurs, a d’ores et déjà annoncé ce proche de Matteo Salvini qui fut son directeur de cabinet à l’époque des décrets sécurités et de l’affaire de l’Open Arms, toujours en cours de procédure judiciaire.
La veille du vote de confiance à l’Assemblée, Matteo Salvini était aussi monté au créneau sur le projet de loi sur les paiements en espèce. « Le cyclone Salvini s’abat sur Meloni » titrait le quotidien La Repubblica. La Ligue demandait un relèvement du plafond à 10 000 euros contre 3 000 actuellement (quelques jours plus tard, Giorgia Meloni, qui s’est engagée à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, évoquera le chiffre de 5 000). « Le patron de la Ligue revient littéralement sur son terrain habituel », analyse Giuseppe Bettoni. À savoir la lutte contre l’immigration et la défense des intérêts des commerçants du nord. Au sein du gouvernement, la Ligue est bien servie, poursuit le chercheur, elle a aussi obtenu le ministère clé de l’Économie. Soit les cordons de la bourse des quelque 200 milliards d’euros du fonds de relance européen qui seront largement dédiés… aux infrastructures.
Communiquer pour exister
Lors du vote de confiance au Sénat, un autre fidèle de Matteo Salvini a fait entendre sa différence en tenant des propos controversés sur l’Ukraine. Divergences de fonds ou communication ? Quoi qu’il en soit, en communication, « le capitaine » – comme se fait appeler Matteo Salvini – est un expert. Déjà vice-président du Conseil lors du premier gouvernement Conte, il avait monté une imposante machine de propagande. « Plus d’une centaine de personnes qui étaient payées par le ministère de l'Intérieur, ce qui a fait un peu scandale puisque aux frais du contribuable donc, alors que cette équipe ne servait que lui », rappelle Giuseppe Bettoni. « Attendons-nous au retour du champion de la communication, qui travaillera de préférence les dossiers qui ont un effet médiatique, ceux grâce auxquels il peut retrouver une visibilité. Parce qu’il a de gros problèmes par rapport au gouvernement, mais aussi par rapport à l'intérieur de son parti au sein duquel il n’est absolument pas bien vu. Donc, il travaille avec son courant et son équipe pour montrer qu'il est toujours fort, et impossible à désarçonner ».
Matteo Salvini revient de loin. Il y a eu le cuisant échec de ses manœuvres pour pousser Giuseppe Conte dehors en 2019, la défection de plusieurs cadres dirigeants du parti au moment des élections et la chute vertigineuse dans les urnes : le parti est passé de 17% aux législatives de 2018 à moins de 9% cette année. Il avait obtenu 34% des suffrages aux européennes de 2019. Et le 25 septembre dernier, Fratelli d’Italia a obtenu plus du double de voix sur la Ligue dans son fief du Nord.
Retour aux fondamentaux
Mais le Capitaine a réussi à garder le contrôle du navire. Il a très bien négocié les listes électorales, analyse Piero Ignazi professeur de sciences politiques à l’université de Bologne. « Il a été habile sur la répartition des circonscriptions avec Fratelli d’Italia et Forza Italia, de sorte que La Ligue a obtenu un nombre de députés double de son score électoral : la Ligue a 65 députés, exactement comme le Parti démocrate qui lui a obtenu deux fois plus de voix. Alors oui, il a perdu des voix, mais il a sauvé beaucoup de sièges. Et ce n’est pas rien ! Les cadres du parti sont contents ».
Parmi les projets qui sont chers aux cadres de la Ligue et risquent de faire tanguer la coalition selon Piero Ignazi, celui de l’autonomie régionale - un retour aux fondamentaux de la Ligue du Nord. « Il aurait pour conséquence d’aliéner tout l’électorat du centre-sud, alors que les partis de droite ont déjà du mal à conquérir l'électorat de cette partie du pays – dominée, on l’a vu, par le Mouvement 5 étoiles. Et par ailleurs, donner le feu vert à ce projet qui concerne surtout les régions fortunées du pays, Lombardie et Vénétie, voire même la région rouge de l’Emilie Romagne et alentour, ce serait un peu acter la séparation des riches d’avec “les autres” et là, je pense que les tensions entre la Ligue et le parti de madame Meloni seront plutôt fortes ».
Des tensions sûrement - mais pas tout de suite, une rupture encore moins : Matteo Salvini n’a aucun intérêt à mettre le gouvernement en danger, son avenir politique serait trop incertain, jugent les observateurs, convaincus que la lune de miel durera au moins jusqu’au printemps.